Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Nouvelle fièvre sur le pétrole

Aucune inquiétude ne se manifestait, encore récemment, au niveau de l’approvisionnement physique du marché. Les récentes intempéries ne semblaient pas soulever trop de problèmes, tout en permettant par ailleurs de justifier les hausses des prix de l’essence et du fuel domestique. Pourtant les
« prévisionnistes » commençaient déjà à la fin de l’année dernière, à avancer l’idée d’un prix de l’ordre de 100 dollars le baril pour le pétrole brut.

Où trouver la cause de cette nervosité ? Les évènements tunisiens et égyptiens avec les risques supposés ou réels pour la navigation par le canal de Suez, qui touche d’ailleurs moins le pétrole que l’activité commerciale prise dans son ensemble, semblaient imprévisibles.

 Certains maintiennent, comme Terry Duffy, un des dirigeants du Nymex, marché à terme de New York
notamment pour les produits pétroliers, cité par Bloomberg Business Week daté des 24/30.1.11, que ce sont les fondamentaux qui donnent en fin de compte le niveau des prix et que les spéculateurs ne devraient pas devenir les « boucs émissaires » responsables de la hausse des prix. Plus près de nous, pour l’économiste Philippe Chalmin, la spéculation constitue « l’écume de la vague » et pourrait être limitée (Le Monde  7.1.2011).

D’autres constatant que les fondamentaux dont nous parlerons plus bas n’expliquent pas les inquiétudes  actuelles voient dans la spéculation la cause principale de la fièvre.

Les fondamentaux

D’après Le Monde daté du 3 février 2011 qui citait Reuters Breakingviews, l’offre mondiale resterait  abondante, de l’ordre de 87 millions de barils jour, soit environ 4400 millions de tonnes an, l’OPEP  disposant, en outre, de capacités de pompage disponibles de l’ordre de 4/5 millions de barils jour, soit 250 millions de tonnes an, le recul de la demande dans les pays riches contrebalançant au moins en partie la croissance prévue de la demande des pays émergents. à cela, il faudrait ajouter le poids croissant du gaz naturel sur le marché (dont celui provenant des schistes à l’origine actuellement de débats écologiques), qui joue déjà un rôle non négligeable dans l’approvisionnement énergétique mondial. Des ventes de gaz liquéfié par méthaniers isolés se réalisent déjà sur le marché et des pressions sur les prix de la part des gros  acheteurs également partenaires dans les réseaux de gazoducs en construction ou en projet, en Europe, s’exercent sur Gazprom le principal fournisseur russe (voir article d’Alain Vigier dans le numéro d’économie et Politique de juillet/août 2010).

Il est certain que cet équilibre est fragile. Il peut évoluer en raison d’événements économiques, sociaux, politiques ou climatiques, d’autant que les pays de l’OPEP ont une capacité de régulation volontariste de
la production, dont d’ailleurs les grands pétroliers ne

Aucune inquiétude ne se manifestait, encore récemment, au niveau de l’approvisionnement physique du marché. Les récentes intempéries ne semblaient pas soulever trop de problèmes, tout en permettant par ailleurs de justifier les hausses des prix de l’essence et du fuel domestique. Pourtant les « prévisionnistes » commençaient déjà à la fin de l’année dernière, à avancer l’idée d’un prix de l’ordre de 100 dollars le baril pour le pétrole brut. se plaignent pas, les hausses du prix du pétrole brut leur étant largement profitables.

La spéculation

Il est nécessaire, pour une meilleure compréhension du rôle de la spéculation, de rappeler rapidement
l’origine et le fonctionnement des marchés à terme des matières premières devenus aujourd’hui terrain
d’activité quotidienne des fonds spéculatifs, des grandes banques, des fonds de pension, et même des investisseurs institutionnels. Organisés par les négociants dès la fin de la guerre 14/18, les marchés à terme avaient comme premier objectif de permettre à ces derniers de s’engager à « découvert », c’est-à-dire de vendre à l’instant T0, même à un prix fixe, des quantités physiques dont ils ne disposaient pas, en  s’engageant à les livrer à l’instant T1. L’achat effectif pour permettre la livraison pouvant rencontrer une hausse des prix et entraîner une perte considérable, l’opération de couverture imaginée consistait à acheter sur un marché à terme, simultanément à la vente physique, des « droits à produits » équivalents en quantité. Lors du dénouement, c’est-à-dire lors de l’achat du physique pour la livraison, le négociant ferait l’opération inverse en vendant sa position en bourse. Si le marché était entretemps monté, le gain en Bourse devait compenser en principe la perte sur l’opération commerciale. Le risque ne portait plus sur la différence de prix mais sur la seule différence, négligeable en principe, entre l’évolution des prix physiques et l’évolution des cotations boursières allant nécessairement dans le même sens. Des outils mathématiques et souvent sophistiqués ou la possibilité, sous certaines conditions, de livrer des produits à la Bourse permettent de plus en plus aux « traders » d’améliorer les résultats ou de limiter les pertes différentielles. On comprendra  aqssez facilement qu’en se servant de ces montages, des acheteurs puissent de plus fixer leur prix d’achat pour une période donnée comme des producteurs leur prix de vente.

Une constatation s’impose d’emblée : les marchés à terme ont besoin d’une très grande fluidité en raison
de tous les mouvements qu’ils impliquent. Il faut des disponibilités à l’achat et à la vente à tout instant. Cette fluidité nécessite l’intervention de nombreux opérateurs au-delà des professionnels des produits intéressés. L’intervention des spéculateurs est nécessaire au fonctionnement du système. Les banques sont également amenées à intervenir en permanence auprès de la Bourse pour garantir les pertes éventuelles de leurs clients. Elles participent ainsi directement aux mécanismes de la spéculation.

Le marché à terme du pétrole ne date que d’un quart de siècle. Les grands pétroliers après avoir boudé cette
intrusion dans leur système de prix ont vite compris les avantages qu’ils pouvaient en tirer en y intervenant
opportunément et en s’en servant en permanence comme référence de prix. Il a, par ailleurs, servi à de grands consommateurs comme par exemple les compagnies aériennes à fixer, pour une période donnée,
leur prix d’achat. Parfois heureusement, parfois malheureusement.

Sans nier que le mouvement de fond soit donné par les fondamentaux, on doit bien admettre l’effet « tisonnier » ou « éteignoir » de la spéculation, qui amplifie tous les mouvements de prix. Plus grave et cela constitue l’essentiel, la position dominante des pétroliers leur a permis de faire des cotations en Bourse la référence indiscutable, de la base de leur système actuel de formation des prix jusqu’au réservoir d’essence
de l’automobiliste ou la citerne du consommateur de fuel domestique. Ils ont pu pallier ainsi le « désordre »
des marchés, prévisible après l’affaiblissement de leur position dans la production dans les pays qui  s’étaient émancipés de leur emprise. La concurrence se limite en fait, aujourd’hui, aux relations « inter grands » tout en amont. Aux guerres de positions. Ajoutons que les cotations sur les marchés à terme servent également comme base d’indexation pour les grands contrats et les relations entre pays producteurs
et les grands pétroliers.

En 2000, 61 % des transactions sur les marchés des matières premières étaient le fait de la spéculation. En
2008, le pourcentage était passé à 85 % (Le Monde du 16.10.2010 citant Reuters Breakingviews). On  bjectera que ces chiffres, aussi élevés soient-ils, restent relativement peu importants par rapport à  l’amplitude des quantités commercialisées. Il n’en reste pas moins que, pour le pétrole en tout cas, leurs cotations situent le niveau du marché. Ce sont elles que la presse nous donne quotidiennement.

On ne peut pas, pourtant, en rester là dans notre analyse.

 Financiarisation et marché monétaire

Pour élargir l’approche du marché pétrolier, il est indispensable de souligner l’influence de la financiarisation
de l’économie et le rôle du système monétaire. Deux aspects aussi importants l’un que l’autre.

Dans Bloomberg Business Week des 15-21 novembre 2010, on remarque que la faiblesse du dollar  poussera les « investisseurs » à la recherche de rentabilité vers les commodités (matières premières et produits intermédiaires de grande consommation commercialisés sur la base de spécifications standardisées). Il faut dire à ce sujet que compte tenu du rôle considérable et mondial de ces dernières, il y a une contradiction de fond entre ce rôle et la domination par les multinationales de ce secteur vital des échanges. Au-delà des institutions financières, il est certain que pour les grandes entreprises mondiales qui disposeraient de réserves monétaires considérables en attente d’investissements « satisfaisants » dans une conjoncture plus favorable ou de « faisabilités » plus ouvertes de projets « prometteurs », la Bourse devient le réceptacle de placements rapides ou à moyen terme, récupérables rapidement, permettant de rentabiliser ces disponibilités.

La spéculation ne peut, en conséquence, que s’amplifier et « s’institutionnaliser ».

Le pétrole joue un rôle primordial dans ce contexte. La faiblesse du dollar et son hégémonie ont une deuxième conséquence. Elle concerne le bilan monétaire des opérations des pays producteurs. L’équation n’est pas simple : vente de leur production principalement en dollars nécessitant un réajustement des prix face à des achats de produits finis ou de services en dollars à des prix rattrapant la baisse de la monnaie américaine, achats en d’autres monnaies revalorisées de fait par rapport au dollar. Il ressort actuellement de cette « intégrale », un prix de 80/90 dollars pour le baril du pétrole estimé raisonnable par l’OPEP. Elle n’y voit pas, en outre, un risque pour la croissance de l’économie mondiale. Il y a donc lieu, en tout cas, de relativiser les augmentations du prix du baril souhaitées par les pays producteurs au-delà des à-coups non prévisibles. Il est là aussi essentiel de souligner le besoin de plus en plus évident d’ouvrir le système de facturation du pétrole, en l’élargissant à d’autres monnaies pour l’intégrer ensuite à un système monétaire mondial.

On voit combien les prévisions en matière de prix du pétrole sont difficiles compte tenu du nombre de
paramètres à prendre en compte et de la difficulté à distinguer les fondamentaux des circonstanciels.

Il est évident, de plus, que ce marché qui avait ses normes et ses particularités du fait de la position
dominante des grands pétroliers, est de plus en plus rattrapé par la « financiarisation » et la «  marchandisation"générales. Ces derniers s’efforcent de s’adapter à cette situation et d’en tirer le maximum. 

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