Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Note de lecture La crise systémique : une crise de civilisation.

La crise systémique : une crise de civilisation. Ses perspectives et des propositions pour avancer vers une nouvelle civilisation, Paul Boccara,  Note de la Fondation Gabriel Péri. Décembre 2010, 48 p., 4 €.

Version augmentée d’une audition de l’auteur par
la section des questions économiques générales
et de la Conjoncture du Conseil économique,
social et environnemental, cette note apparaît comme
marquant le début d’une étape majeure dans le travail
du fondateur de l’école marxiste de la régulation systémique.
Les travaux de Paul Boccara sur le capitalisme et sur sa
crise sont connus des lecteurs d’Économie et politique :
la régulation des activités économiques par le taux de
profit, les processus de suraccumulation et de dévalorisation
du capital, leur traduction dans les cycles des
affaires et dans l’alternance de phases longues d’essor
puis de difficultés, la prédominance de la finance dans
les phases longues de difficulté. C’est aussi la possibilité
d’une issue révolutionnaire de nos jours à la crise
systémique par la conquête de nouveaux pouvoirs des
travailleurs et des citoyens, de nouveaux critères de
gestion et moyens financiers, à travers un nouveau
crédit, au service d’objectifs sociaux axés sur l’emploi, la
formation et le développement des êtres humains…
On connaissait moins les analyses que Paul Boccara a
consacrées aux aspects non économiques de la société :
ceux, par lesquels l’homme « modifie sa propre nature »,
selon l’expression de Marx « en même temps qu’il agit
sur la nature extérieure et la modifie ». C’est ce que Paul
Boccara appelle l’anthroponomie, c’est-à-dire, dit-il,
« les aspects non économiques de la société, avec leurs
quatre moments : le moment parental, les activités de
travail ou de production (en tant qu’elles transforment
les êtres humains, notamment au plan psychique), le
politique, le culturel ». Le libéralisme est, dans l’ordre
anthroponomique, le pendant de ce qu’est le capitalisme
dans l’ordre économique. Caractérisé par des
rapports contractuels entre individus égaux en droit
mais inégaux en moyens matériels et culturels, il est
fondé sur des relations de délégations représentatives :
aux chefs de famille, aux chefs d’entreprises, aux parlementaires
et aux chefs de gouvernements, aux auteurs
(par opposition aux lecteurs ou aux spectateurs dans
le domaine de la culture).
La note mène en parallèle l’analyse des deux systèmes,
l’économique et l’anthroponomique, et de leur combinaison
dans la civilisation occidentale, aujourd’hui
mondialisée. Elle montre successivement les ressorts
de la crise de civilisation actuelle, émet des hypothèses
sur le « tournant » profond des années 2007-2010, et
met en perspective un ensemble de propositions pour
une transformation radicale. Les analyses économiques
Note de lecture
La crise systémique : une crise de civilisation. Ses perspectives et des propositions pour
avancer vers une nouvelle civilisation, Paul Boccara,
Note de la Fondation Gabriel Péri. Décembre 2010, 48 p., 4 €.
Denis Durand
et anthroponomiques s’éclairent mutuellement. Cela
aide à penser les multiples manifestations sociales,
culturelles, politiques, religieuses… de la crise, mais
aussi à éclairer pourquoi la phase longue de difficultés,
entamée dès la fin des années soixante, n’a pas encore
débouché, contrairement aux précédentes, sur une
nouvelle phase d’expansion.
Une des explications réside dans la radicale nouveauté
de plusieurs transformations révolutionnaires qui
affectent les opérations techniques et sociales. Les
développements consacrés à la révolution informationnelle
sont particulièrement suggestifs, parce que
cette révolution touche aussi bien le système économique
que le système anthroponomique. Succédant
à la révolution industrielle qu’elle porte à son achèvement,
elle a des effets économiques massifs : elle va
élever énormément la productivité du travail et celle
des moyens matériels de production. La tendance à
la baisse du rapport capital-produit qui en résulte est
jusqu’à présent captée par l’accumulation de profits
financiers et par les multinationales. Elle a aussi comme
conséquence la montée du chômage surtout dans les
pays les plus industrialisés. Mais elle peut ouvrir la voie
à une logique économique tout à fait inédite, avec de
nouveaux critères de gestion favorisant les dépenses
de formation et les prélèvements publics et sociaux.
Ainsi se dessinerait un processus pouvant tendre au
dépassement des critères de rentabilité, et des relations
marchandes elles-mêmes.
Mais la révolution informationnelle a des effets tout
aussi massifs dans le domaine de la culture : l’Internet
permet déjà d’expérimenter les prémices d’un dépassement
de l’opposition auteur-lecteur, créant les
conditions de ce que Paul Boccara appelle « une culture
d’intercréativité de tous les êtres humains ».
D’autres changements dans la civilisation présentent les
mêmes potentiels révolutionnaires. Ainsi Paul Boccara
cite-t-il la révolution monétaire, la révolution écologique,
la « double révolution démographique » (réduction
de la fécondité et allongement de la vie), la révolution
parentale qui multiplie les familles recomposées et bouleverse
les moeurs, la révolution migratoire, la révolution
militaire… Il rattache les deux premières à l’ordre
économique et les autres à l’ordre anthroponomique.
Mais toutes ont des effets dans tous les domaines de
la société et permettent d’imaginer les bases d’une
civilisation radicalement nouvelle.
Ce cadre d’analyse permet de produire un diagnostic de
la crise dans ses aspects économiques mais aussi dans
économie et politique 678-679 janvier - février 2011
bataille idéologique
48
ceux qui touchent à la montée de l’individualisme,
aux crises d’autorité, aux conflits sur les moeurs et
les valeurs. Les révolutions tunisienne et égyptienne,
survenues depuis la parution de la note, donnent un
relief supplémentaire aux exigences de démocratisation
et à la conclusion selon laquelle « l’exacerbation de la
marchandisation, de ses inégalités, de ses gâchis et de
ses rejets sociaux, au plan économique et, au plan anthroponomique,
des divorces entre pouvoirs délégués et
représentations dominantes avec les populations et leurs
aspirations, fait grandir les besoins de transformation de
toute la civilisation à l’échelle de toute l’humanité ».
Mettant en parallèle les dimensions économiques et
anthroponomiques de la crise, Paul Boccara montre
comment le dépassement des quatre marchés du capitalisme
mondialisé (dépassement du marché du travail
par la construction graduelle d’une sécurité d’emploi
et de formation, des marchés monétaires et financiers
par un nouveau crédit et par la monétisation des dettes
publiques, des marchés de biens et services avec de
nouveaux critères de gestion sociaux et écologiques
et par l’essor des services publics, du marché mondial
par la coopération et le codéveloppement) peut aller
de pair avec le dépassement des procédures délégataires
et représentatives caractéristiques du libéralisme. Ainsi,
dans les relations parentales, on voit monter l’exigence
de promouvoir dans la famille les droits des femmes,
des enfants, des personnes âgées ; dans de nouveaux
services publics, les droits des usagers ; en politique,
l’exigence de nouveaux pouvoirs depuis l’entreprise, de
l’émancipation des assemblées parlementaires vis-à-vis
des exécutifs, de la mise en pratique d’interventions
directes décentralisées et de concertations jusqu’aux
niveaux européen et mondial.
Un des aperçus les plus nouveaux porte sur l’hypothèse
d’une civilisation de toute l’humanité, intégrant tout
en les dépassant « les apports de libertés de l’Occident,
mais sans l’égoïsme et les monopoles, et les apports de
solidarité de l’Orient et du Sud, mais sans les dominations
hiérarchiques », ce qui peut inclure un nouvel
humanisme et un rapprochement oecuménique des
religions…
Cette première synthèse de Paul Boccara pourra servir
de « boîte à outils » pour interpréter le monde contemporain,
et pour travailler à le transformer. Mais gageons
que l’auteur souhaiterait davantage : la développer et
faire appel à l’« intercréativité » de ses lecteurs dans
l’élaboration des voies d’une nouvelle civilisation. 

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.