En 2007, le candidat Nicolas Sarkozy avait annoncé vouloir s’attaquer au défi de la dépendance. La création d’un « cinquième risque » a été constamment réaffirmée par le président de la République. Elle devait faire l’objet d’un projet de loi reporté après la « réforme » des retraites. Le débat s’est déjà engagé, avec beaucoup de confusions, mais le texte définitif sera présenté dans le cadre du PLFSS pour 2012.
Le rapport : une introduction pour justifier les choix du Président
Rendons gré à Mme Rosso pour sa franchise. Son introduction lève sans fausse pudeur le voile sur l’objet de sa mission : justifier les choix du président en matière
de politique sociale. La dépendance est un volet de la
réforme menée contre la protection sociale française
héritée du CNR, en lien avec la réforme des retraites à
laquelle ce nouveau plan succède, avant celui annoncé
après 2012, de l’Assurance-maladie. Nous sommes
confrontés à une nouvelle étape du démembrement de la
sécurité sociale, attendu et déjà anticipé par les acteurs du
marché assurantiel. L’arme fatale, théologique, de ceux
qui la démontent est la notion totalement artificielle
créée de toutes pièces nommée 5e risque. Ce risque nouveau
nous menace tous, et la société ne peut y faire face
en l’état, ayant déjà dû renoncer à la garantie de soins de
qualité pour tous et à une retraite digne pour tous.
La dépendance : essai de définition
Mme Rosso limite sa définition à celle de la loi : la
dépendance est définie comme l’état de la personne qui,
nonobstant les soins qu’elle est susceptible de recevoir, a besoin
d’être aidée pour l’accomplissement des actes essentiels
de la vie, ou requiert une surveillance régulière.
Bernard Ennuyer, sociologue, écrivait en 2003 : on
peut opposer à la vision médicale « incapacitaire » de la
dépendance, une autre vision plus relationnelle, [...] « la
dépendance-lien social ». La dépendance « incapacitaire »
renvoie à un état de vieillesse, essentiellement individuel
et biologique. La « dépendance-lien social » renvoie à une
vieillesse qui est le résultat d’un parcours social et biologique,
dans une forme d’organisation sociale déterminée.
Selon ma propre conception de médecin généraliste
confronté au quotidien, la dépendance n’est pas un
risque au sens assurantiel : c’est une menace à ce qui
caractérise la condition humaine, la dignité, et pour
laquelle le progrès médical et social, s’il est partagé et
solidaire, doit permettre à tous de faire face et idéalement
de s’en affranchir.
La dépendance est la résultante multifactorielle de
situations qui jalonnent la vie de tout individu, parfois
prévisibles, parfois non : physiques, psychologiques,
Le rapport Rosso-Debord :
étape du démantèlement
de la Sécu éric May (1)
En 2007, le candidat Nicolas Sarkozy avait annoncé vouloir s’attaquer au défi de la
dépendance. La création d’un « cinquième risque » a été constamment réaffirmée par
le président de la République. Elle devait faire l’objet d’un projet de loi reporté après la
« réforme » des retraites. Le débat s’est déjà engagé, avec beaucoup de confusions, mais le
texte définitif sera présenté dans le cadre du PLFSS pour 2012.
cognitives mais aussi matérielles, sociales et familiales…
Elle rend un individu au cours de sa vie dépendant
d’autres individus, qui peuvent être membres de la famille,
des amis ou des voisins (les aidants naturels) mais
qui sont de plus en plus des professionnels missionnés
pour assurer leur bien être dans toutes ses dimensions.
Elle justifie la mise en oeuvre de moyens et d’expertises
diverses pour assurer à un individu la poursuite de son
existence dans la dignité.
Un rapport démonstratif et doctrinaire
L’état des lieux
Le rapport trace un panorama de la dépendance tronqué
et partial au travers du seul prisme d’éléments
économiques, analysés de façon idéologique et partisane
: la responsabilité du déficit des finances publiques
dans la crise économique et sociétale française justifie
la nécessité « inévitable », rappelée à plusieurs reprises
dans le rapport, de rompre avec le modèle de protection
sociale solidaire.
Par contre, si les données démographiques rapportées
sont synthétiques et intéressantes, aucune analyse
n’est faite, en termes de besoins et de financement,
des perspectives que les projections démographiques
annoncent :
Un habitant sur trois en France aura plus de 60
ans en 2050 (contre 1/5 aujourd’hui), soit une augmentation
de plus de 50 % pour une population de
70 millions d’habitants.
En 2010, 1,1 million de personnes sont bénéficiaires
de l’APA :
a. La DRESS a annoncé en 2006 une augmentation
de 1 % par an des bénéficiaires de l’Allocation pour
Personnes Agées jusqu’en 2040.
b. La maladie d’Alzheimer touchait en 2004 un
peu plus 856 000 personnes en France mais seule la
moitié était diagnostiquée ! En 2040, il est attendu
2 156 618 malades soit une progression de 150 % !
Ces données ne sont pas sans conséquences sur la
réflexion qui doit déterminer la nature et l’ampleur
des moyens qui seront nécessaires aux personnes en
situation de dépendance dans les 30 prochaines années.
Surtout quand le rapport fait 2 constats :
Depuis la mise en oeuvre du dispositif APA créé par
la loi du 20/07/2001, le nombre de bénéficiaires est
passé de 605 000 à 1 128 000 entre 2002 et 2009, soit
un doublement quand les dépenses grimpaient plus
vite, de 1 855 milliards d’euros à 5 116 milliards dans
le même temps (x 2,75) !
Les moyens alloués à la dépendance sont aujourd’hui
insuffisants : de nombreuses personnes restent en dehors
des dispositifs d’aide et il existe une sous déclaration
des personnes dépendantes à l’exemple des malades
atteints de maladies neuro-dégénératives !
Alors quels sont les besoins aujourd’hui ? Demain ? Et
comment en assurer le financement de façon pérenne
et suffisante ? Aucun élément dans ce rapport qui
éclairerait les citoyens et leurs représentants à l’heure
des choix. Aucun chiffrage, même simple (22 milliards
en 2010, 33 milliards en 2040 ?) n’est proposé qui
donne une idée précise du niveau de financement que
le système choisi (public et solidaire, ou privé) devra
abonder. Pourtant, certaines hypothèses annoncent
entre 2000 et 2050 une croissance de 40 % des seules
dépenses de santé liées au vieillissement et le budget de
la santé finirait par représenter le tiers du PIB…
Les auteurs n’offrent qu’une analyse du financement
de la dépendance pour 2010 :
22 milliards lui seront consacrés en 2010, soit 1,1 %
du PIB qui se répartit :
– pour la Sécurité sociale : 13,45 milliards dont
11 pour l’Assurance-maladie (4,7 pour l’hôpital et
la médecine de ville, 6,3 pour les établissements type
EPAHD) ;
– pour les départements, qui financent l’APA, l’ASH
et certaines aides à domicile : 6,1 milliards d’euros
(7,2 bruts) en 2008 ;
– les financements gérés par le CNSA : 3 milliards,
issus de la Contribution Sociale Autonomie et la
CSG (0,1 %) ;
Deux observations :
Une part du financement de la dépendance (50 % !)
est assurée par l’Assurance-maladie selon les auteurs. Mais
pourquoi l’isoler de la Sécurité sociale ? Sinon pour laisser
penser que celle-ci est désormais divisible en parts redistribuables
aux mieux offrants (assurances, mutuelles).
La baisse de la contribution de la Caisse Nationale
de Solidarité pour l’Autonomie au financement de
l’APA, passée de 43 % en 2002 à 28,5 % en 2010. En
valeur absolue, elle n’a fait que doubler (passant de
798 millions d’euros à 1 538 en 2010) quand la part des
départements était multipliée par 3,5 (passant de 1057
en 2002 à 3858 millions d’euros en 2010). Mais entre
des départements étranglés par les transferts de charge
de l’État et la diminution de leurs recettes, et la CNSA
qui s’appuie sur des ressources limitées et socialement
injustes, CSG et contribution solidarité autonomie,
c’est la pérennité du dispositif qui est menacée. Loin
d’examiner les responsabilités des politiques gouvernementales
depuis 2002 dans la gestion globale du dispositif
existant, et leur absence (apparente) d’anticipation,
le rapport fait de façon doctrinaire des difficultés des
finances publiques et de la protection sociale la meilleure
preuve du caractère moribond d’un système public et
solidaire qui ne répondrait plus aux enjeux.
Au total, déficits des finances publiques décrites comme
« exsangues » (sic), qui menacent la vitalité économique
de la France, déficit de la Sécurité sociale, et poids du
vieillissement de la population, c’est un tableau apocalyptique
qui est décrit à tous les lecteurs du rapport.
Le bilan du système en place
Le rapport n’épargne presque aucun des acteurs et se
fait le critique des insuffisances et défaillances de l’organisation
fonctionnelle de la dépendance :
Les professionnels soignants de la dépendance : défaillants
dans le repérage, la prévention et le diagnostic
de la perte d’autonomie. Le manque de formation
initiale et continue dans le champ social des soignants
est relevé justement mais alors pourquoi ne pas en interpeller
les responsables : ceux qui mènent la politique de
santé et de formation ? Les défauts d’articulation entre
les acteurs médicaux et sociaux sont aussi pointés du
doigt. Les ARS seraient source d’efficacité. Mais la crise
de la démographie médicale, de la médecine libérale,
et les coupes sombres des effectifs des services sociaux
de l’État, des départements et des collectivités au
nom de la réduction des déficits budgétaires ont pour
conséquence l’incapacité de « trouver le temps » pour
le travail de coordination indispensable aux missions
de repérage et de prévention.
Les associations d’aides à la personne à domicile
privilégiées aux dépens d’organismes publics,
sont aujourd’hui en difficulté : diminution des aides
au secteur associatif conséquence de la politique gouvernementale,
concurrence par les entreprises privées
favorisées par le plan Borloo en 2005. Les auteurs
notent aussi que la place des aidants naturels, pour la
plupart bénévoles, jeunes retraités et enfants des bénéficiaires,
est amenée à se réduire considérablement. Ils
oublient de mentionner que le recul de l’âge de départ
à la retraite va aggraver ce phénomène.
Les EHPAD : 10 300 structures en 2007 accueillaient
595 000 résidents (76 % de la population en structure
d’hébergement, les autres étant en maison de retraite,
foyers ou en hébergement temporaire), d’âge moyen à
l’entrée de 83 ans et 10 mois, dont 84 % et de GIR 1 à 4
dont 55 % en 1 et 2. Elles sont l’objet de critiques de la
part des auteurs que l’on partage même si les causes sont
ignorées ou éludées : tarifs rendus prohibitifs par la récupération
de l’amortissement de leur construction auprès
des pensionnaires, pratiques contestables de responsables
d’établissements, médicalisation inégale des structures,
statut non bordé des intervenants médicaux, médecins
coordinateurs et libéraux, inégalités territoriales d’accès
aux structures et inégalités de services aux personnes
selon le niveau de prestation offert, enfin inadéquation
entre l’offre développée de type résidentiel et les besoins
des résidents et des familles qui transforment les structures
en unité des soins palliatifs.
Enfin le système d’évaluation de la dépendance, d’attribution
des ressources et de leur gestion :
a. Basée sur la grille AGGIR, l’évaluation fait intervenir
des acteurs aux intérêts divergents et pas
forcément au service des personnes dépendantes
(à l’instar des médecins évaluateurs des assurances
privées mais peut-être aussi de ceux des conseilsgénéraux, financeurs principaux de l’APA). Elle apparaît
moins comme un problème que comme un
enjeu pour les futurs financeurs de la dépendance
pressentis par la mission.
b. La gestion des aides par les départements mise en
cause : inégalités territoriales de la charge financière
et diversité de politique de récupération des fonds,
les difficultés des départements sont évoquées surtout
pour signaler que les politiques des conseils généraux
varient d’un département à l’autre et amènent une
déclinaison territoriale inhomogène d’une politique
déterminée, elle, au niveau national.
La principale conséquence néfaste du système est le
reste à charge jugé à juste titre inacceptable et insupportable.
Le constat est terrible mais perd de sa pertinence
en omettant de mentionner la responsabilité directe de
la politique sociale du gouvernement.
Pour les soins, Il est de plus de 1 000 euros par an en
moyenne pour les personnes de plus de quatre-vingts
ans, dont plus d’une sur deux est pourtant prise en
charge en ALD. Les causes de cette explosion du reste à
charge sont omises dans le rapport : déremboursement
des prestations médicales, des médicaments et des
dispositifs médicaux, forfaits hospitaliers.
Le coût des hébergements en structure, prohibitif,
il varie en moyenne de 2 500 à 5 000 euros ! La récupération
de l’amortissement de la construction auprès
des pensionnaires est inadmissible et notée comme telle
par les auteurs de rapport.
Le rapport vante les plans Alzheimer et Grand âge.
Ses auteurs oublient 2 éléments : les moyens sont
insuffisants (1,4 milliard d’euros sur 5 ans, moins de
280 millions par an) ; le financement en est assuré par
les franchises médicales aggravant le reste à charge
des patients et particulièrement celui des personnes
dépendantes puisque lié au niveau de consommation
de soins qui est élevé pour elles.
Les propositions de la mission
Au nombre de 17, elles sont :
– mesure gadget (la consultation dépendance) ;
– voeu pieux qui n’engage à rien : lancer des études sur
l’hospitalisation des personnes âgées ; encourager la
télémédecine ; asseoir le rôle du CNSA ;
– honorable : mettre fin à l’imputation des frais
d’amortissement des structures d’accueil dans le reste
à charge des résidents. Mais alors qui paierait ? Les
départements et le CNSA, qui deviendraient ainsi les
premiers soutiens des investisseurs privés qui gèrent
les établissements ! ;
– des mesures d’allégement fiscal fort mal venues pour
un rapport qui dénonce les déficits publics.
Les propositions ne sont jamais assorties d’une évaluation
des moyens nécessaires pour les mettre en oeuvre. Elles
n’ont d’autres fonctions que d’amener et justifier la proposition
phare des auteurs du rapport dont on a compris
qu’elle est la traduction concrète des projets gouvernementaux,
la proposition n° 12 : La création d’une assurance
dépendance, individuelle, privée et obligatoire.
Qualifiée d’universelle, elle a pour fonction de remplacer
le CAPA (ce qui ne déchargerait pas forcément
les départements et le CNSA encouragés, on l’a vu, à
financer la construction d’EHPAD…)
C’est alors qu’apparaissent pleinement les objectifs de
la mission Rosso-Debord :
Démontrer les insuffisances de la prise en charge en
2010 de la dépendance et de ses financements publics
et socialisés, pour mieux préparer le passage à une
logique assurantielle individuelle qui est la même que
celle proposée pour les retraites (capitalisation) et pour
l’Assurance-maladie (complémentaires à la charge du
contractant). On pourrait qualifier le projet du gouvernement,
la création du 5e risque et celle d’une assurance
obligatoire, de vente à la découpe de la protection
sociale livrée en pâture au marché. La rentabilité est
d’ailleurs garantie aux futurs opérateurs par au moins
deux des dispositions proposées : le caractère obligatoire
de l’assurance à partir de 50 ans offrant un marché prospère
à moyen terme puisque qu’en 2040 c’est plus de
20 millions de Français qui en seraient souscripteurs ;
par ailleurs, le retrait des personnes classées GIR 4 des
dispositifs APA en feront autant d’exclus à terme des
indemnisations assurantielles.
Conclusion
La politique en matière de protection sociale menée
depuis 2007 par Nicolas Sarkozy vise à démanteler
l’héritage du CNR et à mettre en place un système
assurantiel privé à l’anglo-saxonne régulé par le marché.
Il doit remplacer le système français basé sur la solidarité
et sur un financement socialisé qui a pour objet de garantir
à tous l’accès à des droits fondamentaux : la santé,
l’autonomie, la dignité. Le discours officiel met en avant
la volonté de réduction des déficits publics mais la réalité
paraît surtout guidée par les intérêts des grands groupes
assurantiels piaffant d’impatience et qui ne cachent pas
être prêts à se substituer à la Sécurité sociale, tout au
moins là où les bénéfices paraissent assurés.
Le rapport Rosso-Debord met en lumière les limites
d’un système qui n’en est pas moins resté relativement
efficace jusqu’à aujourd’hui. Ses imperfections, les nécessités
de son adaptation aux besoins ne remettent pas
en cause les principes sur lesquels il est fondé comme
les auteurs veulent le faire croire. Elles marquent les
limites d’aujourd’hui et plus encore celles de demain
au vu des enjeux, qui sont essentiellement le manque
de moyens, c’est-à-dire de financements qui pour
être distribués avec justice à tous selon ses besoins ne
peuvent que reposer sur un ou des services à vocation
publique et solidaire.
Car quelles seront les garanties offertes par les assurances
dans un contrat dépendance aux clauses d’exclusion
dont on ne doute pas qu’elles seront subtiles mais bien
réelles, comme le prévoit le rapport Rosso-Debord
quand les accidents de la vie, les maladies ou les événements
familiaux ou sociaux précipiteront brutalement
les personnes dans un état dépendance ou aggraveront
un état préexistant et justifieront la mise en oeuvre
de moyens coûteux ? L’enjeu est bien aujourd’hui de
préserver et développer les valeurs fondatrices de la
Sécurité sociale face aux besoins sociaux nouveaux du
xxie siècle dont nous écarte le concept du 5e risque et
son financement privatisé, externalisé du financement
de la protection sociale.
(1) Médecin directeur du CMS de Malakoff, 92.
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