Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Présentée comme une arme anti-délocalisation par la droite, la « TVA sociale » vise à réduire le coût du travail pour les entreprises en transférant sur la fiscalité des ménages une part du financement de la protection sociale. Inscrite dans le mouvement de financiarisation des revenus des entreprises, la proposition renforce la domination de ces dernières par les banques et les marchés financiers, et joue contre l’emploi et le financement solidaire de notre protection sociale.
Assurer une réelle efficacité des entreprises françaises et renforcer l’activité productive du pays appellent d’autres solutions. La baisse des charges financières des entreprises, plutôt que leurs charges sociales, pour leur redonner du souffle. L’intégration des actifs financiers des entreprises dans l’assiette de calcul des cotisations sociales pour sécuriser le financement de la protection sociale. La création de nouveaux droits d’intervention des salariés dans les décisions de gestion des entreprises.

En quoi consiste la « TVA sociale » ?

Il s’agit, simultanément, de :
 
  •  Réduire les cotisations sociales patronales ;
  •  Augmenter la TVA à due concurrence.
Autrement dit :
  • Baisser le « coût du travail » pour les patrons ;
  •  Faire financer le manque à gagner pour la « Sécu » par une augmentation de l’impôt sur la consommation des familles et, donc, progresser dans la voie d’une fiscalisation de la protection sociale, au détriment de son financement mutualisé à  partir de la valeur ajoutée produite dans les entreprises.
J.-F. Copé plaide pour une augmentation de un point de la TVA, donc :
  •  Le taux normal auquel est assujetti l’essentiel des ventes de marchandises et de services en France passerait de 19,6 % à 20,6 % ;
  • Le taux réduit (produits alimentaires, « biens culturels ») passerait de 2,1 % à 3,1 % ;
  •  Le taux super-réduit (médicaments remboursables, presse...) passerait de 2,1 % à 3,1 %.
Un point en plus de TVA signifie un prélèvement supplémentaire de 6 milliards d’euros en année pleine sur la consommation des familles. Les recettes de TVA (130,6  milliards d’euros en loi de finances 2011) représentent 51,3 % des recettes fiscales nettes totales de l’État.
 
Un smicard supporte un prélèvement de plus de 8 % sur son revenu annuel du seul fait de la TVA. Ce prélèvement passerait donc à 9 % ! À noter que plus le revenu est élevé et moins cette proportion est forte. La TVA est l’impôt le plus aveugle et le plus inégalitaire qui soit.
 

Quels buts « positifs » prétend-elle viser ?

Trois buts « positifs » sont évoqués par ses partisans :
  • Le développement de l’emploi ;
  •  La lutte contre les délocalisations ;
  •  L’amélioration du solde du commerce extérieur de la France.
 
Avec de nouveaux allégements de cotisations sociales, les entreprises produisant en France auraient des coûts de production moindres. Elles baisseraient leurs prix de vente, ce qui neutraliserait l’effet inflationniste de la hausse de TVA. Et, tandis que les importations en France de produits étrangers verraient leurs prix immédiatement augmenter sous l’effet de cette hausse, les exportations à partir de la France, ne la supportant pas, seraient plus compétitives. Les patrons ne seraient plus tentés alors de délocaliser...
C’est ce type de raisonnement qui conduit un Copé à essayer de vendre la TVA sociale en l’appelant « TVA anti-délocalisation ».

La réalité est tout autre

De 1992 à 2009 inclus, ce sont 285,7 milliards d’euros qui, en cumulé, auront été accordés aux entreprises sous forme de baisses de cotisations sociales patronales (1).
Dans les comptes nationaux (INSEE) la part des richesses produites chaque année par les sociétés non financières (valeur ajoutée brute) prélevée au titre des cotisations sociales patronales est passée de 16,15 % en 1992 à 14,98 % en 2010.
Simultanément, la part de ces richesses absorbée chaque année par les prélèvements financiers (intérêts + dividendes) est passée de 20,20 % à 34,11 %.                                                                           
                                                                                                  
    1992    2010
Valeur Ajoutée  brut 557,4 956,3
 

Cotisations sociales patronales 

90,0 143,3
 

Intérêts+dividendes versés

112,6   326,2

Source : ACOS STAT n°118 (milliards d’euros)

 
Cela a marché de pair avec :
 
  •  Une progression du sous-emploi : emplois à temps partiel contraint, intérim, emplois « aidés » et maintien d’un chômage de masse élevé ;
  • Une pression à la baisse des bas et moyens salaires, avec la mise en concurrence généralisée des travailleurs ;
  •  D’une tendance à l’accélération des hausses de prix, avec le passage à l’euro, sur les dépenses incom- pressibles (logement, assurances, énergie, santé...) dont le poids est d’autant plus lourd dans le budget des familles que leur revenu est faible.
  •  Une accélération des délocalisations : plus de 80 % des bénéfices nets des sociétés du CAC-40 sont réalisés à l’étranger. Les flux d’investissements directs français à l’étranger ne cessent de croître :
 
2004             2005                 2006                   2007                 2008                   2009*
-45,7               -92,5                -88,2                -123,5               -136,8                 -122,9
Source : Banque de France (milliards d’euros) * Estimation
 
En 2009, selon la Banque de France, le stock des investissements directs français à l’étranger atteignait 1106,1 milliards d’euros (en valeur comptable) contre 793,6 milliards d’euros en 2006.
 
  •  Un accroissement du déficit commercial de la France :
1997             2003                 2006                   2007                   2008                2009            2010*
23,79               1,14              -28,24                   -40,5                  -59,4                 -44,6            -53,0
Source : Banque de France (milliards d'euros)
* à fin novembre sur 12 mois
 
En réalité, les baisses de cotisations sociales patronales dé-responsabilisent les entreprises vis-à-vis de l’emploi, de la formation, de la croissance nationale.
Les profits qu’elles rendent disponibles servent aux placements et prélèvements financiers et non à baisser les prix pour les consommateurs ou à investir dans l’essor de capacités en France. Elles encouragent une utilisation des nouvelles technologies par les entreprises, avant tout, contre l’emploi. Cela finit par casser les ressorts de la croissance nationale. Ne trouvant plus, alors, la croissance nécessaire en France, les grandes entreprises vont la chercher là où il y en a : aux États-Unis et dans les pays émergents.

 

La hausse de la TVA accentuerait ces effets pervers :

‒ prélèvement supplémentaire sur les revenus des foyers populaires ;
‒ diminution de leur pouvoir d’achat du fait des hausses de prix ;
‒ inégalités accrues : prélèvement d’autant plus important sur les revenus du foyer que ceux-ci sont modestes et accroissement des revenus financiers du capital des foyers les plus riches.

 

La « TVA sociale » n’empêcherait pas les délocalisations et accentuerait la guerre économique :

‒ Du fait du freinage de la demande intérieure et de l’insuffisance des qualifications, les délocalisations continueraient de plus belle. Elles redoubleraient vers les pays les plus avancés, États-Unis en tête, dans le domaine des nouvelles technologies qui exigent beaucoup de qualifications, de recherche, de salaires. Mais elles ne diminueraient pas pour autant dans le domaine des productions plus banalisées, car la baisse du « coût du travail » maintiendrait la France toujours très au-dessus de la Chine, de l’Inde, des pays émergents.
‒ Par contre, cela accentuerait la guerre économique, en Europe notamment, sans du tout aider au relâchement des dominations américaines ou allemandes. La « TVA sociale  jouerait, en effet, le rôle d’une « dévaluation » compétitive » pour les profits des exportateurs et d’une « protection des rentes financières » face à la pénétration des importations, le tout entraînant la riposte des autres pays.
 

La « TVA sociale » favoriserait l’asphyxie du pays par les charges financières :

‒  Elle réduirait le financement mutualisé de la protection sociale qui est calculé sur la masse salariale mais prélevé à partir de toute la valeur ajoutée des entreprises. Elle accroîtrait, au contraire, la fiscalisation de ce financement, déresponsabilisant les entreprises et augmentant le poids des prélèvements sur les travailleurs.
‒ Freinant la croissance réelle, elle encouragerait les placements financiers et accroîtrait le poids des « charges financières » sur les entreprises et le pays.
 
En 2010, selon Les comptes de la Nation, les sociétés non financières ont acquitté pour 143,3 milliards d’euros de cotisations sociales patronales, mais elles ont eu à supporter pour 326,2  milliards d’euros de charges financières et de dividendes.

Répondre autrement aux problèmes posés 

L’enjeu est double. Il est nécessaire de créer les conditions d’une meilleure efficacité des entreprises opérant en France. Au lieu de poursuivre dans la baisse obsessionnelle du « coût du travail », il s’agit de baisser les charges financières qui étouffent les entreprises et de mobiliser le crédit des banques, jusqu’à la BCE, pour financer autrement la création de richesses en coopération.
 
Simultanément, il s’agit de réformer en profondeur le financement de la protection sociale dans un sens favorable à une sécurisation de l’emploi et de la for- mation.

Baisser les charges financières plutôt que les « charges sociales » pour accroître l’efficacité des entreprises :

Ce sont à ces charges financières étouffantes que le PCF propose de s’attaquer, plutôt qu’aux cotisations sociales patronales qui sont des «  charges  utiles à la » protection et à la promotion des capacités humaines.
Pour cela, il propose d’en finir avec la baisse de ces cotisations et de verser l’argent de l’État consacré à les alléger (27,3 milliards d’euros en 2009) à un Fonds national de sécurisation de l’emploi et de la formation.
Ce Fonds prendrait d’autant plus en charge (bonifications) les intérêts payés aux banques par les entreprises sur les crédits pour leurs investissements que ceux-ci programmeraient plus d’emplois et de formations. En avançant dans la construction de cette nouvelle insti- tution, à l’appui des luttes pour l’emploi et les salaires, on commencerait à peser pour une réorientation de la Banque centrale européenne (BCE) avec une politique monétaire encourageant d’autant plus le crédit bancaire que celui-ci servirait à financer des investissements plus créateurs d’emplois et de formation. Par contre, elle pénaliserait d’autant plus les crédits qu’ils serviraient à financer des opérations purement financières. Cela marcherait de pair avec un recul des facteurs de mise en concurrence coupe-gorge des salariés en Europe.
 
Tout de suite, dans les régions où la gauche est majoritaire, il est possible d’engager les premières fondations de cette construction en exigeant qu’une partie des lignes de crédit d’action et de développement économique de chaque budget régional soit redéployée pour doter un Fonds régional de sécurisation de l’emploi et de la formation. À l’appui des luttes pour l’emploi et contre les délocalisations, ces Fonds régionaux permettraient de commencer à engager une transformation des relations banques-entreprises sur le terrain et favoriseraient le rassemblement à gauche contre la TVA sociale et pour une tout autre mobilisation du crédit et de la monnaie.

Pour une réforme profonde du financement de la protection sociale :

Simultanément, le PCF propose une réforme profonde du financement de la protection sociale. Une mise à contribution des produits financiers des entreprises et des banques marcherait de pair avec un nouveau calcul de la cotisation sociale patronale. Celle-ci, demeurant assise sur la masse des salaires versés, verrait son taux modulé en fonction d’un ratio rapportant, pour chaque entreprise, les salaires versés à la valeur ajoutée globale (produits financiers inclus). Ainsi serait sécurisé le financement de la protection sociale et les modalités retenues pour cela contribueraient à sécuriser l’emploi et la formation.

Ces propositions sont aussi une alternative au projet, avancé par le PS, de poursuivre dans la voie de la fiscalisation du financement de la protection sociale avec l’augmentation de la CSG qui ne frappe que les revenus des ménages et, pour l’essentiel, les revenus du travail et de remplacement, puis la fusion avec l’impôt sur le revenu. De même, elle est une alternative à la proposition consistant à faire basculer le calcul d’une partie des cotisations sociales sur la valeur ajoutée des entreprises, ce qui rendrait les recettes issues de ces cotisations dépendantes de l’évolution des profits (variables et très délocalisables), au lieu de les laisser ancrées à la seule masse salariale.

Des mesures radicales contre les délocalisations sauvages :

On peut exiger que, pendant une période de 18 mois au moins (2), les comités d’entreprise disposent d’un pouvoir de recours suspensif contre toute décision de délocaliser.
 
Sur cette période, l’entreprise concernée, avec l’aide de ses principaux donneurs d’ordres s’il s’agit d’un sous- traitant, et dans tous les cas, du service public et social de sécurisation de l’emploi et de la formation, pourrait être tenue de créer les conditions, sinon d’un maintien des emplois avec modernisation éventuelle, du moins d’un reclassement choisi, en interne ou en externe, des salariés dont l’emploi est vulnérabilisé. Tout refus de la part de l’employeur concerné entraînerait le paiement en astreinte d’une forte amende journalière.
 
De même, l’entreprise, directement ou par son réseau, qui réimporte en France des productions qu’elle a délocalisées serait soumise à une taxation fortement dissuasive. On pourrait en même temps œuvrer pour que soit effectivement pratiquée une « préférencecommunautaire européenne  articulée à une nouvelle »coopération d’avantages mutuels avec les pays en développement et émergents. 
 
 
(1) ACOS STAT, N° 118, décembre 2010.
(2) En cohérence avec la proposition de généralisation et d’amélioration très renforcée de la pratique du congé de reclassement (se reporter à la maquette pour une proposition de loi de sécurisation de l’emploi et de la formation publiée dans Économie et Politique de mars-avril 2007).

 

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