Codirecteur d’économie et Politique, membre du conseil national du PCF
Merci aux participants qui ont répondu à l’initiative de Ian Brossat pour laquelle il a demandé l’appui de la commission économique du PCF. Je salue la présence de syndicalistes, de candidats, des animateurs de la commission Services publics du PCF Isabelle Mathurin et Jean-Marc Durand.
Les services publics sont un des sujets les plus activement débattus dans les mobilisations sociales et dans la campagne pour les élections européennes : toute notre société souffre de leur étranglement financier, de leur dépérissement organisé dans les territoires, de l’épuisement des agents chargés d’en faire bénéficier la population. Mais il y a aussi une énorme attente de services publics, dans les esprits, sur les ronds-points, dans la rue, de la part de tous ceux qui affrontent les difficultés de la vie quotidienne, de la précarité, des bas salaires. Emmanuel Macron répond en demandant aux Français quels services publics ils sont prêts à abandonner pour permettre de baisser les impôts ! D’autres – par exemple les auteurs des 66 propositions du « pacte pour le pouvoir de vivre » dont ce dossier contient une analyse critique – proposent un « bouclier » de services publics.
Pour répondre aux défis sociaux, écologiques, économiques, financiers, culturels, politiques qui travaillent notre xxie siècle, notre société a besoin de bien plus que de timides corrections des conséquences du capitalisme financiarisé en crise. Elle a besoin d’une expansion de nouveaux services publics, démocratiquement gérés avec de nouveaux pouvoirs de leurs agents et de leurs usagers, développant des coopérations intenses avec leur environnement économique.
Dans ce que nous appelons le communisme, à la fois but et chemin vers une civilisation visant au développement de toutes les capacités humaines, nous concevons ce développement de nouveaux services publics comme une étape pour dépasser radicalement des marchés mondialisés en crise, où la concurrence, pilotée par la pression insatiable des capitaux financiers à la recherche de rentabilité, produit gâchis de capacités humaines, inégalités grandissantes et tendance permanente à la déflation.
« Les services publics doivent être une pierre angulaire de la construction d’une nouvelle citoyenneté et de la promotion de biens communs dans tous les domaines, écrit ainsi le document adopté au 38e congrès du PCF. Il s’agit de contester la domination du marché et de la concurrence aveugle, promue par les institutions européennes, pour promouvoir un système de coopération où les services publics rénovés et de nouvelles entreprises publiques joueraient un rôle décisif d’entraînement. »
C’est donc une toute autre conception des services publics. On a donc besoin d’une toute autre conception de l’Europe.
Mais par où commencer ? Faire d’une modification des traités un préalable ? Cela supposerait l’unanimité de 27 gouvernements pour ouvrir une négociation, la conclure, ratifier les nouveaux traités… En attendant, la situation aura tout le temps de se dégrader de façon irréversible. Mais de l’autre côté, on ne coopérera pas en Europe en commençant par exacerber la concurrence entre pays par des Brexit ou autres Frexit !
Heureusement, changer l’Europe n’est pas seulement une affaire de gouvernements. C’est l’affaire des peuples et de leurs mobilisations sociales et politiques.
Dès aujourd’hui, on peut rassembler des forces pour exiger les embauches et les investissements dont les hôpitaux, les écoles, les universités, les transports publics, la production d’énergie décarbonée, l’accueil des réfugiés… ont besoin. Économiquement viables et bénéficiant d’une forte légitimité démocratique, ces projets de développement des services publics sont de ceux dont on peut alors exiger qu’ils soient financés en priorité par la Banque centrale européenne avec son pouvoir de création monétaire. C’est l’objet de la proposition d’un Fonds de développement économique, social, écologique solidaire européen qui va être débattue ce soir.
C’est un débat qui s’impose dans l’actualité : voir la note de Patrick Artus qui s’attache à réfuter l’idée qu’il faudrait cibler la création monétaire de la BCE.
Or, c’est une question politique cruciale : Macron dit qu’il veut créer une banque pour la transition écologique. 600 personnalités proposent une « banque européenne du climat et de la biodiversité »… mais en excluant qu’elle se finance auprès de la BCE ! Mais où va-t-on trouver l’argent ? Sur les marchés financiers ? Peut-être, pour des projets « rentables » comme dit Patrick Artus. Mais précisément, agir pour le climat et la biodiversité suppose de combattre cette obsession de la rentabilité et de développer les mobilisations pour des choix économiques qui privilégient la création efficace de richesses en économisant le capital financier et matériel, c’est-à-dire, en particulier, l’énergie et les ressources naturelles. Donc des choix privilégiant le développement des capacités humaines, en commençant par la sécurisation de l’emploi et de la formation.
Mais pour cela, il faut de l’argent ! Il faut donc faire sauter le verrou de l’austérité budgétaire. Il faut briser le tabou de l’euro et de l’indépendance de la BCE.
Ian Brossat a appelé l’attention là-dessus, notamment dans une lettre au président de la République : la BCE a créé 3 000 milliards d’euros depuis le début de la crise il y a douze ans. Elle l’a fait de deux façons :
– d’une part en prêtant massivement aux banques à des conditions extrêmement favorables, 4 ans d’échéance, 0 %, et même moins de 0 % si les banques prêtent aux entreprises. Le montant de ces prêts atteint aujourd’hui 724 milliards d’euros. Mais que font les entreprises de cet argent ?
– d’autre part en achetant 2 700 milliards de titres sur les marchés financiers : on a inondé les spéculateurs de liquidités en leur disant : faites ce que vous voulez de cet argent !
S’attaquer au coût du capital, exiger une autre utilisation de l’argent des entreprises, des banques et de l’argent public, est un puissant facteur de cohérence et de convergence des mobilisations sociales et politiques dans les territoires, dans les régions, au niveau national, jusqu’aux enjeux européens et mondiaux. Il y a là une voie difficile certes, mais praticable pour construire le rapport de forces qui rendra irrésistible, un jour, à l’échelle de toute l’Union européenne, l’exigence de traités radicalement différents des traités actuels.
Notre débat a pour objet d’aider au déploiement de la campagne européenne, en s’appuyant sur une triple cohérence : la cohérence dans le temps puisque le PCF s’est opposé à tous les traités qui ont donné la construction monétaire actuelle ; une cohérence politique entre les objectifs sociaux, la mobilisation des moyens de les réaliser et la conquête de pouvoirs sur l’utilisation de l’argent ; une cohérence de méthode, celle que je viens d’esquisser.
Secrétaire générale du syndicat des EHPAD du Val-de-Marne, candidate sur la liste
« Pour une Europe des gens, contre l'Europe de l'argent »
Economiste
Douanière et syndicaliste au Havre, candidate sur la liste « Pour une Europe des gens, contre l'Europe de l'argent »
Président de la Convergence nationale des services publics, conseiller régional d'Ile-de-France, République et socialisme
Secrétaire général du syndicat CGT de la SNCF*
Economiste, membre de la direction nationale du PCF, membre du CESE
Inspectrice des Finances publiques, syndicaliste aux Finances et dans la région PACA, candidate sur la liste « Pour une Europe des gens, contre l'Europe de l’argent »
Membre de la direction nationale du PCF, tête de liste communiste de la liste « L'Europe des gens contre l’Europe de l’argent » aux élections européennes du 26 mai 2019
Conclusion
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Secrétaire générale du syndicat des EHPAD du Val-de-Marne, candidate sur la liste
« Pour une Europe des gens, contre l'Europe de l'argent »
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Que vous dire du service public de santé en France ? Qu’il est extrêmement dégradé, que la Sécurité sociale, cela fait 60 ans qu’elle existe, et que ça fait 60 ans que l’on parle d’hôpital. Et que, aujourd’hui, on ne réforme plus l’hôpital par une loi organique mais par des ordonnances, c’est ce qui arrive actuellement ; c’est vrai que nous sommes dans une période de grand débat dans lequel les Français disent qu’ils veulent plus de démocratie. Buzin et Macron proposent une loi de modification et de transformation du système de santé, par ordonnances. Comme quoi, ils écoutent effectivement le peuple et ce qui se passe autour des ronds points, dans la rue, en semaine.
Ce n’est pas anodin que l’hôpital public se dégrade au même titre que les services publics. Lorsque vous avez un dogme européen qui impose un maximum de déficit budgétaire à 3 %, pour l’hôpital, et en particulier l’hôpital public, c’est mortifère. Nos lois de finance et de financement de la Sécurité sociale sont directement soumises à ce dogme. Donc forcément pour l’hôpital, ça se dégrade au fil du temps.
Je ne vais pas faire ici un constat de ce qui ne va pas dans le secteur de la santé : simplement, tous les jours il y a des morts aux urgences, tous les jours il y a des mamans qui décèdent parce qu’elles n’ont pas accès à la maternité, tous les jours, on a des personnes âgées qui sont non traitées ou mal traitées, même si je n’aime pas ce terme, dans nos services publics, parce que l’on n’a pas les moyens.
Le constat est là. Comment on en sort ? On en sort parce qu’on n’est pas tout seul à porter les questions du service public. Il faut aussi aider les syndicalistes, les usagers, les personnels, à défendre les services publics, et notamment le système de santé.
Et que fait le gouvernement ? Mais c’est en lien aussi avec les directives qui sont prises, il attaque la Sécurité sociale qui finance notre système de santé. Il exonère de cotisations sociales les employeurs, et maintenant les salariés. Il ne travaille pas l’égalité salariale hommes-femmes, alors qu›elle rapporterait 7 milliards de cotisations nouvelles à la Sécurité sociale. Il ne modifie pas les taux de cotisations en vigueur pour accroître le prélèvement social sur la richesse produite ; ce taux est toujours de 17 % du PIB, malgré la hausse du PIB, les hausses de cotisations n’ont fait que maintenir le pouvoir d›achat du prélèvement…
Comme on ne fait pas le plein-emploi, on n’a pas d’argent pour la Sécurité sociale. Aujourd’hui, on est face à une insuffisance de ressources, parce qu’il n’y a pas la volonté de donner le pouvoir aux salariés et aux partenaires sociaux à l’intérieur de la Sécurité sociale, ni la volonté de donner la parole aux travailleurs dans l’entreprise.
La situation se dégrade, c’est le chat qui se mord la queue. La situation est de plus en plus catastrophique, mais on n’arrivera pas tout seul sur ces combats-là.
Sur les services publics, l’Europe veut un pacte social avec une protection sociale, oui, mais une protection sociale de haut niveau et accessible pour tous, sans tris, ni dans les populations bénéficiaires, ni dans les soins.
On ne traite pas les malades en Grèce comme on les traite en France comme on les traite au Portugal. On ne traite pas la question de l’IVG des femmes comme on la traite en France et à Malte. En France on a 12 semaines, à Malte, c’est interdit. C’est une réalité. Aux USA, un État vient de décider que pour les femmes, l’IVG serait proscrite à partir de 6 semaines. Conséquences, on n’aura plus le droit d’avorter. C’est du grand n’importe quoi.
L’idée en Europe, c’est d’avoir aussi un état des lieux de ce qui se fait en matière de santé, d’accès pour les femmes, mais qu’on aille au mieux disant, c’est-à-dire que l’on prenne ce qui est le mieux dans chaque pays et qu’on en fasse un socle de santé pour tous. Sinon, on ne s’en sortira pas, sinon on dézingue en France. Parce qu’on a encore le meilleur système de protection sociale au monde, et ce n’est donc pas innocent si l’on casse la Sécurité sociale, ce n’est pas innocent si l’on casse les retraites, notamment avec la réforme systémique qui s’annonce, la retraite est une branche de la Sécurité sociale. On a déjà attaqué la branche famille ; on attaque le statut de la Fonction publique à grands rouleaux compresseurs.
Je rappelle que l’on sera tous dans la rue le 9 mai et que bien sûr il faut que l’on soit nombreux à défendre les services publics : plus on a de services publics, moins on a d’inégalités dans les territoires et dans les pays.
Il y a une volonté d’appauvrissement de la part de l’Europe, je pourrais vous parler de l’hôpital public, je pourrais parler de la loi travail. La loi travail, c’est loin d’être spécifiquement une affaire européenne. En Argentine, ils présentaient la loi travail au même moment où nous étions dans la rue ; il y a des mécanismes mondiaux qui font que l’Europe, elle est aux ordres de grandes puissances et nous on serait aux ordres de l’Europe ? Non…
Je pense qu’il y a à retravailler un certain nombre de questions et de liens.
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Economiste
J'ai travaillé pendant 5 ans avec Iannis Varoufakis, le fondateur de DIEM 25. J’ai quitté ce mouvement et cette collaboration ; donc je parle pour moi-même en ce moment.
Je suis très heureux qu’ait été prononcé tout à l’heure le mot austérité. Parce que c’est contre cela que l’on se bat en réalité, c’est la doctrine, c’est la politique publique qui domine aujourd’hui, particulièrement depuis la crise financière de 2008-2009 et la crise des dettes souveraines qui a suivi.
Le débat est toujours d’actualité parce que si la crise grecque est passée, l’austérité continue de tuer. Il n’y a pas d’autre façon de le dire : les politiques d’austérité tuent. Elles tuent parce qu’elles tuent l’accès, la qualité, la disponibilité des services publics et, dans certains endroits, la qualité dans la sécurité.
C’est une situation complètement infernale. Si on parle avec des enseignants des écoles en Grèce, ils ont été jetés dans une situation impossible à gérer. On connaît aussi, de façon plus large en Europe, le phénomène des gens qui ne parviennent plus à gagner leur vie en travaillant à temps plein dans les services publics. Cela fait partie des inégalités qui arrivent aujourd’hui à un niveau qui commence vraiment à heurter nos économies et nos sociétés.
Enfin, l’austérité tue notre avenir, en réalité. Aujourd’hui, on est face à des enjeux en termes d’environnement et de climat qui font que l’on a besoin d’investir plus dans un appareil productif adapté à cet enjeu-là. Quand on entend parler d’ouverture à la concurrence, il s’agit tout simplement d’ouvrir les services publics au secteur privé pour la rentabilité financière. Il faut que quelqu’un derrière paye. C’est nous, c’est notre futur, ce sont nos enfants qui vont payer aujourd’hui.
Effectivement, il faut commencer à dire qu’on a besoin d’un mécanisme de financement des services publics. L’idée de fonds public d’investissement en fait partie. Parce que l’on a un double problème. Il y a plus de ressources financières aujourd’hui que jamais. Les systèmes bancaires sont plus liquides que jamais. Le problème c’est que cet argent est investi sur des supports qui ne sont pas productifs, c’est-à-dire qu’ils ne contribuent pas à une évolution économique quelconque, qu’elle soit positive ou négative. C’est ce que certains économistes ont appelé une « stagnation séculaire ».
Comment fait-on pour rapprocher les fonds disponibles et les besoins d’investissement ? Cette initiative d’un fonds public d’investissement est une réponse possible. Cela suscite aussi des questionnements sur lesquels on peut intervenir dans ce débat. Il est crucial qu’on aborde cela sous l’angle aussi de la gouvernance démocratique.
[…]
Je ne crois pas que les économistes, en soi, puissent arbitrer les débats politiques parce que cela, c’est de la technocratie.
L’école de Chicago est à la base de toute la doctrine véhiculée dans l’économie actuelle. Ce n’est pas une école d’économie, c’est une école de droit. C’est le droit qui affirme que la propriété est toujours supérieure à la propriété collective, c’est le postulat de base et tout découle de cela.
Aujourd’hui, on est dans un cadre académique en France, mais ailleurs aussi, où pour 80 % des économistes, l’économie qui est enseignée se base sur ce type de doctrine libérale. C’est devenu le fonds de commerce des professeurs et des écoles d’économie. C’est très difficile de s’opposer à tout cela, car c’est quelque chose que l’on traîne depuis 40 ans.
Quel est le rapport entre ça et ce qui a été proposé par Ian : l’idée de démocratiser l’Europe d’un côté, et d’avoir au fond un véhicule essentiellement financier pour inciter tous les acteurs sociaux à bouger dans l’autre sens ? Je pense que la question clé n’est pas sur les autres mesures techniques et démocratiques. La question clé est dans la démocratie, dans la gouvernance.
Effectivement si, aujourd’hui, on conteste la bureaucratie, la technocratie de l’Union européenne en se contentant de proposer une autre recette technocratique, on va se heurter directement à cette fermeté doctrinale dominante de l’Europe néolibérale.
Si on ne met pas la démocratie en avant, et si l’on ne fait pas confiance à l’intelligence du débat public, du dialogue, en faisant entrer tous les usagers, les gens qui travaillent dans le dispositif, pour démocratiser ce dispositif et avoir de vrais débats, on sera toujours coincé entre deux recettes technocratiques. C’est pourquoi la culture et l’éducation sont fondamentales pour partager un ordre de débat public.
La dernière chose que je voudrais évoquer, c’est, comme l’a dit Jean-Marc Durand, que la fiscalité est certes extrêmement importante pour financer cette nouvelle vague d’investissements qui deviennent nécessaires dans les services publics. Néanmoins, on aura toujours recours à la dette car les besoins d’investissements pour mettre en place un nouveau schéma fondé sur les services publics sont immenses.
Quand on fait rentrer des capitaux privés dans cette Europe, on fait aussi rentrer un pouvoir dans le dispositif. Et c’est là encore en lien avec la démocratie. Là encore, ce qu’il nous faut, ce ne sont pas forcément de nouvelles propositions technocratiques, ce sont des propositions qui impliquent de vrais déplacements de pouvoirs vers le public, vers les usagers, vers ceux qui dépendent des services publics.
Et dans ce sens, l’urgence devant nous, avec les européennes et les municipales, c’est le débat contre les néolibéraux, c’est peut-être un front commun contre les néolibéraux. Car il faut s’inquiéter de ce que cette vague néolibérale prépare pour notre futur politique si nous n’y prenons pas garde.
Est-ce que devant la crise écologique et climatique qui vient, on verra se déclencher spontanément une vague de solidarité ? Je ne pense pas, au contraire. On va basculer encore dans une politique autoritaire, parce que les gens qui ont le pouvoir sur l’argent tenteront de se sauver au détriment des autres. C’est complètement désastreux.
Donc, non pas technocratie contre technocratie mais démocratie avant tout, le débat public. Laissons venir toutes les idées qui vont dans ce sens pour en débattre.
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Douanière et syndicaliste au Havre, candidate sur la liste
« Pour une Europe des gens, contre l'Europe de l'argent »
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J'ai l’immense honneur d’être colistière de Ian, en tant que militante et pour exercer une fonction, un métier assez mal connu, mais qui fait partie des services publics régaliens de l’État, puisque je suis douanière.
Vous avez entendu ces derniers jours que les douaniers étaient venus chatouiller Monsieur Darmanin au porte-monnaie.
Oui, nous sommes dans un état de délabrement. Et le Brexit évidemment arrive et nous sommes probablement les premiers concernés. C’est un élément déclencheur, mais l’élément déclencheur d’un état de délabrement de notre service public qui a été organisé. C’est 25 ans de réformes et d’éloignement du public de l’administration. 25 ans de suppressions d’emplois puisque 6 000 emplois depuis 1993, et ce n’est pas une date au hasard, c’est en 1993 que l’on a ouvert les frontières, et qu’au prétexte que l’on a ouvert les frontières, on aurait besoin de moins de contrôle et de moins sécuriser les citoyens. Il y a une logique là qui m’échappe un peu, mais en tout cas, l’Allemagne n’a pas fait ce choix en 1993, puisqu’en 1993 elle a renforcé ses effectifs douaniers. Elle a su protéger très bien son économie, puisque les marchandises pouvaient circuler librement et que, de ce fait, il fallait plus d’effectifs pour les contrôler et de ce fait, protéger les populations.
La France a fait le choix inverse : elle a fait le choix de délabrer le service public douanier. Donc, je défends ma paroisse, puisque je la connais bien, la douane, ce n’est pas juste des petits bonhommes bleus en uniforme qui viennent vous taquiner un peu sur certains passages pour savoir si vous avez acheté trop d’alcools ou de cigarettes ; finalement, cela importe assez peu. La douane, c’est la lutte contre toutes les fraudes, que ce soit aux déchets, que ce soit la fraude environnementale, les fraudes fiscales, les fraudes des stupéfiants, des jouets non conformes, qui alimentent un peu ou beaucoup une économie cachée, qui est souvent celle d’une forme de mafia ; les réseaux terroristes en font partie aussi.
Les douanes, c’est aussi des missions environnementales, puisque nous sommes des marins qui font de la protection du littoral et de protection des réserves et aussi des quotas de pêche, des respects de tarifs de pêche, les douaniers font ça aussi ; les douaniers, c’est 15 % des recettes de l’État, ce n’est pas rien, mais on aimerait faire beaucoup plus et beaucoup mieux. Et on pourrait le faire, par exemple, si on n’abandonnait pas au bord du chemin toutes les questions de blanchiment d’argent. Nous avons cette mission de traque du blanchiment de l’argent et de fraude fiscale évident et de manquements aux obligations déclaratives, concernant l’évasion fiscale. Donc il ne faut pas penser que aujourd’hui à l’ère du numérique, l’évasion fiscale ne se passerait que dans les tuyaux sombres de l’informatique. Oui, aujourd’hui on a encore des gens qui passent les frontières avec des valises remplies d’argent, ce n’est pas anecdotique, cela arrive tous les jours, aux frontières suisses notamment, mais pas que.
Les douaniers, ce n’est pas que ceux qui viennent vous taquiner parce que vous avez pris une cartouche de cigarettes de plus, cela va bien au-delà et, vous aurez compris, avec tout ce que je viens de vous dire, que du coup, c’est quand même assez tentaculaire et de fait, si l’on nous donnait les moyens, de fait, on serait un vrai service public au service des populations et des citoyens.
Comment dans ces conditions on voudrait ne pas vouloir plus de service public ? De fait, c’est un vrai constat, aujourd’hui on a une administration des douanes qui est peut-être la plus européenne, puisque nous avons un Code douanier de l’union, qui est notre code des douanes commun à tous les pays de l’Union, et il y a à peu près autant de façons de l’appliquer qu’il y a d’états membres.
Il n’y a eu qu’une consigne, je pense, puisque j’ai eu « la chance » de rencontrer ceux qui sont à l’origine de l’écriture du Code des douanes de l’Union : le cahier des charges était très simple : il ne fallait pas empêcher le commerce de commercer en rond. On a bien compris l’intérêt économique d’un Code de l’Union qui allait libéraliser encore plus les échanges et qui éloignait toute forme et possibilité de contrôle pour les administrations de ces marchandises. Et la deuxième, qui s’est greffée plus récemment – et cela n’est pas très glorieux –, ce sont les missions de l’agence FRONTEX, une agence européenne censée contrôler les frontières de l’Europe sur les migrations et malheureusement les douaniers font partie de ce dispositif FRONTEX.
En fait, c’est absolument antinomique par rapport aux slogans de la campagne qui est portée par Ian. Ce n’est pas une Europe de gens contre une Europe de l’argent, aujourd’hui, l’Europe c’est tout le contraire : l’Europe de l’argent contre celle des gens, puisque les marchandises peuvent circuler absolument librement, sans aucune entrave, sans aucun contrôle, quelles que soient les conséquences sur la santé, la sécurité ou la fiscalité, et que par contre, on empêcherait les gens de traverser l’Europe ou de venir enrichir notre pays, nos cultures, et tout ce qui va avec.
En tout cas, c’est probablement un honneur qui m’est fait d’être sur cette liste et de pouvoir apporter une forme d’expertise sur ce que peuvent être les services publics dans ce domaine ; mon administration appartient à Bercy, donc nous sommes bien placés pour savoir qu’aujourd’hui, si nous avons quelques « emplois Brexit », on est en train de travailler à l’exercice de fermeture d’une frontière, fermer une frontière il y a très longtemps qu’on n’a pas fait ça. Par définition, on ne sait pas le faire, ni d’un côté ni de l’autre, d’ailleurs. Et c’est un peu la panique en ce moment, puisque c’est censé s’appliquer dans les jours qui viennent. On a mis 80 douaniers de plus à Calais, des gens qui sont censés travailler 24 heures/24 et 7 jours sur 7, et l’on n’a pas de bureau, c’est vous dire le niveau d’impréparation à l’exercice de fermeture frontière, et l’on ne peut pas s’en féliciter. Ce ne sont pas les 13 jours de plus obtenus par les Anglais qui ont été accordés qui vont changer grand-chose aujourd’hui ; on ne sait pas faire ; on sait fermer un service mais on ne sait pas créer un service public ; c’est l’enjeu de cette campagne : de l’argent, il y en a, des solutions, il y en a, des mécanismes, on en a plein ; on a des services publics qui peuvent au service des populations, partout sur le territoire.
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Président de la Convergence nationale des services publics,
conseiller régional d'Ile-de-France, République et socialisme
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Je partirai de ce qu’a ditDenis Durand : « on ne changera pas le monde sans changer l’Europe » et j’ai envie de dire que « l’on changera pas l’Europe sans changer la France », ou en tout cas, sans changer le rapport de forces qui existe en France.
Il y a deux choses à faire, à mon avis : l’une sur le long cours et l’autre sur le plus court terme. Sur le long cours, c’est avant tout, pour moi, un travail intellectuel à faire pour détruire, en fait, les concepts qui semblent modernes au niveau européen, mais qui ne sont pas européens, qui sont au niveau mondial et sont la transcription européenne de ce niveau-là, par exemple la logique de service universel.
Très clairement, avec le service universel inscrit dans les textes européens, on va dans le mur. C’est-à-dire que le service universel, c’est une sorte de substrat du service public. Mais avec une différence majeure, la logique du service universel revient à dire que le service public est un coût, que le service public, c’est votre charge, et que « nous », on va indemniser votre charge. Alors qu’historiquement, ce n’est pas comme cela que cela se passait en France.
Avant, on disait à la Poste, votre mission c’est de livrer du courrier, et la Poste, d’ailleurs allait même jusqu’à des trucs délirants. Je me souviens qu’à Paris, on postait une lettre le matin, un ami la recevait l’après-midi à l’autre bout de Paris, personne ne demandait ça, c’était même au-delà des besoins j’allais dire de l’usager classique. Et pourtant la Poste le faisait : il n’y avait pas besoin d’une LOF, pas besoin d’impératifs, pour qu’ils accomplissent le service public, qu’ils créent du lien social et tout le monde considérait que c’était une mission qu’ils accomplissaient et la boîte en elle-même, y compris lorsque c’était un EPIC, poussait l’ensemble de ses fonctionnaires pour aller justement vers un service public qui puisse améliorer les normes de qualité, de vitesse, etc. On n’a jamais vu quelqu’un qui allait dire que quand le facteur allait voir une personne âgée, il faut que la personne âgée paie, c’est totalement dingue, on est en train de remettre en cause tous les concepts que l’on avait. L’école de Chicago a réussi à le faire.
L’Europe avait ces notions-là et arrive à compléter ces données. Lagarde le fait au niveau du FMI également lorsqu’elle dit : « Ne vous inquiétez pas pour les services publics, il restera toujours un filet de sécurité pour les plus démunis ». C’est ça leur conception du service public, ce n’est pas la conception du service public à la française, et j’allais dire au-delà, puisque l’Angleterre, dans l’après-guerre, a su réaliser également des services publics dignes de ce nom qui ressemblent comme deux gouttes d’eau aux nôtres, y compris dans leur conception, et qui allaient même plus loin en termes de logements sociaux. C’est d’ailleurs la première chose que Thatcher a détruit, le logement social et le grand service public du logement qu’ils avaient.
Donc il y a, à mon avis, quelque chose à faire sur les SIG comme dit dans le débat. Dès qu’on a un débat sur service public et l’Europe, beaucoup de gens arrivent avec une sorte de science sur les SIG (service d’intérêt général) et SIEG (service d’intérêt économique général) et on distingue les services publics de réseaux des autres. C’est quoi ca ? Il y a les infrastructures, et l’usage des infrastructures : en droit romain, c’était l’usus et l’abusus. C’est vieux comme Hérode, il y a des gens qui ont des infrastructures et d’autres qui les exploitent.
Et là, leur intelligence aux libéraux, c’est de scinder les deux en faisant passer ça comme moderne, et en disant qu’il y a des services de réseaux : on va citer la SNCF, on va citer la Poste, on va citer France Telecom, comme s’il y avait des sous-services publics, et il y avait les autres. Le trésor public c’est pareil. Rien n’empêche, sincèrement, qu’on paie des sociétés de courtage qui serviront à prélever l’impôt. Il n’y a rien qui l’empêche. On peut considérer aussi que c’est un service de réseau, aujourd’hui dans les SIG, demain dans les SIEG, on peut privatiser demain le trésor public, sans aucun souci pour les libéraux, avec quelques soucis pour les gens, mais les libéraux s’en accommoderont facilement.
C’est plus une bouée que je vous envoie, je sais que vous ne pouvez pas tout. En tout cas, il y a une forte progression, plus exactement une zone d’influence des intellectuels à avoir et pour porter un discours peut-être cohérent sur le long cours.
Sur le plus court terme, c’est ce qui a été dit : il faut réussir absolument à lier, pour le rapport de forces, les usagers, les élus et les personnels, c’est ça que l’on doit faire. C’est d’ailleurs ce qu’ont essayé de faire les cheminots lors de la dernière grande mobilisation, c’est d’essayer de faire la convergence. C’est cela la clé.
Pour faire cela, à mon avis, et c’est la question, il y a quelques grands thèmes à exploiter qu’on n’exploite pas. Et je pense que l’on doit montrer ce que les services publics ont de moderne, que ce sont les seuls surtout qui peuvent résoudre l’équation, c’est-à-dire lorsqu’on parle d’écologie aujourd’hui, les jeunes sont intéressés par l’écologie, mais peu de jeunes sont intéressés par les services publics, en tout cas moins de jeunes a priori. Mais la réalité c’est comment voulez-vous aujourd’hui que les multinationales, par l’opération du Saint-Esprit, en signant une charte, appliquent des normes écologiques, alors que cela va à l’encontre de leurs intérêts économiques ? Absolument aucune chance. Il faut un service public.
On parlait de l’égalité femmes/hommes. Évidemment, il faut des services publics pour y arriver et mener des combats ; on pense aux crèches, aux maternités, etc.
Il y a aussi l’inspection du travail ; s’il n’y a pas d’inspection du travail, on ne peut pas vérifier qu’un patron paie la même chose pour les hommes et les femmes pour le même boulot. Pareil pour les travailleurs détachés, le travailleur a le droit de faire les mêmes horaires, le problème, c’est qu’il n’y a personne pour vérifier qu’ils font les mêmes horaires. Je suis prêt à parier qu’ils font plus que les horaires légaux, etc.
Les services publics sont en fait une dépense toujours moderne, tellement xxie siècle en fait. Je crois qu›il sont au cœur des enjeux d›aujourd’hui. Quand on regarde le logement par exemple, lorsqu’on voit que les SDF sont de plus en plus nombreux, lorsqu’on voit qu’on a des gens et réfugiés qui arrivent et que l’on est incapable de les accueillir, tout cela nécessite des services publics.
On a parlé du numérique, de l’open data. Ce n’est pas normal qu’aujourd’hui, on considère que la téléphonie est privée, qu’il y a un manque de concurrence démentielle et que des zones entières ne sont pas couvertes par le numérique. Alors que pourtant on répète aux gens « passez par le numérique cela sera plus facile pour vous ». Un Français sur cinq n’a pas accès à la 5 G… donc il ne pourra pas faire les démarches que la plupart des autres feront. C’est une rupture d’égalité.
Après il y a aussi des enjeux, mais il faut que l’on fasse attention, j’ai envie d’être constructif là-dessus. Par exemple sur la métropolisation : ce n’est pas du tout les habitants des villes contre les habitants des champs, ce n’est pas cela du tout qui se passe, on détruit les services publics dans le monde rural, c’est vrai, réellement, mais on en détruit aussi dans les grandes villes. À Paris, on a détruit les CPAM, Pole emploi, on détruit les postes. Ce que l’on fait, c’est que l’on prend l’argent qui servirait à l’aménagement du territoire, et l’on s’en sert pour aller concentrer sur la métropole, mais pour attirer des multinationales et des grandes entreprises. Pour attirer les traders anglais, suite au BrexitT, la Région île-de-France finance les traders anglais qui voudraient s’installer en France. C’est complètement fou. En plus avec une prime de 5 000 euros, ce n’est pas ce qui va décider le trader à venir, c’est un cadeau gratuit qu’on leur fait.
Ce sont des cadeaux que l’on fait volontairement au privé. Et je pense aussi que c’est un champ à exploiter et à expliquer. Lorsqu’on voit collectif, il y a quand même ce ressentiment un peu aujourd’hui, et je pense que les libéraux essaient de recréer un schisme entre les villes moyennes et les grandes villes, comme si c’était en effet les habitants des grandes villes qui en profitent mais ils n’en profitent pas ; les grandes entreprises, oui, mais les habitants non.
Donc voilà, ce que je voulais dire, je pense que sur tous ces sujets-là, il faudrait que l’on soit actifs et aussi évidemment, parler sur le financement, c’est la clé de tout et montrer que les services publics sont rentables, c’est rentable par rapport au privé, c’est plus efficace et plus rentable économiquement. Quand on prend la Sécurité sociale, elle coûte moins cher que l’assurance vie. C’est plus efficace, ça coûte moins cher que le privé, que ce soit la Sécurité sociale, la Poste, Pôle emploi. Les dossiers externalisés de Pôle emploi coûtent quatre fois plus cher que les dossiers traités en interne. On est sur un coût global phénoménal, et qui en plus se reporte sur les collectivités territoriales. Tout cela est aussi lié à l’Europe et à l’histoire des 3 %, etc.
On décline jusqu’au niveau national, et donc il faut qu’on arrive à renforcer ce rapport de forces national, pour essayer de peser au niveau européen, et dans un premier temps, aller le 26 mai voter pour la liste de Ian Brossat.
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Secrétaire général du syndicat CGT de la SNCF*
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Dans le domaine ferroviaire, par exemple, on pourrait imaginer que l’on organise des coopérations transnationales, de manière à garantir un vrai droit au transport en Europe. On pourrait imaginer un échange de technologie, d’un réseau à l’autre, notamment en matière de sécurité ; il y a beaucoup de technologies qui sont disponibles en France, mais qui ne le sont pas forcément dans d’autres pays. On se souvient d’une catastrophe en Espagne, qui, si ce que l’on appelle chez nous le contrôle de vitesse paramétrique avait été disponible à ce moment-là en Espagne, aurait pu être évitée. En matière d’échange technologique, on pourrait faire des choses extraordinaires en Europe. Et puis également, il y a la question du financement, j’y reviendrai ultérieurement.
À l’inverse de ça, que fait l’Union européenne ? L’Union européenne se focalise effectivement sur un certain nombre de choses, d’abord la concurrence entre les opérateurs, ensuite l’éclatement des entreprises ferroviaires historiques, pour permettre cette concurrence, car il ne suffit pas de laisser la concurrence agir, il faut la permettre, lui faire la place. Et puis une instauration de barrières aux subventions publiques, pour empêcher que ces opérateurs publics historiques fonctionnent. Parce que même éclatés et affaiblis, ils arrivent encore à fonctionner si on leur attribue les finances qui vont avec. Il faut aussi mettre des barrières à ces financements-là.
On arrive là à un paradoxe qui est absolument catastrophique : dans le même temps, on a des lycéens qui font grève dans la semaine dans les lycées pour exiger des démarches environnementales volontaristes, au même moment où des associations mettent l’État en procès, l’UE est en train d’enquêter sur le système de compensation financière en France, sur les péages pour les entreprises ferroviaires de fret. C’est-à-dire que les péages ferroviaires que l’infrastructure facture aux opérateurs sont extrêmement élevés et comme le fret était en difficulté, il a été consenti un rabais sur les péages. L’Union européenne enquête pour savoir si, finalement, ce n’est pas une forme de subvention publique qui aboutirait à une distorsion de concurrence. Et comme le fret ferroviaire s’est effondré du fait de la concurrence, la seule question qui est posée, c’est : « est-ce encore une aide détournée qui aurait été attribuée sur les dernières années ? »
Il est évident que si la conclusion de l’Union européenne est qu’il y a bien eu aide détournée, il y aura demande de remboursement, et là ce sera la fin, ferme et définitive, du fret ferroviaire. Et donc qu’est-ce qui restera ? C’est bien la question. On est bien là dans une contradiction énorme entre les aspirations de la population et le travail de cette structure qu’est l’Union européenne.
Sur la question des besoins de financement de l’entreprise, et ce qui fait l’objet d’une proposition de la liste conduite par Ian Brossat, il faut rappeler que l’on a effectivement un système ferroviaire qui est historiquement une activité très consommatrice de capital. Et pour cause : on a 30,000 km de lignes en termes de réseaux. Et ce réseau est en état de vieillissement extrêmement avancé, parce qu’il y a eu sous-investissement pendant plus de 30 ans. La chose est connue, elle a été, rapport après rapport, mise sur la place publique. Mais, paradoxalement, plus on a constaté ce sous-investissement et moins on a investi. Et donc par ce vieillissement des lignes, on arrive maintenant à la conclusion que si l’on ne fait pas les travaux, il faudra fermer. Dans les médias, il y a quelques jours, il a été mis en avant que 56 lignes étaient menacées. En fait, il y en a plus de 56, mais ces 56-là sont menacées d’une manière très urgente.
Les premiers investissements nécessaires, c’est donc déjà pour le maintien de l’existant et pour le maintien du réseau tel qu’il est. Il faut dire que ce n’est pas une situation propre au système ferroviaire, puisque après la catastrophe du pont de Gêne, une étude a été faite sur le réseau routier, et en matière d’infrastructures routières, on a les mêmes problématiques. Ce n’est pas une problématique franco-française. Elle est même plus importante dans les pays qui n’ont pas du tout de service public. Dans un pays comme les États-Unis, l’année dernière, l’association des ingénieurs civils américains a déterminé qu’il fallait 1 500 milliards d’investissement dans les infrastructures routières, des télécommunications ou de l’énergie sous peine voir les réseaux s’effondrer. On est vraiment dans la situation où l’investissement public est nécessaire dans ces infrastructures.
En France, dans un rapport sorti l’année dernière par la Commission d’orientation des infrastructures, une commission présidée par M. Duron qui n’est pas spécialement un marxiste acharné ou un défenseur des services publics, on estimait qu›il y a trois scenarii possibles pour faire face :
Un scenario de réduction de la surface ferroviaire : je passe celui-là, parce que, pour l’instant, il a été complètement écarté.
Un scénario qui fixait un peu le maintien du réseau tel qu’il est aujourd’hui, et qui établissait la nécessité de financements d’investissements de 3 milliards par an pendant 20 ans.
Un scénario présenté comme une accélération de la situation aujourd’hui. C’est-à-dire pour répondre aux problématiques des usagers : supprimer les limitations de vitesse qui existent le plus rapidement possible et ne pas trop attendre pour améliorer certaines situations de congestion et de saturation. Ce 3e scénario présentait la nécessité de quelques milliards d’euros d’investissement pendant 20 ans.
Le gouvernement a choisi, dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités, d’investir 2,7 milliards par an pendant les 20 prochaines années. Enfin, en tout cas au moins pendant les 5 prochaines années… on peut avoir encore de mauvaises surprises…
Mais 2,7 milliards, ce n’est pas 3 milliards. Et on est loin des 4 milliards nécessaires pour commencer à améliorer. Ce qui veut dire que pour maintenir l’infrastructure et répondre aux besoins des usagers du transport ferroviaire, il manquera 1 à 1,3 milliard par an.
Pour faire face aux enjeux de la dette que ces choix vont générer, la réponse du gouvernement n’est pas compliquée. C’est de faire comme ce qui a été fait à l’époque pour les LGV, les lignes à grande vitesse. On nous bassine sur le fait que, dans le passé, on a fait des erreurs d’investissement. Et bien en fait là on les reproduit pour d’autres choses. C’est-à-dire que dans le passé, on a voulu construire des lignes à grande vitesse qui ont coûté des dizaine de milliards d’investissements ; personnellement, je ne pense pas que ce soit un mauvais investissement, mais comme tout investissement, il faut le financer, c’était plutôt ça la question. Donc on a utilisé une solution facile, c’est d’obliger l’opérateur public, l’entreprise publique, à financer tout ça sur ses fonds propres. Conséquence, elle s’est endettée massivement.
Aujourd’hui, ce n’est plus la construction des TGV qui nécessite des investissements massifs, c’est la rénovation du réseau. Cette année, le budget SNCF réseau, c’est 5,7 milliards d’investissements. Mais au total, moins de la moitié sont financés par les subventions publiques. Le reste est financé par les capitaux propres de l’entreprise, par la pression sur les usagers, par la pression sur salariés et par la suppression de ce que l’on estime être non rentable ou insuffisamment rentable. Donc on est dans une vraie logique qui n’est pas celle du service public.
Ça c’est sur les besoins existants. Après il y a les besoins que l’on peut estimer comme ceux émanant de la nécessité de développement. Nous, on a pris au sérieux l’étude du ministère des Transports qui prévoyait que d’ici 2050, les besoins de mobilité en voyageurs ou en marchandises allaient quasiment doubler. Et que selon les scenarii du même ministère, c’est essentiellement la route qui allait capter ces augmentations-là. Vous imaginez la situation routière aujourd’hui : congestion, accidentologie et pollution, vous doublez et vous voyez ce qui se passera en 2050.
Évidemment, dans un contexte de forte mobilisation sur ces questions environnementales, avec toutes les belles promesses et toutes les belles COP, les conditions changent un peu. Il y a des espaces pour diffuser autre chose. La CGT avait notamment proposé de doubler la part modale du ferroviaire qui représente à peu près entre 10 et 12 % dans les deux modes (voyageurs et fret), pour arriver à environ 25 % par mode ferroviaire pour les mobilités. Cela permettait de limiter la croissance de la route. En revanche, cela ne permettait pas de faire refluer la route, ce qui est aujourd’hui un objectif écologique vital. Pour parvenir à ce reflux, il faudrait faire passer la part du ferroviaire, par exemple dans le domaine du voyageur, de 700 000 voyageurs par jour à 3 millions voyageurs jours d’ici 2050. Et donc pour ça, non seulement, il faudrait assurer la pérennité du réseau existant, mais il faudrait aussi surtout des investissements massifs pour développer de nouvelles infrastructures, pour de nouveaux matériels roulants, pour embaucher du personnel, pour former des compétences, etc.
La question devient alors : qui peut mobiliser autant de capital ? Et comment le crédit vient permettre de répondre à ces besoins massifs d’investissement ? Cette question est centrale. Aujourd’hui, la SNCF utilise la garantie de l’État pour emprunter puisqu’elle est entreprise publique. Son statut lui permet de garantir ses prêts par l’État et de bénéficier de taux très bas sur les marchés financiers. Demain, avec la réforme ferroviaire 2018, elle devient société anonyme à capitaux publics. Les conséquences seront importantes. Déjà, certaines agences de notation ont dégradé la note de la SNCF en prévision de son décalage avec l’État. Et donc, les prêts vont être de plus en plus onéreux. Donc le paradoxe dans lequel on risque de se retrouver, c’est que l’État va reprendre une partie de la dette, mais le coût de cette dette restera le même ou sensiblement le même pour la SNCF parce que les taux vont monter !
C’est évidemment aberrant. Si l’on pouvait avoir une situation où pour répondre à ces besoins en capitaux immédiats, on pouvait bénéficier de prêts à taux 0 directement de la part de la BCE, on réglerait une grande partie des difficultés à venir.
La deuxième partie du sujet, c’est la subvention. Parce que la dette n’est pas un problème en soi. Les économistes l’ont dit : la dette de l’État doit être de 1 300 milliards d’euros, la dette de la SNCF ce sera bientôt 60 milliards euros ; récemment plusieurs articles de presse écrivaient que les entreprises privées en France allaient avoir un endettement de 4 000 milliards d’euros. On voit bien que pour le public, la dette est un problème et que pour le privé, ce n’en est pas un.
À ce moment-là, où chercher les capitaux ? Nous, sur le système ferroviaire, on part du principe qu’il faut apporter du crédit. Mais on dit aussi qu›il faut de nouvelles sources de financements qui pèsent sur les comportements. Et l’on proposait dans ce sens de faire de la taxe sur les produits pétroliers, la TICPE, une vraie taxe écologique, à la fois pour désinciter à polluer et pour contribuer aux financements des infrastructures et des services les moins polluants. Voilà nos propositions.
Pour terminer, une question : le sujet des propositions n’est pas le seul sur lequel il faut que l’on se penche ; il y a aussi la question du rapport de forces. Sinon, on a de super bonnes propositions mais qui n’aboutissent jamais.
Construire un rapport de force syndical avec les salariés, on sait faire. Le mouvement du printemps dernier en a été une nouvelle démonstration. Construire un rapport de force avec les citoyens et les usagers du service public dans les territoires, on est en train de le faire. Mais il faut aussi construire le plus de relais politiques possibles dans l’institution. Parce que dans ce conflit, un élément qui nous a soutenus fortement, c’est que les députés et sénateurs communistes ont permis, non seulement, de mener la guerre contre le texte gouvernemental par leur vote, mais aussi de faire entrer à l’intérieur du Parlement les contre-propositions des organisations syndicales. À l’Assemblée nationale, on a pu présenter nos propositions, le syndicat est entré dans l’enceinte de l’Assemblée nationale pour porter le fer idéologique avec les élus LREM. Au Sénat, on a fait venir un ensemble de délégations étrangères pour discuter de la façon dont cela se passait dans leur pays par rapport à la concurrence, là aussi pour combattre les idées reçues de l’adversaire. C’est pourquoi je suis convaincu que si on pouvait avoir des relais importants au Parlement européen, en ayant le plus de parlementaires possible prêts à entrer dans la bagarre, ce serait un point d’appui supplémentaire formidable pour les luttes.
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Economiste, membre de la direction nationale du PCF, membre du CESE
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D’ailleurs, dans les traités européens, on parle de services d’intérêt général, des services publics dit plutôt régaliens, on va dire, et des services d’intérêt économique général qui couvrent ceux (comme la SNCF ou d’autres) que l’on voudrait voir exercer de façon concurrentielle. Le « on » étant la pensée économique dominante.
Donc les services publics sont remis en cause en Europe partout dans les pays et par l’Union européenne. Ils sont remis en cause par une logique avec deux pieds :
– Le dogme de la concurrence libre et non faussée des traités européens : si l’on n’est pas administration, on est entreprise en concurrence, cela a des conséquences.
– Le dogme de la baisse des dépenses publiques et sociales : l’austérité qui est à la fois dans le pacte budgétaire et les traités de stabilité (notamment le TSG) et différents pactes budgétaires, mais aussi dans le fonctionnement de la Banque Centrale Européenne, qui n’a pas du tout pour charge l’expansion des services publics.
Ces services publics sont également mis en cause par l’austérité elle-même : cette baisse des dépenses publiques et sociales étrangle les services publics et fait qu’ils ne fonctionnent pas, ou mal. Et donc on dit : « Voyez mon chien a la rage, on va le noyer », c’est le dicton.
Ils ne fonctionnent pas aussi à cause des financements de marchés vers lesquels ils sont obligés de se tourner. Qu’est ce que ça veut dire, les financements de marchés ? Ce sont des capitaux financiers, des outils qui apportent au service public, même quand ils ne sont pas privatisés… ils apportent, et en contrepartie, ils veulent du profit.
Je prends des exemples :
– EDF qui continue à être nationale, emprunte sur les marchés financiers. Car EDF se comporte comme une multinationale à l’étranger. EDF paie 2 milliards d’intérêts de la dette, 2 milliards de profits aux marchés financiers ; EDF, pour continuer à être affriolant, pour des raisons complexes, met de côté 3 milliards d’accumulation financière par an. Au total : 5 milliards de coût du capital ; c’est près de la moitié de ses salaires, puisque la masse salariale, c’est 12 milliards. 5 milliards de coût du capital ; 12 milliards de masse salariale.
– La SNCF : pour la charge de sa dette, pas seulement les intérêts mais l’ensemble de la charge de la dette, qui est calculée dans une publication du ministère des Transports dont je me suis occupé autrefois, c’est 2,9 milliards de dépenses pour les marchés financiers et les banques. Exactement le même montant de ce qui serait dépensé comme investissements supplémentaires par la SNCF. Cela ne va donc pas en investissement mais en charge intérêt, même pas en remboursement du capital de la dette.
– L’État : chaque année, pour les seuls intérêts de la dette, l’État rembourse 42 milliards d’euros. Pas parce qu’il a une dette, mais par les conditions de la dette qui font que cette dette, elle est contractée sous forme de titres auprès des marchés financiers. L’État paie 42 milliards, c’est à peu près un budget annuel de l’enseignement des écoles et des lycées. Un budget entier de l’enseignement scolaire est donc donné aux marchés financiers par l’État français. À 0 % d’intérêt, ces 42 milliards n’existeraient pas ou plutôt seraient 42 milliards de dépenses publiques supplémentaires utiles aux gens et aux territoires. C’est considérable.
La BCE met des milliers de milliards d’euros pourtant sur les marchés : 2 600 milliards d’achats de titres, mais elle les achète sur les marchés financiers. Et cette somme-là ne va pas au financement des services publics, elle va nourrir la spéculation financière.
Il y a des masses d’argent qui circulent ; ce n’est pas seulement qu’elles existent, elles circulent, elles sont utilisées sans pouvoir, sans démocratie dessus, elles sont monopolisées.
La logique totale, c’est que les services publics c’est une exception, au mieux un garde-fou, dans une vision qui évoque vaguement la sociale-démocratie, mais essentiellement une exception ou une compensation ; dans le pacte de la CFDT et de 18 autres organisations, avec lesquelles il faut débattre, les services publics sont traités simplement comme un bouclier.
En plus, ils agissent pour démanteler. Ils organisent des Partenariats publics privés (PPP) où c’est le privé qui pilote. On verra dans les propositions... on pourrait peut-être avoir des partenariats où c’est le public qui tire... et la concurrence l’interdit d’une certaine façon.
Ils organisent aussi la disparition des monopoles, et procèdent à des démantèlements très organisés. C’est bien expliqué dans la revue économie et politique, dans un numéro sur les services publics, dans l’article écrit par Yves Dimicoli. C’est très éclairant : les démantèlements, la mise en place d’autorités de régulation, la baisse du pouvoir de marché des prétendus monopoles publics pour soi-disant baisser les prix ; on sait ce qu’il advient après (France Telecom par exemple). Et la baisse des subventions.
Il y a une double logique derrière cela : faire plus de profit, bien sûr, mais aussi permettre aux services publics de s’étendre très largement dans le monde entier, pour partager les coûts sur une masse beaucoup plus large. Et en partageant les coûts, il n’y en a que quelques-uns qui restent et ils ont démoli tous les autres services publics, les ont privatisé.
Nous, nous proposons de coopérer.
Fondamentalement, pour eux, les services publics, c’est un coût, au mieux une compensation pour réguler un peu les choses, mais c’est aussi un espace de profit et de marchandisation, avec la possibilité dans les services publics, d’un appui par le financement public. Parce que les infrastructures continuent à être financées par le public. Mais l’on va tirer la rente sur les services qui exploitent ces infrastructures et au milieu, entre l’infrastructure et le service, on met ce que l’on appelle l’infrastructure qui sont les autorités de régulation. En réalité, on a découpé les choses en morceaux alors qu’il faut les articuler.
On a dit : la SNCF ne doit pas occuper des créneaux, les infrastructures doivent s’occuper des créneaux, mais c’est la SNCF qui connaît les créneaux et la façon dont ça roule, et l’info, c’est au milieu, c’est encore un troisième morceau. C’est une désorganisation absolue. Pour faire financer les infrastructures par le public, parfois on a même des doublements d’infrastructures. Les spécialistes de Telecom pourraient en parler longuement. On pourrait aussi développer sur l’hôpital, la santé et l’éducation, etc. Dans tous les services, il y a cela.
Quelles conceptions opposer à cela ?
1. L’enjeu majeur : c’est une relance par les services publics pour développer les biens communs. Notre conception des services publics, c’est qu’ils permettent de développer les biens communs et qu’il faut une expansion sociale pour et par les services publics.
2. Les services publics : ce n’est pas une exception au marché, c’est un outil majeur de coopération pour commencer à dépasser les marchés, pour une autre logique d’efficience pour la société, d’efficience sociétale, avec l’égalité d’accès et la péréquation, et pas seulement un bouclier. C’est un moyen essentiel du développement des capacités de chacun. Et c’est cela qui est décisif aujourd’hui, c’est ça le nouveau monde. Dans le monde d’aujourd’hui, les capacités créatives de chacun deviennent de plus en plus décisives, les capacités de compréhension, d’échanges, et pour la société, et pour l’économie, elles deviennent décisives, et c’est ça les services publics. C’est les personnes et la coopération des services publics : ils sont décisifs pour le monde de demain. Et c’est le vieux monde qui veut essayer au contraire de nous brimer les choses ? On ne peut pas laisser faire ça. Cela veut dire aussi des salariés citoyens de services publics. C’est aussi la participation des citoyens eux-mêmes et des usagers à la définition et à l’organisation des services publics.
3. Il faut bien sûr remettre en cause le dogme de la concurrence libre et non faussée.
4. Il faut aussi développer les « services sociaux » : ce que l’Europe appelle « services sociaux » (services d’emploi et protection sociale), ce sont des services publics qu’il faut développer et qui sont décisifs. Y compris parce que ce sont des services qui permettent d’élever le niveau social, cela baisse la concurrence, ou cela fait porter la concurrence sous une forme d’émulation sur les prix et d’efficacité économique, et pas une concurrence sur le moins-disant social et sur la baisse des salaires. C’est aussi quelque chose qui permet la pacification et la civilisation de l’économie de marché et des services publics. C’est fondamental. D’autres parleraient des services publics de la monnaie et probablement il y a des choses à réfléchir sur les services publics des data et des données. Il n’est pas normal que dans une ville ou une grande agglomération, on puisse s’approprier les données de localisation des personnes qui font partie de notre être en réalité. C’est une véritable rente qui est marchandisée. Et là, les services publics doivent jouer un rôle. Il y a là un champ énorme.
5. Les services publics ne doivent pas être pensés à côté des entreprises, comme en étau si vous voulez, mais comme agissant sur les entreprises, pas pour des raisons éthiques mais aussi pour des raisons économiques, parce que l’on ne peut pas avoir d’un côté des services publics hypertrophiés, et puis pas d’emploi de l’autre côté, cela ne marchera pas, on ne pourra pas financer les services publics. Mais aussi par exemple, les entreprises, si elles font des licenciements partout, les services publics ne peuvent pas arriver à travailler correctement, bien sûr. Mais pour des raisons écologiques aussi, les entreprises et leur production, il faut arriver à changer la façon de produire, et pour qu’elles emploient plus et autrement, et pour qu’elles soient écologiques. Et là, les services publics peuvent jouer un rôle fondamental comme service public agissant sur les entreprises, dialoguant en coopération avec les entreprises. C’est à mon avis une question fondamentale, et les douanes qui travaillent aujourd’hui avec les entreprises sont très soumises, alors qu’elles pourraient être pensées comme appuyant le développement des entreprises. À mon avis, pour toute la gauche, c’est un grand enjeu de penser les services publics comme agissant sur les entreprises et sur l’économie, non pas comme un étau mais comme quelque chose de positif.
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Inspectrice des Finances publiques, syndicaliste aux Finances et dans la région PACA,
candidate sur la liste « Pour une Europe des gens, contre l'Europe de l’argent »
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Je vais d’abord me présenter : je m’appelle Patricia Tejas, militante CGT, dirigeante confédérale pour quelques semaines encore, après 7 ans de mandat au niveau de la fédération des finances CGT. Je connais un petit peu les enjeux de justice fiscale, notamment, et c’est ce dont je voudrais parler 5 minutes avec vous et après je vous parlerai des droits des travailleuses et des travailleurs, un sujet qui me tient particulièrement à cœur, et notamment le droit des femmes.
Pour la liste de Ian Brossat, les enjeux de justice fiscale sont au cœur du dispositif. Et ils rejoignent bien évidemment l’enjeu du financement puisque toutes recettes perdues pour un État-nation, c’est autant de recettes non déployées notamment vers les services publics et plus largement vers les politiques d’investissement, mais aussi sur l’aide au développement du tissu industriel dans des conditions où la nature et où l’environnement sont eux-même menacés.
Je voulais dire deux mots du contrôle fiscal et notamment de tout ce qui concerne l’optimisation, l’évasion et la fraude fiscale. Je crois que ce sont des chiffres que vous avez certainement retenus car vous les lisez maintenant très régulièrement sur nos publications, mais pas que. Même dans la presse la plus libérale, ces chiffres ne sont plus maintenant contestés. Il s’agit pour la France de 100 milliards d’euros par an, et pour l’Europe de 1 000 milliards. Vous voyez tout de suite, et on l’a vu dans une autre intervention, l’enjeu des questions de fraude, notamment la question de la fraude à la TVA s’agissant du transfert et des droits douaniers, mais aussi pour l’administration fiscale qui aujourd’hui est complètement décapitée : en 10 ans, on a supprimé plus de 30 000 emplois, et ces emplois, on les supprime bien évidemment au prétexte de la diminution de la dette publique. Ça, c’est la vitrine ;, la vraie raison, c’est que notre administration fiscale est donc notre État, un État régalien qui ne souhaite plus que l’on contrôle. La doctrine, aujourd’hui, c’est qu’il faut que l’on accompagne… En fait, tout est fait pour que rien n’entrave la circulation des capitaux, et on vous l’a dit, rien n’est fait non plus contre la circulation de produits les plus dégueulasses, excusez-moi cette expression. Aujourd’hui, à nos frontières, pour faire du cash, pour faire du pognon, on favorise, et c’est ça ce que l’on fait, on favorise la circulation de capitaux pourris et de produits pourris.
Donc, notre programme au niveau de la liste de Ian et du PCF, c’est bien de réaliser toutes les administrations de contrôle et, s’agissant de l’Europe, il faut absolument harmoniser le taux de l’impôt sur les sociétés en Europe, mais pas que le taux, il faut aussi harmoniser la base, puisqu’une des astuces, c’est de nous dire, on va appliquer le même taux, mais si c’est sur une base ultra-réduite, au bout du bout, le bénéfice fiscal entre les différents États en Europe, continuera…
Il y a l’impôt sur les sociétés mais il y a aussi le dumping sur d’autres axes, notamment la TVA et autres modes d’imposition. Je ne vais pas faire plus long sur les enjeux de fiscalité européenne, mais c’est vraiment l’un des sujets phares de notre campagne. Ce sujet est juste, parce qu’avec une fiscalité juste, on a forcément une dimension sociale qui elle aussi est juste.
C’était la partie fiscale, mais j’imagine bien que d’autres interviendront sur ce sujet dans le débat.
Mon deuxième sujet, c’est le droit des travailleuses et des travailleurs. Je voudrais prendre cinq minutes sur ce sujet : c’est vrai que les travailleurs en Europe, quand ils sont Européens, ont la libre circulation, ils peuvent se déplacer dans n’importe quel pays d’Europe pour venir travailler ; pour autant, il y a quand même là aussi du dumping entre les différents pays d’Europe, et notamment sur les cotisations sociales.
Vous connaissez peut-être ce système de détachement : une entreprise européenne, polonaise par exemple, peut détacher des salariés polonais en France pour exercer une mission dans le bâtiment, dans les services, dans l’agriculture aussi comme les cueillettes, etc. Il y a une directive européenne sur les travailleurs détachés qui garantit un certain nombre de droits fondamentaux ; quand ces salariés polonais, par exemple, arrivent chez nous en France, ces droits fondamentaux sont attachés notamment aux horaires, au droit à la santé au travail, le droit à la restauration… des droits fondamentaux, qui font que, sur place, ils sont peu ou prou traités entre guillemets comme les salariés français.
Quel intérêt finalement de mettre entre guillemets, d’obliger les travailleurs européens à venir travailler en France, puisque finalement ce sont les mêmes conditions ? En vérité, il y a un petit différentiel qui pèse son pesant d’or pour les employeurs. Car pour les employeurs polonais, tous les droits sont identiques, sauf ceux qui ouvrent droit à la protection sociale : les cotisations sociales. En effet, dans les pays à basse cotisation sociale, le différentiel peut être de 2 voire 3 : donc entre 10 ou 7 ou 6 % jusqu’à 22, 23 ou 25 %. Et c’est sur cela que les entreprises font aussi du profit, sur le dos des travailleurs, qu’ils soient polonais, espagnols, anglais, peu importe. Encore une fois, c’est bien sur le dos des travailleurs qu’est fait ce profit.
Enfin, il y a en Europe depuis quelques mois maintenant je crois, une négociation qui est censée harmoniser ces différents dispositifs de protection sociale ; déjà ce n’est pas une directive, c’est un règlement, c’est-à-dire que le règlement va rester au niveau européen, il n’y aura pas de transposition obligatoire au niveau national. Des échos que j’ai à travers les camarades qui sont dans les différentes fédérations européennes syndicales, il n’est bien évidemment en aucun cas question d’harmoniser par le haut ; cette histoire de dumping social sur les cotisations sociales, malheureusement, a encore de beaux jours devant elle.
Pour terminer, la question du socle des droits sociaux qui a été voté au Parlement européen, en 2008, je crois que c’était novembre, ce socle de droits européens attaché lui aussi à l’ensemble des travailleurs et des travailleuses en Europe, qui conduisait la feuille de route est intéressant, parce que par exemple, le droit à l’égalité salariale est gravé sur la feuille qu’« à valeur de travail égal, il doit y avoir salaire égal ». C’est quelque chose que nous, on porte en France depuis de nombreuses années, mais que l’on n’a pas encore appliqué dans les faits, alors on se dit « bonne nouvelle », cela va venir d’en haut mais comme ça ce sera plus facile… jusque dans notre pays, sauf que… il y a d’autres dispositions très intéressantes, notamment sur les horaires, mais rien n’est contraignant.
C’est un petit peu je crois la marque de fabrique des dispositions européennes, des directives européennes, etc. : c’est que très peu de productions européennes sont contraignantes, et que, au bout du bout, ce sont toujours les mêmes qui trinquent : les travailleuses et les travailleurs, et surtout les femmes. Les femmes qui sont envoyées en France, en travail détaché, et tout particulièrement pendant les saisons des cueillettes et des vendanges, non seulement leurs droits sont systématiquement bafoués, mais en plus, elle subissent des pressions souvent sexuelles, jusqu’au droit de cuissage.
À la CGT et dans d’autres syndicats, nous essayons de défendre ces femmes, de les rétablir dans leurs droits et de faire condamner les patrons voyous. Mais on peut dire que sur ce coup-là, l’Europe ne protège pas des violences faites aux femmes, que c’est un combat mené tous les instants par les camarades communistes, en France comme ailleurs dans le monde.
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Membre de la direction nationale du PCF, tête de liste communiste de la liste « L'Europe des gens contre l’Europe de l’argent » aux élections européennes du 26 mai 2019
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Quelques mots pour ouvrir la deuxième partie de la discussion : tout d’abord, je trouve que l’on a une discussion intéressante, qui apporte du contenu à porter dans cette campagne en vue du scrutin du 26 mai.
Je voudrais ajouter un élément supplémentaire : on voit bien à quel point dans les mobilisations populaires qui se sont levées ces derniers mois, et notamment la mobilisation des gilets jaunes, la question des services publics est une question absolument centrale.
D’ailleurs, dans les différents cahiers de doléances ou cahiers d’espoir qui ont été ouverts un peu partout dans les mairies, la question des services publics est revenue tout le temps. Y compris lorsque le président de la République est allé faire ses grands shows dans différentes régions, la question du service public est revenue à de très nombreuses reprises.
J’étais au Blanc, dans l’Indre, qui est une ville frappée par la fermeture de sa maternité, c’était les états généraux des maternités en lutte ; il y avait beaucoup de monde et dans toute une série de villes, dans toutes une série de villages, on a des mobilisations très importantes qui se lèvent sur cette question du service public.
Je crois que c’est lié à deux choses.
D’abord, il y a une conscience très forte de la dégradation de la qualité de vie, liée à la disparition des services publics dans les quartiers populaires comme dans les zones rurales. C’est le premier élément qui est le déclencheur de cette mobilisation. Mais il n’y a pas seulement ça.
Il y aussi je crois, la conscience assez forte dans notre pays que le service public est, au fond, un des éléments de notre identité nationale et que, quand on touche au guichet de la Poste, quand on touche à la maternité du coin, quand on touche à la gare ou la petite ligne de train, on touche à notre identité nationale. Parce que la France, elle a quand même longtemps développé un modèle singulier dans lequel le secteur public avait une part importante, et c’est ça qui est en train de disparaître.
Je pense que c’est un élément très fort et très puissant dans l’attachement des Français à leurs services publics. Ils ont le sentiment que l’on touche à leur identité nationale, à l’identité de leur territoire. Je crois qu’il faut aussi les défendre comme cela parce que ce sont des territoires entiers que l’on est en train de rayer de la carte.
Le camarade de Decazeville le disait très bien : on détruit des territoires entiers parce qu’on a aujourd’hui une organisation des territoires qui est totalement libérale et qui consiste à mettre le paquet sur les grandes métropoles, en rayant de la carte tous les autres territoires.
Et ça, c’est une vision que nous ne pouvons pas partager.
Et la réponse à cela, c’est le maintien des services publics, tout particulièrement dans les zones rurales.
C’est un élément essentiel : les Français ont quand même connu autre chose que ce que l’on a maintenant. Quand on voit que la moitié des maternités françaises ont disparu depuis 20 ans, cela veut quand même dire qu’il y a 20 ans, il y en avait deux fois plus, donc que l’on a connu un autre système que le système en vigueur en ce moment.
Qu’est-ce qui s’est passé depuis 20 ans ? On ne peut quand même pas nier que l’Union européenne, avec ses règles autoritaires, a considérablement pesé dans la disparition de notre service public.
On a aujourd’hui des traités européens qui sont basés sur deux dogmes qui percutent notre ambition pour les services publics :
Le premier dogme, c’est l’austérité, la fameuse règle des 3 %. C’est la contrainte de baisser nos dépenses publiques, c’est-à-dire en réalité de détruire nos services publics.
Le deuxième dogme, c’est la logique de la concurrence. C’est la concurrence libre et non faussée qui est gravée dans le marbre des traités européens. Or notre conception à nous des services publics, et quand je dis « nous » ce n’est pas simplement les communistes, c’est celle que la France avait promu, celle des services publics adossés à des entreprises publiques et qui sont dotées d’un monopole.
Ce que l’on a connu dans un certain nombre de secteurs, dans le secteur de l’énergie, dans le secteur des transports, dans le secteur des télécom, tout cela est aujourd’hui percuté par des logiques européens et les directives de libéralisation qui se sont succédées. Et le moins que l’on puisse dire, quand on en regarde les résultats, c’est qu’elles sont très très loin d’avoir rempli les promesses qu’elles étaient censées remplir.
Prenons le secteur de l’énergie : en 1996, il y a eu la directive de la libéralisation du secteur de l’énergie ; à l’époque, le Premier ministre Alain Juppé avait dit : « vous verrez les prix vont baisser… » ; on ne peut pas dire que les prix aient considérablement baissé. En ce qui concerne l’électricité, il est prévu pour le mois de juin une augmentation de 5 % des tarifs.
Donc nous sommes aujourd’hui, je crois, dans une période charnière où il y a une prise de conscience très forte du fait que ces logiques de l’Union européenne nous ont pourri la vie en nous privant de nos services publics essentiels, et en cassant des services publics qui fonctionnaient et qui permettaient de répondre à des besoins fondamentaux.
À partir de là, ce que nous disons, nous, dans le cadre de la campagne, c’est que l’on a besoin d’une double rupture.
D’abord, il y a la question des moyens financiers, et il y a notamment la question de la Banque centrale européenne. La proposition clé que nous faisons, c’est que la Banque centrale européenne, au lieu de déverser de l’argent sur les banques privées comme c’est le cas depuis 10 ans, puisqu’elle a versé 3 000 milliards d’euros aux banques privées sans condition et sans contrepartie pour ces banques privées, c’est que cet argent-là puisse aller vers le développement des services publics, avec un fonds qui serait géré démocratiquement à l’échelle des territoires.
C’est une première proposition que nous faisons et elle est essentielle.
Et je dirai que l’on a besoin d’une deuxième rupture à l’échelle européenne : c’est une rupture qui concerne l’organisation démocratique de l’Union européenne : parce que précisément, aujourd’hui, elle n’est pas démocratique.
Nous, ce que nous disons, c’est que l’Union européenne doit devenir une union de nations et de peuples libres souverains et associés. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que nous sommes favorables aux partenariats. Nous sommes favorables aux coopérations mais nous ne sommes pas favorables à une Union européenne qui conduit de fait les peuples européens vers un chemin qu’ils n’ont pas choisi.
C’est exactement ce qui s’est passé en France. Nous avions une conception particulière du service public, qui n’est certes pas majoritaire au sein de l’Union européenne, mais nous avions notre conception du service public, des services publics adossés à des entreprises publiques. Or l’Union européenne aujourd’hui, enfin depuis maintenant des années, nous tord le bras et nous entraîne vers un chemin qui est un chemin différent. Ce chemin consiste à nous obliger à mettre en concurrence nos entreprises publiques avec des entreprises privées.
Ce n’était pas notre conception du service public. Et donc, nous considérons que, au sein de l’Union européenne, nous devrions avoir le droit de développer la conception que nous avions depuis des années du service public et qui fonctionnait correctement. Et donc cela suppose une construction démocratique à l’intérieur même de l’Union européenne. Et donc cela suppose un changement profond du cours de l’Union européenne. En tout cas, nous sommes convaincus que les choses ne peuvent pas continuer à fonctionner comme elles fonctionnent aujourd’hui.
Voilà les deux éléments que je voulais mettre dans le débat.
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Conclusion
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Et Les Échos, le journal du patronat, l’avoue : il ont fait leur conclusion du grand débat, le 15 mars. Ils disent : « ce n’est pas possible, les gens ne veulent pas de baisse des services publics ; on n’y arrivera pas ».
Et c’est ça : c’est la question démocratique. Ils ne proposent pas non plus de baisser tel ou tel service public. Et ils sont bien embêtés, les autres. Et c’est un atout énorme parce que les gens sentent bien ce qu’il faut, et je pense que c’est important de montrer à quel point les services publics, c’est l’enjeu du 21e siècle, c’est l’enjeu de civilisation, les êtres humains, c’est des êtres de culture. Formation, culture : tout cela fait un tout, pour imposer le développement du bien commun d’où finalement, plus d’humanité en économie.
Il y a une autre chose qui peut nous donner espoir : on a parlé de la règle des 3 %, ce n’est plus 3 % mais 0,5 % de déficit public. Mais ils n’y arrivent pas, puisqu’on est très content d’être à 3, ou un peu moins de 3 que, avec la lutte des Gilets jaunes, on repasse pire que 3 parce que en dessous, c’est pas au-dessus, c’est du négatif : 3,2. Ils n’y arrivent pas. Mais cela ne les empêche pas de continuer avec leurs traités, avec la même logique, affreuse, donc cela montre bien que cela ne marche pas, qu’il faut changer.
Je formule 5 propositions.
Première proposition
Il faut mettre en cause le pacte de stabilité, il faut un pacte de développement et d’expansion des services publics. Voilà. On essaie d’intégrer les gens à autre chose ; je suis membre du CESE, où je siège en tant que membre du PCF. On nous a proposé une soi-disant réponse aux Gilets jaunes, où l’on conforte l’idée de service public, mais sur les moyens… rien. Donc moi, je n’ai pas voulu voter ça, la FSU non plus, d’autres l’ont voté.
En tant que PCF, on ne peut pas accepter de se faire intégrer sur un truc dont la réponse n’est pas le développement des services publics. De même, deux ans avant, on nous a proposé quelque chose sur un socle de droits sociaux européens, sans un fifrelin, sans rien sur l’argent. Qu’est-ce que cela veut dire, des droits sans moyens ? Cela n’existe pas. Sur les 233 membres du CESE, j’ai été le seul à voter contre. C’est comme cela. Mais en sortant, les gens m’ont dit « vous, vous avez voté en votre âme et conscience ; car ce n’est pas possible, dans le pays, que ce soit un contre 133 ». Donc, il faut que l’on sache qu’on est à l’unisson des gens.
Deuxième proposition
Le financement des dépenses publiques : on a dit, l’argent c’est politique (c’est une opinion partagée), la monnaie, l’argent, c’est politique. Pas dans le sens où l’on peut faire n’importe quoi, mais dans le sens où c’est au citoyen et à la démocratie de décider de ce que l’on fait. Et c’est les institutions d’ailleurs qui gèrent ça : quand on pense à la Banque de France, quand on pense aux banques, aux services publics, ce sont des institutions, les marchés financiers, tout cela ce sont des institutions. Donc c’est politique. Ils ont des pouvoirs et de l’argent qui sert ces pouvoirs.
Les impôts, on l’a dit : ce ne sera pas suffisant, surtout pour tout de suite, on a besoin... Qu’est ce que c’est, la dette ? C’est « je me lance en avant, une avance pour la production que je vais récupérer dans un deuxième temps avec la production. »
Donc la dette en soi, ce n’est pas un problème. Ce qui pose problème, ce sont les conditions de la dette, une dette où par exemple, quand on prêtait à la Grèce, on lui prête, mais à condition qu’elle fasse de l’antisocial ! Les conditions que l’on met à côté, ou bien des conditions qui sont : je te prête, mais je te pompe très cher, je te pompe, je te vampirise ton pays. Ou bien l’autre coté, la dette c’est un problème pour les capitaux privés qui disent : « Non : c’est à nous qu’il faut prêter l’argent, c’est pas aux États, et c’est nous qui allons prêter aux États ». C’est pour cela qu’ils ont dit cela, parce qu’il y a une concurrence, une rivalité, sur la dette que cela ne leur plaît pas non plus.
Mais on s’en est toujours sortis par une grande avance sur la dette, et si on la met là où il faut, cela permet de repartir. Après 1945, c’est ce que l’on a fait, on repart correctement et on redéveloppe mais en donnant un tout autre sens.
Donc, des avances pas seulement pour les investissements matériels, mais aussi pour les dépenses humaines, les services publics, c’est aussi des dépenses humaines, c’est la formation, ce n’est pas tout à fait la culture mais ça marche avec…. Il faut voir aussi le changement. Et c’est pour cela que c’est public. On ne va pas prêter pour des dépenses humaines, avec quoi on garantit ? Un être humain pour rembourser ? Non, le privé a besoin d’une garantie quand il prête. Mais si c’est pour des êtres humains, c’est public, si c’est pour des dépenses humaines, c’est public.
C’est aussi pour ça, parce qu’il faut des dépenses publiques, il faut des avances de formation, considérables, pour développer les services publics. S’il faut embaucher des dizaines de milliers de personnes dans le système de santé, il faut les former, on ne va pas les mettre comme ça. Il y a d’énormes avances à faire.
Ce que nous proposons, c’est la proposition de Ian, nous devons voir l’importance qu’elle a. D’ailleurs, chaque fois qu’elle est présentée, elle est soutenue, en réalité. Nous devrions lancer un mouvement européen autour cette question là. Parce que qui d’autre le fera ? C’est un fond européen qu’on crée, qui est une institution nouvelle que l’on crée, qui va servir à financer les services publics en recevant l’argent à 0 % de la BCE. Avec cet argent, le fonds prend des titres de dettes des États et donne de l’argent au secteur public, à 0 %, à condition que cela développe les services publics. Et dans ce fonds, il y a une table ronde démocratique : il y a des députés européens, des députés nationaux, des représentants des organisations syndicales, et à partir même du terrain, on peut le saisir pour les besoins de développement des services publics importants. Et cet argent est prêté à 0 % s’il développe les services publics. Donc on met des conditions. Et comme on le fait, on peut faire quelque chose de nouveau dedans. Et pour tous les États, mais ce n’est pas quelque chose de fédéral, puisque c’est de l’argent pour les États nationaux pour qu’ils développent leurs services publics ; ce n’est pas pour faire un service public européen fédéral encore plus technocratique.
Par exemple, le fret ferroviaire européen : il faut développer un grand réseau de fret ferroviaire européen.
Par exemple, la santé et l’hôpital en Europe, et tous les pays en auront besoin, aussi bien les Grecs que les Allemands ou les Français. Qu’on ne nous dise pas : « les Allemands ne vont pas vouloir ». Tous les débats que j’ai pu faire, ont montré le contraire. Les syndicalistes allemands le veulent, les travailleuses allemandes veulent un service public de l’enfance, par exemple, elles veulent une école où les enfants sont beaucoup plus pris en charge, … Chaque pays a ses spécificités. Les services publics et les infrastructures sont très délabrés en Allemagne. Je fais exprès de dire l’Allemagne, mais en Grèce c’est évident, au Portugal, où l’austérité tue. Des travaux de l’INED ont montré comment.
Pour chaque État, pour chaque pays, pour chaque peuple. Et pourquoi c’est nécessaire au niveau européen ? Parce que l’on a besoin de se serrer les coudes, parce que si, tout de suite, permettez ce petit détour économique, si tout de suite, on a beaucoup de crédits, beaucoup de monnaie mis pour développer les services publics en France, il n’y a pas tout de suite la production qui suit.
Alors, on va taper sur la France, le dollar, la valeur de la monnaie française, si elle n’était que française, elle va perdre de sa valeur, il y aura une spéculation qui se fait, il y aura une mise en cause, il y aura une inflation, si vous voulez.
Si on est à plusieurs en revanche, avec la force de l’euro, toutes et tous ensemble, vraiment ensemble, c’est tout autre chose. Et cela permet de tenir le coup, pour développer les services publics, c’est-à-dire, on fait équipe pour pouvoir se développer ; c’est d’ailleurs pour cela que, d’une certaine façon, la Grèce et l’Espagne dans un premier temps ont bénéficié de l’Europe, parce que cela a été une forme de mutualisation pour développer les choses. Aujourd’hui, ça démolit.
Seuls, face au dollar, face aux grands capitaux financiers, on ne tiendra pas. C’est pour cela. C’est vraiment pour le faire ensemble.
Ce fonds pour le service public est décisif. Mettons que l’on mette ne serait-ce que 30 milliards par mois, ce que faisait la BCE il y a encore un an. 30 milliards par mois, ça fait 360 milliards en un an. Si la France recevait dessus 16%, – c’est ce qu’elle pèse dans la zone euro –, cela lui ferait 58 milliards de ressources nouvelles tout de suite à 0 % : 58 milliards tout de suite à 0 %, c’est considérable.
Et là on entre dans une autre dynamique.
Troisième proposition
Il faut faire aussi avec les pays hors de la zone euro : pour les PECO, pays de l’Europe centrale et orientale qui ne sont pas dans la zone euro, avec eux aussi, on doit avoir un appui de type de ce que j’ai dit pour les services publics mais pour la protection sociale, pour élever le niveau de protection sociale dans ces pays : indemnisation du chômage, protection sociale, pour les aider à se développer mais aussi pour abaisser l’intensité de la concurrence avec eux.
Quatrième proposition
Il faut d’autres règles avec les entreprises : je vais expliquer brièvement. Les services publics, c’est entreprises publiques et services publics d’État, disons. Aujourd’hui, c’est exactement l’inverse, ce sont les entreprises privées qui pilotent. Et là, on nous dit, on nous prétend, quand il a failli y avoir la fusion entre Alstom et Siemens, qu’il aurait fallu faire un grand champion européen privé, mais que les règles nous en empêchent car il faut autoriser les monopoles. Moi je pense qu’il faut d’autres règles, qu’il faut autoriser mais dans l’autre sens. Il faut que les services publics puissent développer avec les entreprises européennes des nouvelles technologies.
Comment a-t-on développé le TGV ? La SNCF s’est lancée avec Alstom ou, avant, la CGE, pour développer le TGV, et aujourd’hui elle ne pourrait pas, parce que ça veut dire, « moi service public pour développer de nouveaux modes de transport, je me mets dans un contrat de partenariat comme donneur d’ordre » ; le produit n’existe même pas, on ne peut pas faire appel d’offres. Et ensuite, l’entreprise, quels intérêts elle a ? Quand elle a développé le produit, elle va pouvoir le vendre. A non : une fois le produit développé vous faites appels d’offres, concurrence, vente à d’autres.
Il faut des règles de coopération des services publics où on peut coopérer durablement avec les entreprises privées comme donneurs d’ordres, pour fixer la ligne et produire, médicament, transport, toutes les filières. Il faut de nouvelles règles pour toutes les filières.
Cinquième proposition
Il faut d’autres traités internationaux que ceux que l’on a actuellement. Des traités aujourd’hui, dont le but est le maximum de commerce international. Il faut l’inverse : des traités pour le développement des biens communs (la santé, l’emploi), et au service de ça, y mettre le commerce international ou les traités internationaux qui lui permettent autant qu’ils permettent le développement des biens communs. C’est-à-dire renverser la hiérarchie.
L’enjeu majeur, en Europe, c’est la coopération et pas la guerre économique. C’est ça la question qui se joue dans ces Européennes, c’est celle là. Et on a aujourd’hui une cohérence historique là-dessus parce que l’on a été contre les traités ultra libéraux, dès le début et systématiquement, tout en lançant l’idée d’une Europe de la coopération. On a une cohérence politique, parce que face à des objectifs ambitieux, il faut des moyens. On ne peut pas « raser gratis », il faut des moyens financiers et des moyens démocratiques, des pouvoirs. Et on a une cohérence de méthode, parce qu’on ne dit pas on va commencer à se taper sur la figure, en défaisant l’Europe, et en faisant la guerre économique renforcée, pour demain coopérer. Tout de suite on cherche à coopérer. On pourrait même avoir un chemin... parce que le fonds européen, la France pourrait commencer à le lancer avec d’autres pays s’il y avait un autre gouvernement en Europe.
Pourquoi Macron ne cherche-t-il pas à mettre en place un fond européen entre plusieurs pays européens, dès maintenant ? entre par exemple toutes les institutions publiques qui existent en Allemagne, en Italie, en France ou ailleurs, et qui réclameraient que la BCE les finance ?
Fondamental, c’est le social, l’argent pour le social. La bataille pour ces Européennes, c’est l’argent pour le social. Le peuple est enfin en train de s’en rendre compte. On le politise en le menant sur des questions d’argent. Et c’est nous qui devons le faire.
La BCE est le verrou majeur de cette affaire-là. Et cela commence à être connu. La BCE commence à revenir plus exactement sur les écrans, puisqu’en 2012, elle avait déjà été mise en avant.
Mais il faut bien voir qu’eux, en construisant l’Europe, ils ont fait un hold-up sur l’idée de coopération, un hold-up sur l’idée de mettre en commun. Parce que nous voulons mettre en commun, coopérer, c’est-à-dire mutualiser les forces. Eux, ils ont dit on va monopoliser pour la guerre économique. C’est le contraire de mutualiser. Effectivement Maastricht, on s’en fout de ces histoires d’argent, nous ce que l’on veut, c’est du social. 2005, ils ont dit stop.
Maintenant, aujourd’hui, la question c’est de dire : il faut une alternative, il faut imposer autre chose, même si c’est très difficile aujourd’hui, il y a la lumière alternative, elle peut briller très fort et très loin, parce que c’est de cela que l’on a besoin.
Chacune et chacun d’entre nous devons maîtriser ces questions là. C’est un moment historique, on voit avec ce que mène la France.
Et c’est un moment historique pour la gauche, on peut recomposer la gauche sur des contenus, avec ces apports-là, et je crois que si on met toutes ces questions, si on avance là-dessus on peut aller très loin.
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