Un effet collatéral du projet de fusion est la sortie définitive d’Alstom de l’activité énergie par la vente de ses parts dans les trois co-entreprises qui avaient été créées au moment de la vente de la branche énergie à General Electric : Renewable (ex Hydro), Grid et GEAST (ex Power). Le plus scandaleux, c’est que cette vente n’est pas du tout un choix stratégique, mais seulement un moyen de réunir le cash nécessaire à payer le deuxième dividende extraordinaire de 900M€ prévu au projet de fusion. Si la fusion ne se fera pas, la vente des filiales énergétiques, elle, s’est bel et bien faite.
Rappelons brièvement que la création de ces trois co-entreprises avaient été obtenue par A. Montebourg pour garder au sein d’Alstom une partie de l’activité « énergie ». Elles sont au nombre de trois :
– Grid produit des matériels de réseaux, notamment les réseaux « intelligents ».
– Renewable produit des turbines hydrauliques et éoliennes.
– La filiale commune General Electric-Alstom Steam (GEAST) est dédiée aux activités concernant les salles des machines des centrales nucléaires, et plus globalement les activités liées aux turbines à vapeur Arabelle, historiquement implantées depuis la France. GEAST regroupe les activités de deux des filiales d’Alstom : Alstom Power System et Alstom Power Services. Détenue à 80 % par General Electric et 20 % par Alstom, cette société porte donc l’intégralité des activités de production et de maintenance pour la partie conventionnelle du parc nucléaire d’EDF en France (turboalternateurs essentiellement). Elle est donc, pour le moins, une entreprise stratégique pour notre indépendance énergétique. C’est la vente de cette entreprise stratégique que l’exécutif a autorisée en autorisant la fusion avec Siemens.
Naturellement, l’exécutif prétend qu’il a pris toutes les mesures nécessaires à préserver l’intérêt national et notamment préserver les brevets qui matérialisent le savoir-faire français. Difficile à établir car tout s’est conclu dans la plus grande opacité. Toutefois, la lecture des auditions de la commission d’enquête parlementaire donne quelques informations. Trois dispositions avaient été prises :
Si elle était dirigée opérationnellement par General Electric, la moitié au moins des membres de son conseil d’administration étaient français. Un des membres du conseil d’administration, nommé par l’État, disposait d’une action spécifique lui conférant un droit de veto (une golden share) pour toute décision qui affecterait l’intégrité et la continuité de l’offre industrielle de GEAST autour de l’îlot conventionnel. Après la vente de la totalité de GEAST à General Electric, plus d’administrateurs français donc plus de « golden share ».
Le deuxième levier est l’accord-cadre signé entre l’État, General Electric, Alstom et EDF en 2014 pour la pérennité du parc nucléaire existant du groupe EDF. Cet accord s’applique à l’ensemble des équipements fournis historiquement par Alstom, jusqu’à la fin de vie de chaque palier pour le parc nucléaire d’EDF en France et en Grande-Bretagne et pour les EPR en construction ou en projet – à l’époque Flamanville 3 et Hinckley Point C. Cet accord est complété par un accord de licence qui concède à une société dédiée, propriété à 100 % de l’État français, une licence sur les droits de propriété intellectuelle existants et à venir d’Alstom, afin de sauvegarder l’accès d’EDF à cette propriété intellectuelle en cas de défaillance de General Electric.
Le troisième levier est l’accord-cadre signé entre l’État, General Electric, Alstom, AREVA et EDF en novembre 2014 pour les nouveaux projets nucléaires. Il comporte un engagement minimum de dix ans – reconductible par période de dix ans. General Electric s’engage à développer les groupes turbo-alternateurs à base de technologie Arabelle et à transmettre des offres compétitives si EDF développe de nouveaux projets. Comme le précédent, cet accord est complété par un accord de licence entre les mêmes parties qui concède à la même société détenue par l’État une licence sur les droits de propriété intellectuelle existants et à venir d’Alstom, afin de sauvegarder l’accès d’EDF à la propriété intellectuelle d’Alstom en cas de défaillance de General Electric. Un dispositif de séquestre est même prévu pour sécuriser cet accès.
Mais un accord de licence n’est pas un brevet. En réalité, la propriété intellectuelle semble bien avoir été transférée à General Electric. C’est un abandon gravissime de la part de l’exécutif français.
La vente de Alstom Power avait déjà dégradé la qualité de la maintenance du parc français. « EDF est également aujourd’hui préoccupée par la tendance de General Electric à faire davantage appel à la sous-traitance pour la réalisation des opérations de maintenance sur le parc thermique. Cette moindre implication de ressources propres fait craindre à court ou moyen terme une perte de compétences techniques de General Electric concernant des matériels anciens de fabrication Alstom tels que les turbines à vapeur ou les alternateurs. » avait déclaré le PDG d’EDF devant la commission d’enquête parlementaire.
Avec La vente de la totalité de GEAST que deviennent les accords qui reposent essentiellement sur la confiance qu’on accorde à General Electric ? Peut-on avoir confiance dans les engagements de General Electric ? L’expérience récente montre évidemment que non. General Electric n’a pas respecté ses engagements de créations d’emploi et le revendique haut et fort. Au passage, General Electric montre dans quelle estime ils tiennent le gouvernement français. On peut donc être très inquiets pour trois raisons :
– Même si elle conservait son activité de turbines nucléaires, General Electric devient un opérateur totalement indépendant de la filière française. EDF n’est donc plus en capacité de proposer à l’export une offre complètement française. Pire, EDF pourrait, sur des projets à l’export, se trouver confronté à une concurrence de General Electric associé à un autre offreur.
– General Electric est en pleine déconfiture et sous la pression des fonds activistes notamment Trian dont Nelson Peltz a été nommé administrateur : General Electric a annoncé une dépréciation d’actifs de 23 milliards de dollars dans sa division énergie, l’une des plus importantes de l’histoire, et, avant sa dépréciation d’actifs, avait déjà annoncé 6 000 suppressions de postes dans le monde. Il n’est donc pas exclu que General Electric finisse par se débarrasser de GEAST auquel cas les brevets du nucléaire et sa maintenance tomberaient dans les mains de n’importe quel opérateur, le plus offrant.
Enfin, General Electric est une société de droit américain. Il y a donc un risque politique évident à l’export que les États-Unis, au nom de la capacité juridique extra territoriale qu’ils s’octroient puissent s’opposer ou s’immiscer dans des négociations de nouveaux projets nucléaires internationaux pilotés par EDF. Les pouvoirs publics et les acteurs de la filière nucléaire sont parfaitement conscients de ce danger puisque, d’après Levy, PDG d’EDF « Cet accord prévoit que la technologie Arabelle et les produits Alstom continuent à être développés sans que les contraintes d’exportation qui pourraient être imposées par les États-Unis ne puissent s’appliquer à eux ». Argumentation parfaitement inepte du point de vue juridique comme politique.
L’ensemble de ces éléments montrent qu’il y a eu, de la part de l’exécutif et notamment du Président de la République, au mieux une démission, au pire une trahison de ses responsabilités constitutionnelles, notamment l’article 5 de la constitution : « Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. »
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