Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Libérons l’Europe Le national-libéralisme est au bout du « modèle »

Le nouvel ouvrage de Bruno Odent paraît en janvier, à quelques mois des élections européennes. Nous en publions l’introduction, en exclusivité pour les lecteurs d’économie et politique.

Il est minuit moins cinq à l’heure européenne. De l’Italie à l’Autriche en passant par la Hongrie, la Pologne ou la République tchèque, la liste des États membres de l’Union européenne (UE) où des partis nationalistes participent ou même accèdent au pouvoir, ne cesse de s’allonger. Et il n’existe quasiment plus d’endroit où ces forces ne réussissent pas à imposer leurs thèmes de repli et de haine des étrangers tout en haut du débat public. Comme en France quand l’ex Front national parvient à se qualifier au second tour de l’élection présidentielle de mai 2017, ou en Allemagne quand, quatre mois plus tard, 92 députés de lextrême-droite font leur entrée au Bundestag. La menace nationaliste se fait toujours plus précise.

En guise de réponse, Paris plaide pour maintenir le cap du « modèle » européen. Le seul salut viendrait d’une adaptation à ses contraintes les plus exigeantes. La France ne serait pas « raccord ». Il faudrait qu’elle rattrape son retard. D’où une rafale de contre-réformes, depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, qui précarisent, augmentent les souffrances sociales, creusent les inégalités.

La situation à Berlin, cœur de référence du « modèle », devrait pourtant résonner comme un tocsin. Une crise politique majeure et permanente s’y est installée. Angela Merkel est, depuis la fin de l’année 2018, une chancelière en sursis dont plus personne outre-Rhin ne donne cher de sa capacité à achever son mandat.

Garder le cap fut aussi l’obsession de la présidente « démissionnée » de la démocratie chrétienne allemande. Elle qui s’est employée à consolider, en Allemagne et en Europe, un cadre réglementaire mieux soumis aux critères des marchés financiers. Soit un renforcement de « l’ordo » du modèle ordo-libéral germanique, ces normes de rigueur monétaristes qui imprègnent tant, de Maastricht au traité dit budgétaire de 2012, la lettre des traités européens.

Plus de contrôle et de coercition d’organismes « indépendants » devaient permettre d’en venir à un pilotage quasi automatique de la zone euro. L’objectif : passer outre quoi qu’il arrive en se protégeant des vents facétieux de la démocratie, en faisant subir aux salariés un régime commun de protections sociales « light » et de codes du travail « low cost », assorties d’un consensus « hard » pour contenir ou expulser les migrants.

Terrible contresens : l’approfondissement des inégalités et du mal-être social, comme la banalisation du racisme, confortent les nationalistes dans toute l’Europe. Pis, ces derniers convergent avec les principes de base libéraux et monétaristes du « modèle ». Ils n’en déplorent que le caractère biaisé, déloyal pour leurs « champions nationaux ». Ce qui fait d’eux une « option » crédible aux yeux d’une bonne partie des classes dirigeantes européennes.

Cet ouvrage décrypte comment la crise de l’ordo-libéralisme de la zone euro déblaie le terrain des nationalistes. Une radiographie du « modèle allemand » dont il est copié/collé permet d’éclairer la réalité et la profondeur des phénomènes qui minent le projet européen de l’intérieur.

Comme l’illustre la crise politique à Berlin quand Angela Merkel est poussée vers la sortie par le courant nationaliste qui a émergé dans son propre camp. Le ver est dans le fruit du centre névralgique du modèle. L’ordo-libéralisme y a largement amorcé sa mue vers le nationale-libéralisme.

L’immixtion ouverte de Donald Trump qui se veut chef de file planétaire de ce mouvement si faussement anti-système, confirme la gravité des risques qui pèsent sur le vieux continent. Le locataire de la Maison-Blanche ne cache plus sa volonté de torpiller toute velléité de coopération en Europe pour mieux ré-asseoir la suprématie de l’Oncle Sam. Au point de dépêcher sur place l’un de ses ex chefs de campagne pour y installer une sorte d’internationale national-libérale.

Libérer l’Europe de la tenaille mortifère de son « modèle », c’est aussi la préserver de son stade ultime, national-libéral. La partie sera difficile. Mais elle n’est pas jouée. Car le caractère empoisonné du « modèle » est devenu aussi de plus en plus apparent. « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve », écrit le poète Friedrich Hölderlin. Les besoins de changements et de solutions nouvelles radicales ont atteint aussi un degré de maturité inédit. Des rapports de force peuvent s’inverser comme au Portugal avec l’arrivée d’un gouvernement socialiste, soutenu par les communistes et la gauche radicale, qui n’hésite pas à se démarquer des injonctions de Bruxelles, ou en Grande-Bretagne, poussée depuis 2016 dans le cauchemar nationaliste et xénophobe du Brexit, où des résistances et des alternatives émergent fortement désormais à gauche.

Pour un vrai débat d’alternative à l’échelle de toute l’Union européenne

Un vrai débat d’alternative doit pouvoir s’étendre sur tout le continent. Ce livre y apporte sa part en mettant la focale, dans ses trois derniers chapitres, sur des développements alternatifs aussi urgents que concrets. Il esquisse comment une « autre Europe », refondée, serait l’échelle pertinente dans le traitement de plusieurs grands défis du moment pour la démocratie, la paix et indissociablement pour la survie de l’espèce humaine.

La possibilité existe de faire converger des aspirations au changement très concrètes en se saisissant en particulier du besoin d’une création monétaire européenne transformée, sélective, pour en faire un vecteur du développement et de coopérations solidaires. À l’inverse du retour en arrière prôné par les nationalistes qui voudraient réimprimer les devises nationales en dévaluant les plus faibles, ajoutant ainsi un dumping monétaire aux dumpings sociaux et fiscaux déjà existants.

Libérons l’Europe pour la rendre capable de mobiliser les crédits à taux nul de la Banque centrale européenne (BCE) pour des investissements utiles, dans les compétences humaines, la formation, les services publics, pour surmonter la crise sociale, pour appuyer les pays les plus en difficulté comme la Grèce plutôt que de s’acharner à leur maintenir la tête sous l’eau.

Libérons l’Europe pour l’affranchir des dogmes des marchés financiers, de la compétitivité et de la soumission aux références du capital le plus fort. C’est-à-dire, pour le formuler nettement, de la loi des grands groupes exportateurs germaniques imposée par Helmut Kohl contre les intérêts du peuple allemand et de ses homologues européens au lendemain de la réunification.

Libérons l’Europe pour qu’elle remplisse son devoir d’accueil et d’inclusion des centaines de milliers de réfugiés qui fuient les guerres, la misère ou les catastrophes environnementales.

Libérons l’Europe pour qu’elle agisse contre le réchauffement climatique et se dote des moyens concrets pour y parvenir.

L’urgence alternative est là. Les besoins de solidarité internationale et de rapprochements d’égal à égal des peuples du continent n’ont jamais été aussi importants. zzz

 

 

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