Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Même le vent semblait pleurer

Le mois de novembre fut celui de la célébration de la « victoire de 1918 ».

Peu de gens ont cependant posé une question comme celle-ci : Victoire sur quoi et pour qui ?

Car les événements qui ont suivi cette « victoire » ont bien confirmé qu’il ne s’agissait absolument pas d’une victoire sur les forces réactionnaires qui ont animé la guerre, ni d’une victoire pour les travailleurs des pays belligérants, à l’exception de la Russie bien sûr.

Si, par les temps qui courent, une telle question paraît provocatrice, elle n’est pas neuve. D’autres l’ont posée par le passé. Ainsi, Anatole France la posait-il subtilement quelque temps après la « victoire de 1918 », en parlant de cette guerre comme « essentiellement l’œuvre des hauts industriels […], qui la voulurent, la rendirent nécessaire, la firent, la prolongèrent » ; guerre dans laquelle on croyait « mourir pour la patrie », alors que dans la réalité, on mourrait « pour les industriels ».

Il est regrettable que de tels propos n’aient pas été relayés dans les médias, alors que la célébration de la « victoire de 1918 » dérivait jusqu’à la glorification du Maréchal Pétain. Rendons donc hommage à l’ancien député européen Francis Wurtz qui cite les mots d’Anatole France pour tirer de « bonnes leçons de l’histoire », L’Humanité Dimanche, n° 633, 8-14 novembre 2018.

Il est aussi regrettable que les médias, notamment les chaînes de télévision publiques, n’aient pas pensé à programmer des œuvres comme Les Sentiers de la gloire, chef-d’œuvre de Stanley Kubrick, film qui, précisément, met en évidence le cynisme des maréchaux envoyant délibérément les soldats, pauvres paysans et ouvriers, devant les canons, alors qu’eux-mêmes n’hésitaient pas à participer aux cérémonies et réceptions dansantes et champagnisées.

Pourquoi était-il souhaitable, voire nécessaire de citer des propos comme celui d’Anatole France ou de projeter des films comme celui de Kubrick ?

Parce que loin d’être la réponse pertinente aux problèmes qui avaient conduit à la guerre, la « victoire de 1918 » a établi les jalons d’une nouvelle guerre sanglante en humiliant le peuple allemand, tout en renforçant la position des capitalistes des pays dits vainqueurs.

Parce que la période que nous vivons est pleine de dangers.

Parce que le capitalisme financiarisé dominant est profondément en crise et cette crise nourrit des tensions dont les perdants sont, comme par le passé, les travailleurs.

Parce que les conflits se multiplient à travers le monde.

Parce que l’humanité n’est pas à l’abri de nouvelles catastrophes liées à la présence des armes de destruction massive.

Conscients de ce danger, 118 pays ont ratifié récemment une résolution de l’ONU exigeant l’abolition de ces armes. Fait important, et mis en sourdine : les puissances militaires et les pays producteurs et exportateurs d’armes, parmi lesquels la France, n’ont pas ratifié cette résolution.

Et comble d’hypocrisie, ces mêmes pays ont participé au « Forum de Paris sur la paix », organisé par la France à l’occasion du centenaire de la « victoire de 1918 ».

Dans de telles conditions, il faut se féliciter qu’Arte, chaîne de télévision publique, ait diffusé, quoique tard dans la soirée (pur hasard ?, allez savoir), un film intitulé Même le vent semblait pleurer, version courte du film de Jean-Gabriel Périot sorti en salle sous le titre Lumières d’été.

Le film commence par le récit émouvant des scènes de l’apocalypse, devant la caméra d’un cinéaste, par une rescapée d’Hiroshima : corps brûlés, rivière colorée de sang… Le récit ne se limite pas au jour même de l’apocalypse ; les souffrances durent des jours, des mois, des années : individus fatigués et malades, cheveux qui restent dans la main lorsqu’on touche la tête (épisode qui rappelle aussi le chef-dœuvre de Shohei Imamura, Pluie Noire)… 

Le reste du film relate la rencontre fortuite du cinéaste avec une jeune fille et leur excursion dans la ville reconstruite mais qui porte toujours les séquelles de l’apocalypse.

On retiendra de cette excursion, en particulier, le dialogue de ces deux jeunes gens avec un chef cuisinier, lui aussi rescapé d’Hiroshima, qui leur récite les souffrances de l’époque, la faim, la détresse, etc., pour ajouter ensuite : vous entendez tout cela et vous l’oublierez…

Mais peut-on oublier tout cela ? Le regard parfois joyeux, parfois mélancolique de la jeune fille, est un appel à ne pas oublier la catastrophe. En effet, la jeune fille se nomme comme la sœur de la rescapée dHiroshima précitée. Cette sœur infirmière qui s’est mise, jour et nuit, à soigner les blessés et qui mourut quelques mois plus tard à cause de la radiation nucléaire.

La chanson mélancolique et les scènes ultimes du film suggèrent qu’on ne peut pas, qu’on ne doit absolument pas, oublier le jour où « même le vent semblait pleurer ».

Cette invitation à ne pas oublier, à se souvenir en permanence de l’apocalypse, ne relève pas simplement d’un devoir éthique (« plus jamais ça »). Il en va de notre existence même, car la présence des armes de destruction massive met en péril des milliards de vie.

En effet, les quelques 15 000 armes nucléaire détenues par 25 pays (sur les 197 pays du monde) mettent en danger l’existence de l’humanité à tout moment. Parmi les pays détenteurs d’armes nucléaires, seuls dix fabriquent de telles armes (Source : Nuclear Weapons Ban Monitor, 2018).

Ces données confirment qu’au-delà de la nécessité, du point de vue éthique, de militer pour le désarmement, il est possible de forger des campagnes pour imposer le désarment et la destruction des armes de destruction massive. 

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