Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Georges Politzer, économiste

L’évocation de la figure de Georges Politzer que nous publions ci-dessous s’inscrit, après les deux numéros d’hommage à Paul Boccara publiés au début de cette année, dans une série cherchant à tirer des enseignements de la façon dont les questions économiques ont constitué des enjeux politiques au cours de l’histoire, et en particulier dans l’histoire du PCF. Nous poursuivrons dans de prochains numéros la publication de documents sur ces sujets.

C’est grâce au regretté Pascal Posado, maire honoraire des Quartiers Nord de Marseille, que je me suis orienté vers l’économie politique de Georges Politzer, brillant agrégé de philosophie.

L’historien Serge Wolikow a mis en évidence le rôle joué par Georges Politzer dans la période qui précède la Deuxième guerre mondiale pour développer une doctrine économique originale du PCF, telle qu’elle trouve son expression dans le rapport prononcé par Jacques Duclos devant la Conférence nationale du PCF réunie à Gennevilliers les 21, 22, 23 janvier 1939. On y discerne « l’aboutissement des efforts politiques déployés par le Parti communiste, dans la situation politique nouvelle créée par Munich et la dislocation du Front populaire, pour tenter de tracer les lignes d’une autre politique, démocratique et nationale, qui s’opposerait à celle mise en œuvre par le gouvernement Daladier-Reynaud avec l’appui de la droite et le soutien tacite des socialistes. » 1 Jacques Duclos a organisé et su utiliser la réflexion collective, impulsée de façon exemplaire par Georges Politzer surtout et le physicien Jacques Solomon. En effet, il y avait à cette époque un manque d’économistes de formation.

Analysant l’échec économique du Front populaire, Duclos « peut, à juste titre, rappeler les effets désastreux de la politique de déflation appuyée par le grand patronat : l’État, en diminuant les dépenses publiques, les salaires des fonctionnaires, donnait aux entreprises l’exemple d’une politique visant à diminuer les coûts de production en comprimant directement les coûts salariaux. Cette politique socialement injuste se révélait désastreuse économiquement : le ralentissement de l’activité économique, linjustice du système fiscal et la fraude provoquaient une diminution des recettes budgétaires bien plus rapide que celle des dépenses. Délaissant les investissements, profitant des taux d’intérêt élevés maintenus par la politique demprunt public, les grandes entreprises développaient principalement des activités de spéculation sur les monnaies, les placements à court terme, l’or. Dès 1935, la spéculation sur la monnaie, la fuite des capitaux passent au premier plan. Les responsables en sont les spéculateurs : les banques notamment agissaient en prévision d’une prochaine dévaluation vivement souhaitée. Elles désiraient également créer, à la veille des élections durant le mouvement spéculatif de mars 1936, les conditions pour faire pression sur le futur gouvernement […] Dans son rapport, J. Duclos peut s’appuyer sur une étude minutieuse de Politzer dans laquelle celui-ci a examiné plus particulièrement comment la politique économique de Brüning, de 1930 à 1932, avait créé les conditions les meilleures pour la montée du nazisme »2.

« Georges Politzer, à travers ses nombreux articles des Cahiers du bolchevisme, Jacques Duclos à la Chambre des députés montrent bien que la reprise économique ne peut être assurée par une simple relance de la consommation individuelle et par une politique systématique de déficit budgétaire, telles que les socialistes les préconisaient. Ils mettent au contraire en avant la nécessité d’une grande politique sociale et des grands travaux. Les dépenses publiques étaient difficilement compressibles en raison de la part considérable qu’y occupaient les charges de la dette publique (les dépenses militaires notamment). Pour financer les mesures sociales, les élargir – par exemple adopter la retraite des vieux – et pour développer les grands travaux, il fallait dégager des ressources fiscales nouvelles […] Dans les articles que Georges Politzer consacre à la question des finances publiques et au budget, il montre qu’en dépit de ces mesures prises pour accroître le rendement fiscal, le déficit budgétaire ne pourra être comblé. Effectivement, malgré l’augmentation des impôts, compte tenu du gonflement des dépenses, le déficit s’aggrave, même si les divers gouvernements s’efforcent de le camoufler en recourant à des astuces comptables. »3

« En prenant appui sur elle, le PCF cherche à dépasser son expérience acquise dans la campagne qu’il avait menée en 1935-1936 contre les deux cents familles. Abandonnant les dénonciations générales, le PCF réussit enfin à réaliser des démonstrations concrètes de la malfaisance des trusts, à travers les portraits des hommes qui les incarnent. “La nouvelle féodalité” est présentée à la population à travers une galerie de portraits publiée par la presse communiste, utilisée dans les discours parlementaires et populaires, par une remarquable brochure intitulée Les trusts contre la France. La coordination du travail est assurée en grande partie par Georges Politzer qui a joué, dans les progrès de la réflexion économique du Parti, le rôle capital encore mal connu. »4

Politzer situait d’ailleurs la politique économique de Daladicr dans une perspective de longue durée : « Le redressement économique devient pour lui le prétexte pour pratiquer une politique tendant à développer en France davantage la concentration capitaliste, la puissance des trusts […] ». Au lendemain du discours dans lequel Daladier avait manifesté une certaine fermeté à l’égard des pays fascistes, M. Thorez écrit dans l’Humanité du 2 avril 1939 un article qui, sous le titre “Pour un gouvernement d’union contre l’ennemi fasciste”, rappelle entre autres la nécessité d’adopter un programme économique qui “mobilise les capitaux” et fasse “payer les riches”. »5

« Il nous semble que la connaissance précise des développements de la réflexion du Parti communiste, en 1938-1939, aide à mieux comprendre comment il est parvenu à jouer, durant loccupation, un rôle davant-garde dans la Résistance, par exemple pour ce qui concerne la définition du programme qui allait devenir celui du Conseil national de la Résistance, conclut Serge Wolikow. Comment, alors qu’il était clandestin depuis plus de trois années, un tel parti dont les militants, parmi les meilleurs, étaient arrêtés et fusillés en masse, dont la direction était assurée seulement par quelques membres du Comité central, a-t-il réussi à préciser les principaux points économiques et politiques du programme de la Résistance ? »6

Il reviendra aux historiens d’approfondir l’importance historique de Georges Politzer. Il fut assassiné en 1942 par les nazis : il avait 39 ans.

À lire : Michel Politzer, Les Trois morts de Georges Politzer, Flammarion, Paris, 2013. zzz

 

1. Serge Wolikow, « 1936-1939, Genèse de la politique économique du PCF », Cahiers d’Histoire de l’Institut Maurice-Thorez, n° 17-18, 1976.

2. Ibidem.

3. Ibidem.

4. Ibidem.

5. Ibidem.

6. Ibidem.

 

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