Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Rapprochement Caisse des dépôts-La Poste : tout le contraire d’un pôle financier public

Avec les amendements parlementaires qui sont venus compléter les dispositions initiales du projet de loi PACTE, c’est toute une réorganisation de l’intervention publique dans le financement de l’économie qui se dessine, d’une ampleur sans précédent depuis les privatisations des années 1980.

Résumons. La Caisse des dépôts et consignations (CDC) devient l’actionnaire majoritaire de La Poste à la place de l’État. Les organes de direction de La Poste sont réformés pour les rapprocher de ce que prévoit le droit commun des sociétés (le président de la République se réservant d’en nommer le président). Corrélativement, la Banque postale devient, à la place de la Caisse des dépôts, le principal actionnaire de la Caisse nationale de prévoyance, première entreprise d’assurance des personnes en France, à la tête de 400 milliards d’actifs. Le statut de la Caisse des dépôts, historiquement placée sous la surveillance du Parlement, est lui-même modifié pour rapprocher la composition et les prérogatives de sa Commission de surveillance de celles d’un conseil d’administration ordinaire : elle comprendra désormais huit « personnalités qualifiées », c’est-à-dire des représentants des milieux financiers. La clé de ces modifications est donnée par une autre disposition de la loi PACTE : l’assujettissement de la CDC à la surveillance de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui fait entrer la CDC dans le régime commun des banques commerciales. On peut s’attendre à voir le puissant groupe constitué de la CDC, de la Banque postale, de la CNP et de BPI France (dont des amendements à la loi PACTE modifient également la structure) passer, avec ses 1 000 milliards de bilan, sous le contrôle direct de la Banque centrale européenne comme les autres groupes bancaires « systémiques » européens.

Emmanuel Macron ose baptiser cela un « pôle financier public » pour capter la popularité d’une proposition formulée de longue date par le Parti communiste et le mouvement syndical. N’avait-il pas intitulé Révolution le pamphlet par lequel il avait lancé sa campagne présidentielle ?

Mais s’agit-il ici de contester la dictature des marchés financiers sur l’économie ? De faire pression sur les banques ordinaires pour qu’elles cessent de financer les OPA1, les LBO2, les placements dans les paradis fiscaux, et pour qu’elles accordent des crédits aux investissements qui favorisent l’emploi, la formation, la création de richesses dans les territoires, l’écologie ? S’agit-il de rappeler à leur responsabilité sociale BNP-Paribas et la Société générale, par exemple en les nationalisant ? Le nouveau groupe a-t-il l’intention de recourir au refinancement à 0 % par la Banque centrale européenne pour financer le développement des services publics ? Est-il question de donner à cet effet des pouvoirs aux usagers du crédit bancaire – c’est-à-dire, de fait, à tous les citoyens ?

Évidemment non. La loi PACTE vise à « développer les sources d’épargne longue pour le financement en fonds propres et la consolidation du capital des entreprises françaises, et à faciliter l’accès aux marchés du financement pour toutes les entreprises, en mobilisant tous les leviers disponibles ». Le grand projet national et européen des milieux dirigeants reste d’accroître encore le recours des entreprises et des collectivités publiques aux marchés financiers, en exonérant les banques de leur responsabilité en la matière. Tout pour le capital et les marchés financiers ! Dans ce schéma, l’intervention des institutions financières publiques est expressément désignée comme « complémentaire » de celle de la finance privée. Le capital public serait là pour venir à la rescousse du capital privé en prenant en charge des financements que ce dernier ne considère pas comme rentables. C’est déjà cette doctrine qui suscite les nombreuses critiques des dirigeants de PME et des élus locaux contre l’action de BPI France3.

Soulignons que l’avis des 300 000 salariés concernés a totalement été ignoré dans l’élaboration de ce vaste projet, qui est pourtant lourd de menaces sur leurs emplois et leurs statuts. Ce n’est pas la nomination de deux administrateurs salariés à la Commission de surveillance de la CDC, sur le modèle des conseils d’administration des sociétés anonymes, qui sera de nature à donner le change.

Ce n’est pas la première tentative du genre. On se souvient du sort qu’a connu le Crédit lyonnais transformé en instrument de l’intervention étatique au service de la libéralisation financière, il y a trente ans. On a vu, plus récemment, Nicolas Sarkozy constituer un conglomérat regroupant les Banques populaires, les Caisses d’épargne banalisées et les débris du secteur financier public d’avant la libéralisation financière (BFCE, Crédit national, Crédit Foncier, CDC-Ixis…) : BPCE est aujourd’hui l’un des quatre groupes capitalistes français qui font partie des trente « banques systémiques » identifiées par le FMI, celles que François Morin appelle l’« hydre mondiale »4. Sa présence (via notamment sa participation dans la CNP) dans la structure financière du nouveau groupe en constitution autour de la Caisse des dépôts va contribuer à le contaminer par les critères de rentabilité des marchés financiers. On se souvient qu’en France le principal sinistre bancaire de la dernière crise a été la faillite de Dexia, issue de la privatisation du Crédit local de France.

On frémit en pensant au péril que vont courir ces institutions chargées de la « foi publique », de la gestion de l’épargne populaire, des services bancaires de proximité dans les territoires, d’un rôle stratégique dans le financement des collectivités territoriales, du logement, des PME, des infrastructures de transport et de communication, lorsqu’elles seront plongées dans la tourmente du prochain krach financier.

La restructuration des institutions financières publiques est une étape importante dans la soumission de la société française au capital et aux marchés financiers. Pour conjurer les périls qui l’accompagnent, un très large rassemblement de forces sociales, syndicales, politiques peut se constituer pour exiger la constitution d’un pôle financier public digne de ce nom, mettant en réseau la Banque postale, BPI France, la CDC, la CNP et d’autres réseaux bancaires nationalisés, en liaison avec les banques mutualistes, avec la Banque de France (établissant le lien avec la Banque centrale européenne) autour d’une mission commune, un service public du crédit pour financer les investissements favorables à l’emploi, à la formation, à la recherche, au développement des services publics, à la production de ces biens communs de l’humanité que sont le climat, la pureté de l’air et de l’eau, la biodiversité, la santé. Le Parti communiste à là l’occasion de jouer son rôle en montrant la cohérence de ces propositions avec les moyens à conquérir, face à la mondialisation financière, pour prendre le pouvoir sur l’utilisation de l’argent, depuis les entreprises et les quartiers jusqu’aux institutions européennes et mondiales. zzz

 

1. Offres publiques d’achat, par lesquelles des groupes prennent le contrôle en Bourse d’autres sociétés, moyennant en général un coût du capital exorbitant.

2. Leveraged Buy Out, ou rachat avec effet de levier, opération par laquelle des banques financent le rachat à bas prix de sociétés en difficultés en vue de leur revente avec un énorme profit après leur restructuration et la suppression d’emplois.

3. C’est aussi ce que met en évidence l’avis de Frédéric Boccara au CESE sur le financement des PME et des TPE : <http://www.lecese.fr/travaux-publies/les-pmetpe-et-le-financement-de-leur-developpement-pour-lemploi-et-leur-efficacite>.

4. François Morin, L’Hydre mondiale, l’oligopole bancaire, Lux, Montréal, 2015.

 

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