Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Ne pas décevoir, ni maintenant, ni ensuite

A partir de l’élan vital et du vote historique des communistes en faveur du texte « pour un Manifeste du parti communiste du xxie siècle », comme base commune de discussion pour le 38e congrès du PCF, un tournant fondamental est possible pour le PCF et pour toute la gauche. Il est nécessaire.

Cette base commune met en son cœur une réorientation du PCF, sur la base d’une nouvelle articulation entre social et « sociétal » (plus exactement entre économie et anthroponomie) face aux défis gigantesques qui sont face à nous, à commencer par le nouvel éclatement qui vient dans la crise systémique de longue durée. Cette nouvelle articulation insiste à la fois fortement sur l’économie, pas comme un point parmi d’autres mais comme un enjeu majeur et politique (comme l’annonce le titre de notre revue), et elle insiste dans le même temps sur la conjonction avec l’anthroponomie. Exploitation et dominations se renforcent, comme l’image le mot patron dont l’étymologie renvoie au « pater familias » (père de famille) avec toute une conception du pouvoir, des relations interpersonnelles et une forme de domination masculine ainsi véhiculée. Mais de l’autre côté, les luttes sociales et sociétales peuvent se conjuguer. Et il nous appartient d’y contribuer. Les luttes pour les droits des LGBT peuvent renvoyer aux luttes pour l’émancipation de la personne humaine dans la singularité de chacun. e et, indissociablement, sociale : levier formidable pour mettre en cause la réduction de chaque personne à une chose, à une marchandise – la force de travail – au cœur du marché capitaliste. C’est dire la puissance émancipatrice de l’enjeu d’une sécurité d’emploi et de formation (SEF), qui peut se nourrir des luttes dites sociétales et des luttes sociales, sans qu’aucune ne soit la pré-condition de l’autre.

Ce sont aussi les enjeux de l’écologie, pour une part « inter-classistes » car chaque être humain est concerné dans son existence ou dans le devenir du genre humain. Ils peuvent nous permettre de rassembler comme jamais, non pas pour éviter les enjeux difficiles de l’argent, des pouvoirs à conquérir sur son utilisation et de la logique capitaliste. Mais pour mieux affronter les questions majeures de la domination de la recherche de profit – ce que nous appelons la domination du capital – qui consiste à la fois en une logique, des coûts, des règles, des pouvoirs et des institutions. Pour mieux souligner le besoin de révolution.

Nicolas Hulot a insisté, tardivement, sur les arbitrages budgétaires défavorables au sein du gouvernement, sur les « lobbies » (en fait le grand capital financier) et même sur les pouvoirs des multinationales. Après son départ du gouvernement, il apparaît de plus en plus clair que l’on ne peut pas dépolitiser l’écologie, ni faire croire qu’elle serait compatible avec l’austérité, ni conciliable avec la logique actuelle des grandes multinationales. Changer les critères de gestion des entreprises est fondamental pour répondre au défi écologique. Comme de sortir les dépenses publiques de l’étau des marchés financiers. Dans le même temps, cela appelle, de notre part, des innovations dont la dimension culturelle ne doit pas être sous-estimée, en particulier concernant l’importance d’une nouvelle consommation, ou une conception parfois suiviste de la technologie (la technologie est décisive mais elle n’est pas neutre, on ne doit pas laisser son élaboration aux dominants).

L’écologie renforce le besoin de révolution. Elle peut nous permettre de prendre en tenaille l’entreprise capitaliste et les banques, du dedans, avec les salariés de toutes catégories, comme du dehors avec les habitants et usagers. La bataille amorcée pour Alstom, avec l’appel lancé par nous et co-signé à la fois par des syndicalistes d’Alstom, des banques, mais aussi par Jean Jouzel, climatologue important et membre du GIEC, en indique les potentialités.

D’autres potentialités considérables existent concernant l’Europe et la mondialisation. Elles rencontrent des enjeux décisifs de l’emploi, de l’écologie, d’une autre culture, des services publics et de l’émancipation face à la domination des marchés financiers.

Tout cela implique deux autres réorientations majeures : entreprise et affirmation communiste.

L’entreprise est le trou noir de la pensée économique dominante, néo-classique. C’est aussi la grande absente des enjeux portés par les autres partis et organisations politiques. Ce ne serait « pas une question politique » prétendait Pierre Gattaz du Medef. Nous pensons tout le contraire : avant tout à cause des pouvoirs qu’ont les entreprises sur les gens, les vies et les territoires. C’est pourquoi une implantation du PCF dans entreprises est fondamentale, conjuguée avec son organisation en-dehors de l’entreprise (cités populaires, banques, services publics) ou dans les institutions politiques. « Conjuguer », là est peut-être la piste pour la novation à effectuer en la matière. C’est une question qui est loin d’être purement administrative. Elle va demander un effort d’élaboration créative considérable, en lien avec les forces militantes et intellectuelles.

L’affirmation communiste ? Non pas la proclamation à blanc d’une étiquette mais une affirmation d’idées, construites et repérables, un apport de propositions, un appui par des élus et – surtout peut-être dans les conditions actuelles – le PCF lui-même, dont l’organisation s’est profondément affaiblie, tout autant le lien avec les départements et fédérations que l’organisation avec les régions, échelon pourtant majeur, que le lien avec les entreprises aux plans territorial, national et même international. Et bien sûr les liens avec les autres acteurs progressistes et les partis communistes dans le monde. À chaque fois dans un souci d’action, de novation et de rassemblement.

Ce congrès du PCF peut permettre un véritable rassemblement des communistes, non pas sur des formules habilement rédigées ou sur je ne sais quelle synthèse « de sommet », mais tourné vers l’action. Un rassemblement de nature nouvelle, en lien avec la mise en œuvre d’une novation tant refoulée, mais mieux ancrée dans nos racines pour aller conquérir le nouveau qui cherche tant à advenir. Bataille d’idées, luttes sociales, luttes politiques, formation théorique et pratique, élaboration en lien avec la vie et l’action, bref sortir de la paralysie et être utiles. Mais aussi deux choses : d’une part organiser du retour d’expérience, en fonction de la vie, du terrain, des difficultés ou des réussites, sans rouvrir bien sûr à chaque fois tous les débats d’orientation fondamentaux dès lors que le congrès aura fait des choix clairs ; d’autre part considérer que d’autres débats se poursuivront au-delà du congrès et que nous aurons collectivement la responsabilité de les favoriser. Les favoriser pour construire et non pour ressasser des différences apparaissant à un moment ou un autre entre communistes. Les favoriser à la lumière de la pratique.

Un rassemblement de nature nouvelle est possible. Et il peut intéresser bien au-delà du PCF, syndicalistes, intellectuels, militants associatifs, altermondialistes, de la solidarité, peuple de gauche.

Le PCF peut rompre avec la présidentialisation de sa direction politique, comme avec l’effacement de ses propres idées, chercher avec d’autres ce que Gramsci appelle des « hégémonies culturelles » et non l’hégémonie d’un appareil. Le PCF, enfin, peut par sa pratique chercher à relever les nouveaux défis de pouvoirs et de lutte, dans ce monde où « les nouveaux tanks contre les peuples, ce sont les banques ». Il peut avancer dans le sens d’une conception qui ne récuse pas la nécessaire conquête de pouvoirs institutionnels et d’État, mais y conquiert des positions dans la perspective de permettre au mouvement populaire de conquérir lui-même du pouvoir sur les entreprises et les banques face au capital.

C’est possible. Cela va demander du travail créatif. Il ne faut pas décevoir l’espoir levé par les communistes.

Economie & Politique et ses lecteurs peuvent continuer à jouer le rôle rassembleur et créateur joué jusqu’ici dans cet esprit. 

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.