Rappelons que le président de la République n’avait eu de cesse de vendre à bon prix les parts de l’État dans les principaux aéroports en régions alors qu’il était ministre des Finances (Toulouse à un groupe chinois, Nice à un consortium conduit par une entité du groupe italien Benetton, Lyon à un consortium conduit par Vinci). Cela s’était passé malgré l’opposition de la quasi-totalité des collectivités territoriales voire CCI concernées. Mais différence majeure, les sociétés vendues n’étaient que des sociétés gestionnaires, la propriété des infrastructures demeurant à la puissance publique.
Or, depuis la loi de 2005 qui a transformée l’Établissement public en société anonyme, ADP SA est non seulement gestionnaire de façon perpétuelle des aéroports d’Orly, de Roissy et du Bourget mais détient la propriété des infrastructures. Cette solution est « inédite » dans le monde (transfert de la propriété publique inaliénable à une entité privée) pour un système aéroportuaire de cette taille. Elle permettait toutefois de vendre plus cher les parts de l’État. Elle pouvait être considérée comme une spoliation de biens appartenant à tous les citoyen-ne-s. Elle a été à l’époque pourtant rendue possible par le fait que l’État ne peut descendre en dessous de 50 % du capital. Pour mémoire, l’État détient un peu plus de 50 % du capital, l’aéroport d’Amsterdam Schiphol 8 %, Vinci 8 %, le Crédit Agricole (Predica) 5 %, les salariés un peu moins de 2 %.
Seule donc une nouvelle loi pouvait autoriser l’État à passer en dessous de 50 %. à ce moment-là ADP deviendra un opérateur privé au sens légal du terme. Mais le projet est rendu complexe par le fait de la propriété des infrastructures. La solution la plus simple aurait été le retour immédiat de la propriété des infrastructures à l’État. ADP SA serait devenue un « simple » concessionnaire de Service public. Mais cela aurait signifié une indemnisation des actionnaires actuels d’un montant massif et aurait réduit drastiquement la valeur de cession au(x) repreneur(s) privé(s). L’intérêt pécuniaire de l’opération pour le gouvernement aurait donc été quasi nul (mais pas pour l’acheteur).
Selon les termes mêmes du Conseil d’État, le gouvernement Philippe/Macron a construit un montage « singulier » pour tenter des passe outre à ces petits inconvénients. Premier point, la durée de la concession est réduite à 70 ans (au lieu d’être perpétuelle). La propriété des infrastructures demeure à ADP SA. Elle ne reviendra à l’État qu’au bout de 70 ans. Cependant, dans l’intervalle, toute décision d’ADP SA de céder des infrastructures devra être validée par l’État au préalable. Si l’État accepte une éventuelle cession, celui-ci touchera une quote-part de la plus-value éventuellement réalisée. Quant aux actionnaires, ils seront indemnisés en deux temps, au moment de la mise en œuvre de la nouvelle loi suivant un calcul qui devrait largement limiter le montant des indemnités ; puis dans 70 ans un moment du retour de la propriété des infrastructures à l’État.
Pour compenser la perte de contrôle capitalistique de l’État, le Gouvernement affirme que la régulation sera renforcée (16 dispositions obligatoires dans le cahier des charges unissant l’État et ADP sont même inscrites dans le projet de loi). Par exemple, en cas de désaccord entre ADP SA privatisé et l’État sur le niveau des redevances et/ou des investissements aéroportuaires, ce dernier pourra imposer unilatéralement ses décisions. L’ensemble de ces éléments ouvrent sans doute la voie à des contentieux importants, tant avec les actionnaires qu’avec ADP SA ou avec les compagnies aériennes qui pourraient s’estimer lésées de quelque façon
L’ensemble des syndicats représentatifs d’ADP regroupés en intersyndical, sont opposés à cette privatisation. C’est aussi le cas pour les syndicats d’Air France et de la direction du groupe Air France KLM ainsi que du directeur de l’IATA.
Le risque est réel d’un renchérissement du coût d’utilisation des installations aéroportuaires parisiennes. Les possibilités pour le développement ultérieur des aéroports parisiens, pour l’emploi (en quantité et en qualité), pour le maintien d’un service public de qualité seraient en effet assujettis à la recherche de rentabilité financière.
Surtout aucune disposition du projet de loi ne définit le Service public confié à ADP, la relation juridique entre l’État et ADP, ne donne de garantie sur la pérennité des aéroports, du patrimoine ou de l’emploi…
Or, la question de la constitutionnalité du processus pourrait être contestée sur la caractérisation même de service public national que le gouvernement (et le Conseil d’État) feint de ne pas reconnaître.
Or les aéroports parisiens sont bien un Service public national et à ce titre doivent demeurer sous le contrôle de la puissance publique tant du point de vue capitalistique que par sa gouvernance. Le système aéroportuaire parisien (plus de 100 millions de passagers par an), principale porte d’entrée du pays, est décisif pour la souveraineté nationale, l’existence d’une compagnie aérienne nationale d’envergure mondiale ou pour la création de richesses et l’emploi. Les différentes études disponibles indiquent que les aéroports parisiens sont à l’origine de 2 % du PIB français et pour chaque million de passagers supplémentaire, ce sont 4 000 emplois qui sont générés Le nombre de liaisons directes entre Paris et le reste du monde est aussi décisif pour le maintien du statut de la France dans le monde.
L’Union européenne pourrait elle aussi entrer dans le bal. En effet, ADP deviendrait un délégataire de service public, catégorie nouvellement créée dans le Code des transports, mais certaines dispositions sont peu ou mal définies (retour des biens, durée de la concession, sort des salariés).
Enfin, certains économistes libéraux sont opposés à ce processus au titre même de la théorie qui précise que les monopoles naturels (ce que sont les aéroports de la taille de Roissy et Orly) ne peuvent être assumés par des entreprises privées.
Depuis 2005, Vinci est en attente de la privatisation totale d’ADP. Cela correspond à sa stratégie. En effet, Vinci est intéressé au premier chef aux concessions (par exemple autoroutière) car ce sont des investissements extrêmement rentables et peu risqués. Or, Vinci est devenu particulièrement friand des aéroports. Il gère désormais 36 aéroports dans le monde (France : 12, Portugal : 10, République dominicaine : 6, Cambodge : 3, Japon : 3, Chili : 1, Brésil : 1) pour un trafic total de 157 millions de passagers, 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
ADP est d’autant plus intéressant que depuis la transformation en société anonyme en 2005 et l’entrée en Bourse (2006), l’État actionnaire n’a eu de cesse de tout mettre en œuvre pour accroître de manière fantastique au travers de contrats de régulation économique (2006-2010, 2011-2015, 2016-2020). Ainsi entre 2006 et 2017, le trafic passagers des aéroports parisiens est passé de 83 millions de passagers à 102 millions de passagers (+23%), l’effectif d’ADP SA de 8 000 à 6 500 salariés (-19 %), la part des salaires dans la Valeur ajoutée de 39 % à 29 % tandis que celles des actionnaires de 5 % à 17 %. Le niveau de rentabilité des capitaux est fixé dans le contrat de régulation économique, ainsi que la part du résultat distribué en dividendes (60 % du résultat net, part du groupe). Ainsi les seules variables d’ajustements sont l’emploi et les rémunérations. La direction se flatte d’ailleurs que 90 % des salariés d’ADP auront subi des réorganisations entre 2016 et 2020 pour mettre en œuvre une stratégie de création de valeur pour l’actionnaire. Au passage, de manière inédite, un objectif de rentabilité des capitaux est inscrit dans le projet de loi, au cas où.
Le groupe ADP est désormais un des leaders mondiaux de gestion d’aéroports après la prise de contrôle en 2017 de l’opérateur turc TAV, en 2018 d’AIG le gestionnaire des aéroports jordaniens. Ainsi, le groupe ADP gère 228 millions de passagers. Dans une course classique à l’internationalisation pour rechercher un profit facile et rapide.
Le comité d’entreprise d’ADP, à l’unanimité des élus du personnel, a ouvert une procédure d’alerte sur le seul sujet de la privatisation. La CGT a édité une plaquette de proposition alternative à la privatisation pour un service public aéroportuaire et notamment la création d’un statut de travailleurs aéroportuaires. La bataille n’est donc pas de maintenir le statu quo actuel qui n’est satisfaisant ni pour les salariés, ni pour le développement des aéroports parisiens et leur financement, ni pour le service public. Il convient de mettre en avant des propositions pour un nouveau type d’entreprise publique pour assurer ce service public. Elle doit intégrer de nouveaux critères de gestion pour l’efficacité sociale et environnementale, un nouveau type de gouvernance plus démocratique pour un contrôle non seulement de l’État mais aussi des salariés d’ADP, des collectivités locales concernées, des parlementaires, des associations de riverains.
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