Voilà un peu plus d’un an qu’Emmanuel Macron, prétendant représenter la « modernité », recycle en réalité les vieilles idées libérales et met en œuvre une politique d’austérité budgétaire, brutale à l’égard de la Fonction publique et de ses agents, parmi lesquels bien sûr les enseignants. Pas de place, dans le nouveau monde à construire, pour cet archaïsme que constitue le recrutement de personnels sous statut, ni pour le fonctionnement d’un service public unifié donnant un enseignement de qualité à toute la population.
Dans un jeu de miroir parfaitement orchestré, son ministre Jean Michel Blanquer communique au contraire sur le registre du retour au « bon vieux temps » de « l’école d’avant », dans un exercice fort curieux car il s’apparente bien souvent à la négation de sa propre action : les réformes, pourtant d’ampleur, sont minorées, ramenées dans les discours à de simples ajustements ou mesures de « bon sens ».
La stratégie de la diversion est ainsi poussée à son paroxysme dans le domaine de l’éducation, l’étendard de la modernité étant tantôt brandi comme instrument de délégitimation du service public, tantôt utilisé comme repoussoir au profit d’un retour à un ordre ancien plus fantasmé que réel. Imposer un retour au réel suppose d’analyser le véritable changement de modèle de société qu’impose à bas bruits le gouvernement.
Définir ce que devrait être un service public moderne de l’éducation revient donc à ne pas laisser le terrain de la modernité aux libéraux tout en affirmant que le véritable débat n’est pas dans une fausse querelle des anciens et des modernes mais bien dans la définition des permanences qu’il faut préserver et des évolutions nécessaires dans un objectif de progrès social.
Élever le niveau de connaissances d’abord car dans un monde où les enjeux politiques et les évolutions de l’économie sont de plus en plus complexes, faire en sorte qu’un maximum de jeunes aille le plus loin possible dans les études et s’approprie ainsi des connaissances de champs multiples, qui leur permettront d’être des citoyens éclairés, réfléchis, critiques, voilà qui reste le grand objectif du service public d’éducation. C’est un enjeu politique de première importance car il conditionne la société que nous voulons construire. Les libéraux théorisent l’entrée dans « l’économie de la connaissance », qui n’est rien d’autre qu’une marchandisation accrue du savoir. Or, la confiscation du savoir par une minorité toujours plus restreinte prépare la catastrophe démocratique. Il s’agit donc au contraire de donner à tous les citoyens en formation les armes intellectuelles pour évoluer dans cette économie et cette société nouvelles, y faire preuve d’esprit critique, et pouvoir y accéder aux savoirs.
Élever le niveau de qualifications ensuite, afin de tirer l’économie du pays vers le haut. Dans ce cadre, un service public d’éducation moderne doit continuer de délivrer des diplômes nationaux et travailler à faire acquérir le niveau de diplôme le plus élevé possible. Le diplôme n’est pas qu’un bout de papier, il atteste d’un niveau de connaissances acquis par les individus. Les connaissances nécessaires pour exercer aujourd’hui la plupart des métiers, même ceux qu’on pense « peu qualifiés », ne cessent d’augmenter, et les entreprises le savent bien : si elles embauchent des gens diplômés, même pour des postes « peu qualifiés », c’est bien pour bénéficier des savoirs et des savoir-faire acquis par les jeunes à l’école, même si elles ne rémunèrent pas forcément ce surplus de savoir qu’elles utilisent pourtant. Malgré les critiques souvent entendues contre le baccalauréat qui, « donné à tous », « ne vaudrait plus rien », il faut réaffirmer que l’accès accru au baccalauréat a été un progrès social qui a profité aux catégories populaires. On objectera que le baccalauréat n’ouvre plus, aujourd’hui, à des emplois aussi qualifiés que par le passé, mais ce n’est pas une preuve d’une dégradation de sa valeur, ou plus largement des diplômes, bien au contraire, c’est la preuve de l’évolution des métiers. « Avant », pour être mécanicien automobile, un CAP pouvait certes suffire alors que maintenant il faut un baccalauréat professionnel. Mais le métier de mécanicien automobile est-il vraiment le même qu’avant ? Les savoirs à maîtriser ne sont-ils pas plus nombreux et plus pointus, en lien avec les incessantes évolutions des technologies ? Si le bac professionnel, aujourd’hui, débouche sur des métiers pour lesquels le CAP était suffisant il y a quelques décennies, c’est parce que ces métiers sont devenus plus exigeants. Faire reconnaître la qualification détenue à sa juste valeur est l’objet du combat permanent des salariés, le niveau de diplôme constitue indéniablement une condition certes pas toujours suffisante mais évidemment nécessaire pour mener cette lutte alors que le libéralisme cherche par tous les moyens à déqualifier le travail. Pour les progressistes que nous sommes, tous les élèves sont capables de réussir et le lycée doit se fixer comme objectif d’amener au baccalauréat l’ensemble d’une génération.
Loin de répondre à cette exigence, la réforme Blanquer du lycée, contestée par les personnels et les organisations lycéennes, dynamite le baccalauréat comme examen national, anonyme et terminal. Le nouveau baccalauréat entre en vigueur à la rentrée 2019 en Première avec la mise en place d’épreuves communes dès la fin du premier semestre, sortes de « partiels » sur le modèle universitaire. Ne seraient conservées que 4 épreuves finales, comptant pour 40 % de la note. Les épreuves communes transformeront le cycle terminal (les deux années de première et terminale) en course folle à l’évaluation puisque sur les deux années, on atteindra allègrement la trentaine d’épreuves au lieu d’une dizaine actuellement, et surtout la majorité de la note relèvera désormais du contrôle local ou continu. Le bac deviendra un examen de fin d’études secondaires dont la valeur dépendra de la réputation du lycée dans lequel on le passe.
La loi ORE (orientation et réussite des étudiants) de 2018 créant en particulier Parcoursup, contestée par les personnels et les étudiants, s’inscrit parfaitement dans cette logique libérale : il s’agit de ne plus offrir l’accès à l’enseignement supérieur à l’ensemble des lycéens par refus des investissements nécessaires. Elle instaure la sélection à l’entrée à l’université. Le « parcours » individuel de l’élève comme les choix de spécialités et les engagements extrascolaires conditionneront largement la poursuite d’études au regard des attendus des formations envisagées. Cette loi part aussi du présupposé que le principal enjeu de la démocratisation du lycée et de l’enseignement supérieur serait l’orientation. Ainsi, pour faire mieux fonctionner le système, il suffirait que l’orientation des élèves soit plus pertinente. On passe ainsi sous silence le manque d’anticipation criant des besoins dus à la pression démographique dans l’enseignement supérieur (808 000 candidats en 2017 pour 654 000 places). Les gouvernements successifs en portent la responsabilité et on peut se demander si le fait d’en arriver au tirage au sort pour affecter les élèves, ne constituait pas un repoussoir tel que n’importe quelle autre solution ne pouvait apparaître que meilleure. On voit aujourd’hui qu’avec cette plate-forme, près de la moitié des lycéens se retrouvent sans affectation au premier tour.
La question de fond reste celle des efforts que la nation est disposée à consentir pour augmenter le niveau de formation dans l’enseignement supérieur. Or, pour le gouvernement, il ne s’agit pas de mieux former la jeunesse pour renforcer ses chances d’insertion mais de faire face au moindre coût à l’afflux démographique sans dépenser plus.
C’est aussi la raison pour laquelle la FSU a toujours défendu un service public national de l’orientation scolaire et qu’elle s’élève avec force contre sa régionalisation en cours au nom d’une prétendue meilleure adaptation de l’offre de formation aux besoins du territoire : cette vision « adéquationniste » formation/emploi a été invalidée par de nombreux travaux de chercheurs. L’absence de visibilité à 5 ans sur le marché de l’emploi rend caduque toute tentative d’y inféoder l’offre de formation. Par ailleurs, la conception d’une orientation réduite à une bonne information fait totalement l’impasse sur d’autres travaux de recherche qui montrent la complexité des processus mis en jeux chez les jeunes. Les inégalités d’apprentissage et de rapport aux études en fonction des milieux sociaux restent très fortes et la peur d’échouer par rapport à son avenir scolaire et professionnel est très différenciée socialement. Parcoursup renforce ces biais. Par ailleurs, le risque d’avis négatifs selon les formations demandées ne peut que renforcer les inégalités sociales. Les élèves de catégories modestes, et plus particulièrement les filles, à résultats scolaires égaux seront plus anxieux. se. s et auront plus tendance à rabattre leurs choix sur des formations jugées moins prestigieuses. Leur demander « comment ils envisagent leur vie professionnelle dans dix ans » (fiche du premier conseil de classe de Terminale) est un biais social important qui va largement embarrasser les élèves de milieu populaire.
En éducation comme dans d’autres domaines, le court-termisme des libéraux et leur fascination pour les profits immédiats leur fait préférer un système éducatif au coût le moins élevé possible, qui créerait une main-d’œuvre directement employable et réserverait les qualifications les plus élevées à une petite partie de la population. Ce système est injuste et absurde sur le long terme, il est générateur d’immenses inégalités, de gigantesques frustrations et il prive la société de personnes instruites et pouvant exercer pleinement leur citoyenneté.
Ce court-termisme libéral est terriblement compatible, en revanche, avec le temps du politique : tout ministre de l’éducation veut imprimer sa marque et se lance dans LA réforme d’envergure, celle que « personne n’a osé imposer avant » mais qu’un volontarisme visionnaire va enfin mettre en selle au bénéfice des élèves. C’est ce que les enseignants ont vécu avec la réforme du collège où l’interdisciplinarité était la « trouvaille » de Najat Vallaud Belkacem qui prétendait qu’enfin, grâce à cela, les élèves allaient s’épanouir et progresser… les enseignants, qui pour beaucoup pratiquaient déjà des formes variées de travail interdisciplinaire quand ils l’estimaient pertinent, sont ressortis de cette séquence avec beaucoup d’amertume et même le sentiment qu’ils participent à armes inégales au débat éducatif car ils n’ont souvent rien de véritablement spectaculaire à défendre : là où les gouvernants en viennent à se transformer en bateleurs de foires pour vanter la réforme miracle, les enseignants rappellent que la pédagogie est une science inexacte faite de tâtonnements, d’adaptations aux publics divers, d’échecs ou de réussites difficilement explicables et difficilement modélisables. Bref, rien de suffisamment spectaculaire, certaines choses fonctionnent mais pas tout le temps, d’autres nécessitent telle et telle condition pour réussir, un discours mesuré et nuancé, pas toujours médiatique mais en prise avec les réalités d’une classe. C’est ce que joue de nouveau Jean-Michel Blanquer qui a découvert les vertus d’un élément unique et quasi miraculeux : les sciences cognitives, qui nous apprennent de manière définitive comment on doit apprendre, dans quel ordre et avec quelles méthodes… Le guide « pour enseigner la lecture et l’écriture au CP » que vient de diffuser le ministère est de ce point de vue éclairant d’une volonté de mettre au pas les enseignants du primaire en prétendant diffuser les bonnes pratiques, niant l’expertise des professionnels qu’ils sont : de nombreuses dimensions, approches ou activités de l’apprentissage de la lecture sont ainsi ignorées quand elles ne sont pas proscrites : écriture approchée, méthode mixte, mémorisation de mots outils, utilisation du contexte pour comprendre.
Pour fonctionner, le système éducatif a besoin de constance et d’investissements conséquents. Plus que jamais à l’approche de la rentrée 2018 se pose la question de l’adéquation entre les moyens et les effectifs d’élèves. 26 000 élèves en plus attendus dans le second degré et 2 600 postes en moins, c’est l’équation qui tue l’éducation ! Le gouvernement s’est bien gardé d’annoncer le nombre de postes qu’il entendait supprimer ministère par ministère, mais avec 120 000 suppressions annoncées sur le quinquennat dont 50 000 dans la Fonction publique de l’État, et quand on sait que le ministère de l’Éducation Nationale emploie 40 % des agents de l’État, nul doute que l’éducation sera amenée à payer un lourd tribut.
Un service public moderne doit pourtant assurer l’ensemble de ses missions. On peut prendre l’exemple du remplacement des personnels absents, poste souvent sacrifié en premier. La continuité nécessaire du service public nous fait revendiquer un volant de titulaires remplaçants. Mais dans de trop nombreux services publics, l’absence d’un agent se traduit en réalité par la redistribution des tâches sur les agents présents, sans même compensation financière dans la plupart des cas. Cette pratique détestable accroît la charge de travail de tous. C’est trop souvent devenu le cas aussi dans l’éducation, en particulier pour les Conseillers principaux d’éducation ou les AED (assistants d’éducation) qui ne sont bien souvent pas remplacés, y compris sur des absences longues comme les congés de maternité. Il faut dès lors que chacun fasse le travail de plusieurs personnes ! Côté professeurs, les tentatives pour faire remplacer les enseignants par leurs collègues de l’établissement eux-mêmes se sont toutes heurtées à l’infaisabilité pratique, remplacer un collègue au pied levé quand on n’a par exemple pas le temps de prendre connaissance de sa progression avec ses élèves et donc de préparer une séquence en conséquence est impossible à faire sérieusement quand on a déjà, avec ses classes, entre 41 heures et 45 heures de temps de travail hebdomadaire moyen (selon la dernière étude disponible sur la question du temps de travail des enseignants des premier et second degrés). La seule solution serait donc de recruter d’une part des étudiants-surveillants qui assurent des études sur les très courtes absences, et des titulaires remplaçants pour faire face aux besoins. Malheureusement, la première de ces solutions a été abandonnée en 2002, la deuxième est en passe de l’être en raison du sous-recrutement.
Un autre mantra libéral réside dans le développement de « l’autonomie des établissements » dans le second degré. Les collèges et les lycées disposent depuis 1985 d’une autonomie pédagogique qui porte notamment sur l’emploi de la dotation en heures d’enseignement et d’accompagnement personnalisé, les modalités de répartition des élèves (classes, groupes), le projet d’établissement, les expérimentations, les voyages scolaires… Ce cadre juridique donne aux équipes la possibilité d’exprimer via leurs représentants en conseil d’administration leur volonté pour ce qui relève de ces domaines. La réforme du lycée Chatel a élargi ce champ de l’autonomie, en laissant aux établissements le choix de l’emploi des « heures de marge », comme les 10 heures par division en Seconde, l’organisation des enseignements d’exploration, de l’accompagnement personnalisé… La réforme du collège a repris ces dispositions auxquelles s’ajoute le conseil de cycle devant définir les progressions.
Jean-Michel Blanquer déclarait dès sa prise de fonction : « je veux créer plus d’autonomie des acteurs, plus de liberté, plus de pouvoir d’initiative », reprenant ainsi une antienne vieille de plus de 30 ans dans une version « start up nation » chère au président.
Moins d’un an après ces déclarations, leur traduction concrète a bien peu à voir avec le respect de l’expertise professionnelle. On voit par exemple en ce moment les collèges sommés de choisir entre le maintien d’un enseignement de langues anciennes ou régionales et une heure en groupe à effectifs réduits. Au-delà de la volonté de masquer la pénurie dont on renvoie la gestion au niveau local en espérant qu’ainsi elle se remarque moins, elle met les établissements en concurrence et renforce les inégalités. Dans l’exemple donné ci-dessus, le choix local devient le marqueur et l’élément qui renforce les inégalités : aux uns une soi-disant excellence marquée par le maintien d’une langue ancienne, aux autres le traitement de la difficulté scolaire. Cette concurrence est supposée améliorer une « performance » immédiatement mesurable.
Les conséquences sur les pratiques de classe sont très importantes. Ce développement de l’autonomie sous couvert de vouloir libérer les initiatives a mis en place un système basé sur la concurrence entre les établissements et entre les individus, chaque établissement étant renvoyé à la responsabilité de traiter seul ses difficultés. Les chefs ont des pouvoirs renforcés et les équipes pédagogiques sont mises sous tutelle des conseils pédagogiques, de cycle, école-collège. Le vrai travail d’élaboration des choix collectifs pertinents est de plus en plus difficile.
Une des premières missions du service public est d’assurer l’égalité d’accès à l’éducation sur tout le territoire. Les habitants des banlieues, des villes moyennes, des départements et territoires d’outre mer et des territoires ruraux ont droit à une éducation de qualité. La politique d’éducation prioritaire n’a toujours pas fait l’objet d’annonces de la part de Jean Michel Blanquer alors que le programme d’Emmanuel Macron promettait sa relance, en particulier par la création d’une nouvelle prime de 3 000 euros par an versée aux personnels qui y sont affectés. Le rapport Borloo de mai 2018, fraîchement accueilli par le Président et le gouvernement pour les raisons budgétaires que l’on sait, a pourtant démontré que le besoin d’investissements dans tous les services publics, dont l’éducation, est criant dans ces territoires. Continuer à délaisser des populations entières est inacceptable. Au-delà de la question principale des moyens supplémentaires qui doivent être alloués pour reconnaître la spécificité des territoires, la vigilance s’impose particulièrement en éducation car la tentation a toujours été de ne plus « donner plus à ceux qui ont moins », philosophie initiale des politiques d’éducation prioritaire et qu’il faut poursuivre et amplifier, mais de leur donner « autre chose », ce qui fait souvent glisser vers une éducation au rabais. Ainsi, pourquoi proposer, comme le fait Jean-Louis Borloo que nous critiquons sur ce point, qu’écoles et collèges soient mis en réseau sous la direction du principal de collège ? Les objectifs des collèges des quartiers populaires pourraient dès lors être centrés sur l’approfondissement des enseignements du primaire, quand ceux des autres collèges seraient la construction d’une culture commune et amèneraient « naturellement » sur le lycée et les poursuites d’études. C’est cette divergence qu’il faut éviter absolument, la jeunesse des quartiers populaires a le droit à un enseignement dont les objectifs sont identiques à ce qui se pratique sur le reste du territoire.
Globalement, on peut avancer l’idée que dans l’éducation comme dans tous les services publics, la dégradation créée par la pénurie de moyens sert ensuite de justification à une accélération des réformes qui ne règlent rien sur le fond.
De la même manière que le tirage au sort des lauréats du baccalauréat en raison de l’absence de créations de postes d’enseignants en nombre suffisant à l’université a été instrumentalisé pour justifier ensuite la mise en place de la sélection à l’entrée à l’université. C’est en réalité dans de nombreux domaines que, surfant sur des dysfonctionnements créés par une pénurie de moyens, le gouvernement impose aux services publics une série de régressions à marche forcée : Parcoursup, baccalauréat, orientation, lycée, formation professionnelle, retour aux fondamentaux au primaire, instrumentalisation de certaines sciences pour asseoir des préconisations pédagogiques parfois contraires aux programmes, injonctions, complaisance pour l’école privée, promotion de l’apprentissage pré-bac aux dépens des lycées professionnels. Les choix faits aujourd’hui consistent à augmenter les outils de sélection, réduire les moyens d’enseignement, dénaturer le caractère national du bac, soumettre la formation professionnelle aux besoins des entreprises et abaisser la fin de scolarité à la maîtrise des fondamentaux pour une part des élèves… Cette politique renforce les inégalités scolaires en maintenant le poids des déterminismes sociaux. Or, le service public est le bien commun seul à même de répondre aux ambitions démocratiques de l’École. Garantir un service public d’éducation est un devoir de l’État fixé par la Constitution. Certaines réorganisations font et feront la part belle aux initiatives privées dont la finalité économique et sociale est loin de servir l’intérêt général. La multiplication des discours institutionnels favorables aux projets privés est un choix idéologique, exercé aux mépris de l’analyse objective et des valeurs de laïcité indispensables à notre société. Seul le service public peut garantir l’intérêt général. Remettre en cause ce principe constitue un risque majeur.
Dans l’enseignement comme dans toute la Fonction publique, le gouvernement présente le statut comme une source de rigidités et ses défenseurs comme des idéologues arc-boutés sur la défense de prétendus « privilèges ». Certaines caricatures du statut en font même une protection exorbitante et quasi imparable de travailleurs pouvant quasiment refuser le travail qu’on leur donne. C’est oublier que si l’autonomie professionnelle se traduit en particulier pour les enseignants par le principe de liberté pédagogique, le statut prévoit aussi la nécessité pour l’enseignant de rendre des comptes et le contrôle par l’État de son travail.
Le statut est avant tout une garantie pour les usagers de qualité et d’accessibilité au service public et pour les personnels une protection contre les pressions de tous ordres, leur permettant de remplir correctement leur mission. Le fonctionnaire est dans une position « statutaire et réglementaire », ce qui signifie qu’il n’est pas dans une relation contractuelle avec son employeur puisqu’il est au service de l’intérêt général. Le statut est caricaturé, or il est un équilibre fin entre le principe de hiérarchie qui fait qu’un fonctionnaire doit se conformer aux ordres qui lui sont donnés, et en particulier un enseignant doit enseigner ce qui est contenu dans les programmes définis nationalement, et un principe de responsabilité qui fonde son activité sur sa conscience professionnelle plutôt que sur sa simple soumission aux ordres reçus et in fine garantit donc son indépendance.
Dans l’éducation tout particulièrement, le statut est une réponse à la question posée dès la Révolution Française, en particulier par Condorcet, de l’indépendance du savoir et de sa transmission par rapport à l’autorité politique : « Aucun pouvoir ne doit avoir ni l’autorité ni même le crédit, d’empêcher le développement des vérités nouvelles, l’enseignement des théories contraires à sa politique particulière ou à ses intérêts momentanés. » On n’enseigne pas ce que tel ou tel groupe de pression pense souhaitable d’enseigner, ni même ce que les parents croient ou souhaitent. On enseigne les connaissances établies par la science, dans un cadre qui est celui des « valeurs de la République ». Et il ne s’agit surtout pas d’inculquer aux élèves une morale ou un savoir officiels mais de leur permettre de se construire comme individus libres, citoyens responsables et travailleurs aux qualifications reconnues et maîtres de leur activité. Dès lors, la « liberté pédagogique » est en réalité la seule garantie d’un exercice correct du métier enseignant. Ce n’est même pas qu’il serait plus « agréable » ou « confortable » d’exercer son métier avec une moindre pression, c’est tout simplement que c’est nécessaire. Pour que l’enseignement soit pertinent et profitable aux élèves, il faut un personnel qui ait conçu cet enseignement. Un enseignant fait en permanence des choix face à des situations qui n’ont pu être toutes modélisées, ces choix sont d’autant plus pertinents qu’il sont éclairés et conscients. Dans la même idée, le statut confère au fonctionnaire la pleine jouissance des droits du citoyen. Ce n’est pas forcément le cas dans un grand nombre de fonctions publiques, par exemple l’Allemagne ne reconnaît pas le droit de grève à ses fonctionnaires. En France, le préambule de la Constitution qui affirme que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises » s’applique pleinement aux fonctionnaires et donc aux enseignants. On peut prendre pour exemple les CAP, commissions administratives paritaires, où les représentants des personnels siègent à égalité avec l’administration pour donner un avis sur l’ensemble des actes individuels de gestion (mutations, promotions, sanctions disciplinaires, etc.) et que les organisations syndicales ont particulièrement réussi à faire vivre dans l’éducation au bénéfice d’un traitement équitable et transparent des personnels.
Le gouvernement parle de « refonder le statut » mais les 120 000 suppressions de postes annoncées et la réalité des projets qu’il a d’ores et déjà présentés ne laissent aucun doute sur son intention véritable. Qui peut croire que recourir à davantage de personnel précaire sera de nature à améliorer le service public ? C’est pourtant ce qu’a présenté le gouvernement comme une piste à développer massivement. Ainsi, le gouvernement espère créer deux voies de recrutement, une par le concours et une autre par la voie de la précarité, avec à termes un alignement de tous sur l’absence de statut. Quelle « modernisation » est attendue si le gouvernement supprime le CHSCT, seul espace de prise en compte des questions d‘organisation du travail ? Et en diminuant le rôle des commissions paritaires, ne cherche-t-on pas à renforcer le poids des hiérarchies intermédiaires dans la gestion des carrières et des mutations des agents, au risque de voir se développer opacité et phénomènes de favoritisme ?
À l’inverse des conceptions managériales qui prétendent faire des personnels des exécutants dociles des consignes de leur hiérarchie, le statut, en articulant principe hiérarchique, responsabilité individuelle et responsabilité collective permet un travail efficace et une continuelle adaptabilité aux besoins et aux finalités de l’action publique. Grâce à leur statut de fonctionnaires de l’État, les personnels d’enseignement répondent aux besoins d’un service public national à l’abri des pressions de tous ordres. L’Éducation du xxie siècle mérite une politique déterminée sur des objectifs de réussite pour tous les élèves et dotée des moyens nécessaires pour y parvenir.zzz
--------------------------
* Secrétaire général adjoint du SNES-FSU, membre du secrétariat national de la FSU.
Il y a actuellement 0 réactions
Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.