La zone euro a été conçue dans la perspective de rivaliser avec l’imperium du dollar et de Wall-Street dans l’attraction des capitaux mondiaux, dans le but illusoire d’arriver à imposer pacifiquement aux États-Unis un partage de leur domination financière sur le monde.
Dans cette tentative, l’Allemagne industrieuse, forte de sa mainmise sur les PECO après la chute du mur de Berlin, entendait être hégémonique sur cette zone, grâce à sa puissance économique, pour asseoir son expansion mondiale. La préoccupation cardinale de ses dirigeants étant que ses partenaires dans l’Union européenne (UE) se spécialisent pour favoriser l’essor de sa propre base productive, elle a toujours refusé d’entrevoir le fédéralisme européen autrement que comme un aboutissement mythique de ce long effort d’adaptation structurelle. Avec un euro conçu aux normes de l’ordolibéralisme, cela a permis à l’Allemagne et à ses satellites de l’ancienne zone mark d’accumuler progressivement d’énormes excédents de paiements au détriment de ses partenaires d’Europe du sud, France comprise.
De son côté, la France, lui offrant l’éventualité d’un partage du feu nucléaire, caressait le pari, illusoire, de faire de l’Union européenne, à partir de la zone euro, un condominium franco-allemand militaro-industriel. Soucieux de promouvoir la croissance des capitaux financiers dominant l’hexagone après avoir miné ses bases industrielles, ses dirigeants ont toujours essayé d’obtenir de leurs homologues allemands d’engager sans attendre la construction européenne sur une voie fédéraliste.
L’euro a été conçu comme monnaie unique de placement, sous la houlette d’une BCE réputée à l’abri, grâce au « pacte de stabilité et de croissance », de toute injonction politique et sociale (la prétendue indépendance), pour n’avoir qu’à se préoccuper de lutte contre l’inflation des prix à la consommation, de stabilité et d’attractivité financières, comme il lui en a été fait obligation depuis le traité de Maastricht1. Le 2 mars 2012, vingt-cinq pays de l’Union européenne (les 27 moins le Royaume-Uni et la République tchèque), ont signé un Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG), appelé aussi « Pacte budgétaire européen », qui, dans la même veine, impose encore plus d’austérité et de reculs de la démocratie parlementaire dans la zone euro.
Cela a fini par engendrer, avec les politiques d’austérité et de soutien aux capitaux financiers, un véritable cancer sur la zone : la part des richesses produites allant aux prélèvements financiers (intérêts, dividendes…) s’est envolée, exigeant alors des reculs systématiques et continus de la part des richesses produites servant, elle, à financer les services publics et les prestations sociales (impôts et cotisations). Alors que toutes les politiques conduites, notamment au plan structurel, convergeaient vers le freinage des dépenses publiques et l’abaissement du « coût du travail », les métastases du coût du capital ont progressivement envahi toutes les économies européennes, en particulier dans les pays du Sud.
Aussi, la crise financière de 2007-2008, partie des États-Unis, a-t-elle frappé avec une violence particulière la zone euro où elle s’est prolongée par une grave crise des dettes publiques et une retombée précoce en récession, alors que le reste du monde occidental, tiré par la Chine et les pays émergents, a pu mettre le pied à l’étrier d’une nouvelle reprise, certes atypique, dès 2009.
Au cœur des difficultés européennes si profondes, on retrouve donc l’acharnement des dirigeants européens contre les services publics et sociaux, deux piliers fondamentaux du « modèle social européen » qui, fort de ses diversités nationales et malgré les coups portés, fait toujours se différencier l’UE des États-Unis et de leur « modèle anglo-saxon ».
Le cap pris et maintenu jusqu’ici a conduit les Européens au bord du gouffre de la déflation et d’un cataclysme bancaire qui aurait été fatal à l’euro. La situation aurait été alors propice à déclencher une concurrence intra-européenne à mort et un véritable chaos social propices aux bouffées nationalistes et xénophobes violentes.
Face à ce risque et aux colères des travailleurs européens saturés de chômage, de précarité et d’austérité, le garrot étroitement maintenu sur la création monétaire de la BCE pour garder l’inflation des prix à la consommation (IPCH) le plus proche possible mais en dessous de 2 % par an, a été desserré et les taux d’intérêt abaissés jusqu’à passer, pour certains, sous la « borne zéro ».
Mais les immenses liquidités injectées par la BCE dans le système bancaire2 ont été utilisées surtout pour alimenter la croissance financière des capitaux et la spéculation. Quant à l’hésitant redémarrage de l’investissement matériel, à partir de 2014-2015, avec une reprise conjoncturelle tardive tirée par l’activité mondiale, il a mobilisé les potentiels considérables d’économie de travail de la révolution informationnelle pour la rentabilité financière. Il a donc contribué à miner encore plus la sécurité de l’emploi, la mobilité professionnelle choisie et déprimer les coûts salariaux sur fond d’insuffisance aiguë de création d’emplois de qualité, de formation, de recherche et d’investissements efficaces.
Les dirigeants européens se sont saisis de la reprise conjoncturelle, amorcée début 2013, comme d’une fenêtre d’opportunité pour accélérer les réformes structurelles anti-sociales requises par l’achèvement du marché unique européen et la protection de « l’indépendance » de la BCE, redoublant dans le pilonnage de la sphère publique et des biens communs.
Aujourd’hui, la zone euro se présente fragmentée avec, d’un côté les pays de l’ancienne zone mark autour de l’Allemagne, affichant des performances macro-économiques apparemment convenables, même si la crise sociale y fait rage aussi, et, d’un autre côté, les pays d’Europe du Sud, France comprise, affichant des performances autrement plus médiocres.
Chez ces derniers, le martyre imposé aux Grecs a été agité par les dirigeants successifs comme un épouvantail pour justifier l’obligation, non de développer les services publics et sociaux, ce qui aurait été pourtant indispensable pour rattraper les retards de productivité, rompre avec l’intoxication financière et répondre aux besoins populaires, mais de continuer de les détruire pour « rester dans les clous de Maastricht ».
L’Europe se trouve ainsi à la croisée de tout ce qui concourt, aujourd’hui, à la destruction des services publics et du bien commun par le capital financier et, en même temps, à la nécessite vitale et aux exigences populaires de les sauvegarder et de les promouvoir.
Berceau de la civilisation capitaliste en crise si profonde, elle pourrait, parce qu’elle en souffre singulièrement, chercher à dépasser les antagonismes qui, plus que tout autre en Occident, la minent, comme en témoigne l’ampleur durable du chômage.
Et comme, par sa rive méditerranéenne, elle est désormais engagée avec l’Orient, si désemparé aussi, dans une irréversible mixité de populations et de cultures dont elle doit apprendre à maîtriser les conflits, elle pourrait être amenée à affronter, plus qu’ailleurs, les enjeux pratiques immédiats d’avancées nécessaires vers une nouvelle civilisation qui soit enfin celle de toute l’humanité.
Plus que jamais, les européens ont besoin de défendre et de promouvoir leur « modèle social » et la richesse de leur diversité culturelle en relançant audacieusement tous les services publics et en faisant émerger un type d’entreprises qui aient pour finalité la sécurisation de l’emploi et de la formation de chacun-e, la promotion de tous les territoires, le progrès du niveau culturel de toutes les populations, leur protection et celle de leur environnement.
C’est dire si en Europe la question décisive d’une autre utilisation de l’argent des profits, des fonds publics et du crédit va se poser avec une force singulière. Elle amènera à affronter l’enjeu crucial d’une tout autre utilisation de l’euro et des pouvoirs considérables de la BCE au sommet du système européen des banques centrales nationales.
Au sein de l’Europe, la France est, peut-être plus encore que ses partenaires européens, à la croisée de ces chemins. Ses prétendues élites sont fascinées par la finance, elles ont une préférence pour les profits faciles et baignent dans le culte d’un individualisme forcené et du modèle « anglo-saxon ».
Mais l’immense majorité des salariés et de leurs familles demeure, en France, très attachée à une conception des services publics, certes encore empreinte d’étatisme et trop hexagonale, mais beaucoup plus radicale qu’ailleurs, en écho à leur grande Révolution. De plus, les conquêtes de la Libération, bien que très attaquées, ont laissé le souvenir profond que les services publics marchands (Trains, électricité, poste…) doivent être adossés à des entreprises publiques qui, à côté de leurs missions traditionnelles de service public, devaient aussi soutenir l’emploi, la croissance, la recherche et la formation, l’aménagement du territoire. Pour ce qui concerne les services publics non marchands, l’hôpital et la « Sécu », la petite enfance, l’école, l’indemnisation du chômage et le retour à l’emploi avec la formation, ou les services publics locaux en particulier, ils souffrent de se voir privés de moyens et perdre en efficience.
Ils demeurent aussi marqués par les principes, conquis depuis la Libération, d’une protection sociale financée de façon mutualisée à partir de la valeur ajoutée créée dans les entreprises, même si l’étatisation rampante avec la CSG et les déremboursements multiples ont porté des coups d’ampleur.
Bien sûr, des reculs ont été imposés et Macron accélère dans ce sens, mais l’attachement persiste et les besoins vitaux poussent. Cela se traduit par des luttes qui, plus qu’ailleurs, pourraient commencer à converger vers la recherche d’une tout autre finalité des entreprises et de leurs rapports aux banques, une évolution radicale des rapports entre public et privé dans une mixité conflictuelle d’appropriation sociale progressive.
Il devient extrêmement urgent de commencer à changer le cap de la construction européenne avec l’ambition de la refonder. Nombre d’indicateurs alertent désormais sur le ralentissement, à nouveau, de la croissance de ce côté-ci de l’Atlantique3.
Par contre, le coup de fouet donné à l’activité économique et financière outre-Atlantique par la très agressive réforme fiscale de Trump y fait bondir les profits, attire les capitaux du monde entier et continue de pousser Wall-Street vers des sommets vertigineux, grâce aux fusions et acquisitions géantes et aux rachats massifs de leurs propres actions par les groupes. Elle fait monter le dollar, malgré les énormes déficits et dettes publics et extérieurs des États-Unis qui ne cessent de croître.
Mais cela pourrait finir par déboucher sur une surchauffe, alors que les salaires commencent à sortir du gel dans lequel ils ont été maintenus depuis 2009. N’est-ce pas ce que commence à exprimer la remontée, certes encore prudente mais effective, des taux d’intérêt ? L’actuelle reprise conjoncturelle aux États-Unis qui figure déjà, avec 107 mois d’affilés, au deuxième rang en termes de durée depuis 1854, se retournerait alors.
Ce retournement s’avérerait fracassant tant, depuis 2008, la sur-accumulation de capitaux matériels et financiers a augmenté4. Dans ces circonstances, le dollar pourrait sévèrement dévisser, perdant la confiance, notamment des pays émergents, Chine en tête, et de l’Europe, si tant est qu’elle ose défier la tutelle américaine.
Les risques d’une nouvelle crise financière mondiale se profilent, plus graves que celle de 2007-2008 avec, cette fois-ci, la Chine et les pays émergents qui pourraient y jouer un important rôle pro-cyclique. Cela pourrait alors déboucher sur une profonde dépression dans un contexte de luttes sociales et politiques très vives et de tentatives multiples pour les faire dériver vers des affrontements nationalistes, de « races », de civilisations. Le besoin de concertations et négociations mondiales nouvelles deviendrait impérieux.
Elles pourraient porter, en particulier, sur la mise en cause du dollar comme monnaie commune mondiale de fait, sur celui, grandissant, du Yuan (Renminbi) et sur celui des droits de tirage spéciaux du FMI (DTS). Quant à l’euro, ses fragilités systémiques pourraient ne pas résister à ces convulsions si des changements très profonds de son utilisation n’auront pu être engagés, avec une réorientation fondamentale du rôle de la BCE, marchant de pair avec une émancipation européenne de la domination du Billet vert et de l’Alliance atlantique.
Dans cette perspective, l’Europe aura besoin de se rapprocher des pays émergents en cherchant à construire avec eux une nouvelle alliance. Car, chez les uns comme chez les autres, va s’exacerber la nécessité de défendre et promouvoir des modèles sociaux et culturels originaux, différents du « modèle anglo-saxon ». Cela pousserait à son paroxysme le besoin de grands services publics de qualité assortis d’infrastructures et d’équipements efficaces, de nouveaux droits sociaux et libertés avec l’urbanisation géante galopante, les énormes problèmes sanitaires et écologiques, le sous-emploi massif, l’insuffisance de formation, les féminicides et violences faites aux femmes, le travail des enfants, la corruption tentaculaire, les gangs et le terrorisme… mais aussi l’émergence de couches moyennes salariées nombreuses et très exigeantes. On a vu, par exemple, les immenses manifestations au Brésil en 2015.
Cette grande concertation mondiale pourrait porter donc, comme en 1944 (Bretton Woods), sur une profonde réforme du système monétaire et financier international. Mais elle devrait inclure, cette fois-ci, dans son périmètre le rôle des banques ordinaires (pas seulement les banques centrales), leurs rapports à la production de richesses et à la sécurisation-promotion de l’emploi et de la formation, leurs ratios prudentiels et les critères du crédit, l’activité des fonds d’investissement et de pensions, sans parler des plateformes pour les crypto-monnaies. Mais devraient aussi être visées les multinationales aux trésoreries gigantesques, aux pratiques de prix de transfert et de localisation de la valeur ajoutée socialement et écologiquement irresponsables, aux pouvoirs monopolistiques sur les brevets et les technologies, aux réseaux informationnels mondiaux si puissants et dont la socialisation pourrait fournir les bases pour un nouveau monde.
Une nouvelle grande conférence monétaire et financière mondiale devrait servir à fournir les bases pour que des financements nouveaux massifs soient mobilisés à développer les biens communs publics, une mise en réseau de tous les services publics pour leur expansion mondiale commune, le lancement d’un nouveau type de plan Marshall non dominateur pour l’Afrique avec des dons de monnaie en DTS, mais aussi en monnaies constituant son panier.
La question du pétrole et des matières premières, y compris alimentaires, dont les transactions se font en dollars, viendraient aussi sur le devant de la scène poussée par les préoccupations écologiques, les besoins hurlants de développement des pays producteurs et l’aspiration à de nouveaux standards de consommation et de vie. Pourrait alors se poser avec force la nécessité d’arracher ces ressources naturelles et leur transformation à la domination du dollar et des multinationales, américaines notamment, aux prélèvements rentiers des dirigeants des pays concernés, pour pouvoir, enfin, les traiter comme des biens communs de l’humanité.
La question d’une monnaie commune mondiale de coopération alternative au dollar pourrait donc venir à l’ordre du jour. Du reste, le gouverneur de la Banque centrale de Chine (BPC), Zhou Xiaochuan, a dit en 2009 qu’il fallait en faire une monnaie internationale de réserve, comme en avait émis l’hypothèse Paul Boccara dès le début des années 1980. Et, d’ailleurs, le panier du DTS a dû être élargi au yuan5 le 30 novembre 2015, malgré les réticences américaines, tandis que les Russes eux-mêmes demandent à ce que le rouble y soit intégré.
L’enjeu de traiter les monnaies nationales et régionales comme des biens communs publics de l’humanité pourrait beaucoup progresser avec le double besoin vital d’une maîtrise publique et sociale du crédit, de la création monétaire et d’une émancipation de la domination des marchés financiers, Wall-Street en particulier et ses places relais (la City, Tokyo, Singapour, Hong-Kong, les paradis fiscaux…).
N’y a-t-il pas dans tous ces possibles une clef pour comprendre l’agressivité et l’imprévisibilité des décisions de D. Trump qui met violemment en cause le multilatéralisme dans les négociations internationales, alors même que le monde tend à devenir de plus en plus multipolaire ? Le fiasco qu’il a imposé au dernier sommet du G-7, les 8 et 9 juin à Charlevoix (Canada), en est un exemple particulièrement parlant.
Il veut imposer à chacun des partenaires commerciaux des États-Unis son « America first ! » pour reconquérir une prééminence du site américain de production sur tout le spectre des productions mondiales, tout en faisant avaler leur énorme surproduction par le reste du monde.
Car, d’ores et déjà se profile un affrontement féroce pour déterminer ce que seront les rapports de force, une fois le monde entier au bord du gouffre et contraint, alors, d’organiser de grandes négociations, à moins de sombrer dans une guerre, cependant improbable car elle signerait la fin de l’humanité.
C’est le bras de fer entre les États-Unis et la Chine qui guide le jeu ; d’où la proposition paradoxale de Trump d’intégrer la Russie au G-7, peut-être pour tenter de la couper de la Chine et mettre les Européens sur la défensive. Cela s’est passé, en effet, au moment même où, parallèlement au sommet canadien du G-7, se tenait un sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) 6 à Qingdao (Chine), auquel était invité, à titre d’observateur, l’Iran en la personne de son propre président Hassan Rohani démonisé par Trump ! Ce sommet a vu se resserrer fortement les liens entre la Chine et la Russie.
Aussi, face à la montée de puissantes forces tendant à mettre en cause l’hégémonisme des États-Unis, tout se passe comme si l’Administration Trump cherchait à procéder à des frappes préventives. Elle mobilise tous ses arguments de domination en tablant sur sa double suprématie militaire et monétaire, mais aussi sur l’avance numérique des États-Unis avec le poids colossal pris par leurs oligopoles informationnels mondiaux (le « GAFAM » 7).
L’Europe pourrait en souffrir beaucoup si elle continue de rester vassale de l’Oncle Sam et ne se décide pas à rompre avec l’intoxication militaro-financière que Macron propose, au contraire, de propulser dans un bond en avant fédéraliste.
N’est-ce pas déjà ce que l’on perçoit avec la hausse des prix du pétrole et des matières premières, désormais de conserve, et c’est nouveau, avec la hausse du cours du dollar américain sa monnaie de compte et de transaction ? Elle est encouragée par la tentative d’étouffement par Washington de l’Iran, mais aussi du Venezuela, tous deux gros producteurs. Elle tend à alourdir significativement la facture énergétique des pays européens avec à la clef une hausse plus sensible de l’inflation des prix à la consommation dans l’UE, malgré les facteurs de déflation toujours à l’œuvre.
C’est dans ces conditions que la BCE (très en retard sur la FED) s’apprête à mettre fin à sa politique monétaire non conventionnelle d’assouplissement quantitatif, dont a tant profité le marché financier, et que ses taux d’intérêt risquent de remonter. Cela enrayerait précocement la reprise en cours dans l’UE et mettrait à nouveau le feu aux stocks de dettes publiques. Mais les dettes privées ne seront pas épargnées, particulièrement en France où elles ont continué sensiblement d’augmenter depuis 2008. L’Hexagone, au sein de la zone euro, serait en position particulièrement vulnérable.
Enfin, et ce n’est pas le moindre, la guerre commerciale décrétée par Trump, avec l’application de tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium importés du Vieux Continent et la menace de le faire aussi pour les automobiles, pourrait accentuer l’insuffisance de la demande susceptible d’absorber les productions d’Europe accrues avec la reprise, y compris du fait d’un report possible vers elle d’exportations des pays émergents refoulées par le protectionnisme américain. Le front européen de circonstances présenté au sommet du G7 pourrait alors se fissurer.
Face à ces menaces, l’Europe dont les dirigeants n’ont tiré aucune leçon de la crise de 2007-2008 et de ses suites, se présente donc en situation de grande fragilité.
La zone euro est profondément malade de l’insuffisance de sa demande interne, notamment pour les services publics. Et la crise d’efficience de ces derniers tend à compromettre lourdement l’efficacité de l’offre productive, particulièrement en Europe du Sud. Les investissements qui auront été fait au cours de la reprise actuelle, visant à réduire l’emploi pour la rentabilité financière, se conjugueront avec les nouveaux investissements qu’il est question de relancer au niveau européen pour accroître, en réalité, la suraccumulation de capitaux de ce côté-ci de l’Atlantique et, donc, la violence de son éclatement à venir.
Ne cesse de progresser, en effet, la productivité du travail avec le renouvellement rapide des technologies informationnelles. Si la demande ne progresse pas suffisamment pour absorber les surcroîts de production ainsi engendrés, cela fait du chômage qui augmente la pression sur les revenus salariaux et, donc… sur la demande. Cela ne fait qu’accentuer la guerre concurrentielle sur des débouchés insuffisants avec une pression à la baisse des prix, tandis que l’argent se précipite vers les marché financiers.
En effet, le surplus grandissant généré par les économies de travail de la révolution informationnelle alimente la spéculation 24 heures sur 24 sur tous les marchés du monde, alors qu’il pourrait servir de base pour une relance des services publics et des protections sociales.
L’expansion des services publics, notamment la formation, ferait croître la demande globale, les débouchés, sans en rajouter aux excédents de capacités de production matérielle. Simultanément, cela aiderait à consolider l’efficacité évolutive de l’offre productive avec des travailleurs qui, sécurisés et promus dans leurs parcours de vie, bien soignés, logés, formés, transportés, ayant largement accès aux activités culturelles, seraient alors autrement plus productifs, créatifs et entreprenant au travail jusqu’à en métamorphoser son contenu, disponibles hors travail pour une autre vie.
Mais, obsédés par la promotion et l’attraction des capitaux financiers, les dirigeants européens contribuent désormais au développement de tensions d’une gravité politique et symbolique nouvelle : le martyre sans fin imposé aux Grecs, le Brexit, les antagonismes infranationaux comme entre la Catalogne et Madrid, le progrès des forces populistes et chauvines d’extrême droite « surfant » sur les difficultés engendrées par la crise migratoire, les promesses non tenues et le terrorisme, sans parler de l’arrivée au pouvoir en Italie d’une coalition démagogique entre nationalistes d’extrême droite et populistes écrémant à gauche… Un changement radical de cap devient urgent !
Dans leur grande majorité, les Européens veulent une construction européenne qui puisse les protéger des assauts de la mondialisation financière, tout en leur permettant d’avoir une prise effective pour changer le cours et le contenu de cette mondialisation. Mais ils rejettent de plus en plus le modèle d’Europe qu’on cherche à leur imposer depuis l’Acte unique européen. Ils voient combien, au nom d’une telle Europe, les dirigeants s’attachent, tour à tour, à détruire leur « modèle social » dont la sécurité d’emploi et de formation et les services publics de qualité constituent les deux grands piliers. On mesure ainsi la portée des luttes engagées par les cheminots en France et de la solidarité qui s’est construite autour d’elles.
L’Europe, avec l’enjeu si considérable de l’avenir des services publics et sociaux, se trouve donc au cœur des solutions qui vont se chercher pour maîtriser et changer la mondialisation. Le défi lancé par Trump place les Européens devant la nécessité absolue de coopérer plus étroitement pour utiliser leur argent, l’euro, à défendre et promouvoir leur modèle social, leurs aspirations écologiques et les meilleurs valeurs humanistes que nombre d’entre eux partagent, dont le désir de paix et l’accueil des réfugiés. Face au dominateur commun, Washington et Wall-Street, ils ont, pour ces raisons mêmes, intérêt à se rapprocher des pays émergents où se pose aussi l’exigence de défendre et promouvoir des modèles sociaux audacieux qui leur soient propres et de répondre au besoin frénétique pour leurs « multitudes » de services publics très développés. zzz
1. Article 123 du TFUE (Traité de fonctionnement de l’UE) issu du traité de Lisbonne.
2. Entre le programme de rachat d'actifs publics et privés, et les opérations de refinancement de long terme, ce sont plus de 4.000 milliards d'euros qui ont été injectés en zone euro depuis 2011.
3. La croissance économique dans la zone euro a fortement ralenti au premier trimestre 2018, s'établissant à +0,4 %, contre +0,7 % au quatrième trimestre 2017, bien en deçà des hausses de 0,7 % observées au cours des trois trimestres précédents. La confiance se serait en partie dégradée en raison des inquiétudes liées à la menace d'une guerre commerciale avec les États-Unis, fortement confirmée à l’occasion du dernier sommet du G-7au Canada.
4. De 2009 à 2017 le PIB des États-Unis aurait crû, en valeur, de 3,35 % par an en moyenne. Mais l’indice Standard & Poor’s de la bourse de Wall-Street, qui était à un point bas de 679,5 le 27/02/2009, atteignait les 2797 le 01/06/2018 (+311%).
5. Jusque-là, le panier du DTS était composé du dollar, de l’euro, de la Livre britannique et du yen.
6. L’ OCS est une plateforme interétatique, initialement conçue pour traiter des enjeux de sécurité et de terrorisme, réunissant, outre la Chine, la Russie, l’Inde, le Kazakhstan, le Pakistan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Il est clair que la Chine et la Russie ont décidé d’élargir le champ des compétences de cette structure de coopération. Xi Jinping a ainsi abordé les récentes mesures commerciales prises par Washington en appelant à «rejeter les politiques égoïstes, à courte vue, étroites et fermées. [...] Nous devons maintenir les règles de l'Organisation mondiale du commerce, soutenir le système commercial multilatéral et construire une économie mondiale ouverte», il faut «rejeter la mentalité de guerre froide et de confrontation entre les blocs»
7. Le GAFAM est constitué du quatuor GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) auquel on ajoute le M de Microsoft.
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