Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Loi ELAN : qui pilotera et pour quoi faire ?

Derrière la vitrine d’une prétendue modernisation de notre modèle original du logement social, mais qui dans les faits en renierait ses principes de progrès social, le projet de loi Elan1 est avant tout un chantier pour fragiliser ses digues limitant encore les pressions des logiques du profit au service du marché. Si les révolutions écologique, informationnelle et démographique (familles monoparentales et recomposées, vieillissement de la population de son parc, accès au logement des jeunes) mettent au cœur du logement social l’exigence de coopérations et de mutualisations permettant de réduire les coûts et de développer de nouveaux services, le projet de loi Elan privilégie les regroupements autoritaires des organismes dans quelques grands groupes obnubilés par la rentabilité. La priorité est donnée à la valorisation des biens immobiliers par les ventes de logements et d’immeubles et à la réponse aux exigences patronales de mobilité des salariés au détriment des locataires comme aux territoires.

 

Pour imposer un tel chambardement le gouvernement a frappé à la caisse des organismes pour les contraindre à accepter ses conditions et les modalités de restructuration du secteur du logement social. Dans ce projet, les locataires, les collectivités locales et le service public du logement sont dans le collimateur. Des contre-propositions ont été avancées, concernant la restructuration de secteur du logement social, notamment par la Fédération des OPH. Mais ce projet n’en reste pas moins globalement dans la continuité de l’offensive brutale qu’avait déjà révélé le coup de force de l’article 52 de la loi de finances 2018 privant les bailleurs de 3 milliards d’euros sur 3 ans. Le recours autoritaire aux ordonnances est annoncé pour l’adoption de nombreux articles.

Face à ce coup de force et au brouillage idéologique, l’information des locataires, des élus et de toutes les organisations et les institutions concernées doit s’amplifier et la contre-offensive s’organiser rapidement pour vraiment préserver et promouvoir, en le modernisant, cet outil du progrès social. En effet il y a urgence : le projet de loi sera discuté au parlement au mois de mai et juin prochain.

Coup de force contre les HLM

En réduisant autoritairement de 3 milliards d’euros les moyens des organismes de logement social, Emmanuel Macron a visé un double objectif :

– faire monter l’idée que l’argent des organismes de logement social est sous-utilisé et qu’une « mutualisation » de leurs moyens, renforcée par un grand mouvement de concentration des organismes du secteur programmée par la loi Elan dégagerait les financements pour relancer la construction et la réhabilitation du logement social tout en permettant un retrait des aides de l’État.

– déstabiliser l’ensemble du secteur HLM pour remettre en cause sa gouvernance. Alors que le modèle actuel oblige l’État à prendre en compte, dans son pilotage du logement social, les institutions du logement social (représentant les bailleurs et les locataires), les collectivités locales, les banques et les entreprises, le modèle qui se dessine marginaliserait les élus de proximité et le mouvement HLM dans sa diversité.

Les méthodes utilisées pour imposer ce choix aux acteurs du logement social ne sont pas sans rappeler celles pratiquées par les prédateurs financiers pour mettre la main sur une entreprise.

De la RLS…

Le prélèvement massif de l’État sur les organismes HLM au titre de la Réduction de loyer de solidarité, qui ne bénéficie en rien aux locataires va déstabiliser le tissu HLM.

Cette réduction du loyer des allocataires de l’APL entraîne une perte sur 3 ans de 3 milliards d’euros pour les bailleurs sociaux. Il va mettre à la merci des organismes les plus puissants tout ou partie du patrimoine des bailleurs les plus fragiles qui représentent environ 40 % de l’ensemble des bailleurs sociaux. La RLS apparaît clairement comme ciblée pour affaiblir le secteur public du logement.

Si tous les organismes de logement social vont être affectés par la RLS, son impact sera très différent selon les cas. En effet, cette mesure frappe bien plus durement ceux qui ont le plus de locataires relevant de l’APL puisque la baisse des loyers privant les HLM de ressources correspond à celle des APL. C’est le cas des OPH qui comptent dans leur parc 54 % d’allocataires aux APL (47 % pour les ESH). Ces OPH logent les familles les plus modestes avec les loyers les plus bas2. Alors qu’ils disposent de moins de recettes ils pourraient subir les plus fortes baisses.

Si pour calmer le jeu une péréquation dans sa mise en œuvre a été annoncée, celle-ci selon l’accord-cadre ESH-Procivis3-état « permettra de prendre en compte la proportion de ménages défavorisés dans le parc de chaque organisme tout en accompagnant à moyen terme la restructuration du secteur ». Il s’agira donc d’une aide non encore chiffrée mais conditionnée à leur soumission aux exigences de la politique de concentration de la réforme.

… À la loi Elan

Place au marché

La loi Elan accentuerait encore ce choc créé par la RLS puisqu’il va pousser au pas de charge sur 3 ans une restructuration de l’ensemble du secteur pour accélérer les concentrations. Dans ce but il obligerait tout organisme de moins de 15 000 logements à fusionner avec un ou plusieurs autres et donnerait au ministre du Logement le droit de dissoudre d’autorité des organismes gérant moins de 1 500 logements non intégrés dans un groupement4.

Mais comme le souligne Isabelle Rey-Lefebvre, les regroupements forcés de la loi Élan visent d’autres objectifs que ceux de la mutualisation de moyens : « Le projet Macron n’est en effet pas seulement d’organiser une péréquation entre organismes riches et pauvres, mais surtout de les transformer tous en entreprises à structure capitalistique, avec des actionnaires » 5… « Depuis son élection, Emmanuel Macron a, à plusieurs reprises, sonné la charge contre le logement social »… « il n’y a pas de bonne circulation du capital », justifiait-il, le 6 octobre 2017 »… «Il s’agit donc de donner une valeur à ce patrimoine dans la perspective de le vendre… Le gouvernement parle « d’accession à la propriété », « de vente aux occupants » au rythme de 45 000 cessions par an, soit 1 % du parc. Les bailleurs sociaux devront reverser 10 % du produit de ces ventes à un fonds national pour la construction, permettant à l’État de se désengager un peu plus encore. Mais intégrer la vente future d’un logement social dans son plan de financement, donc le montant de son loyer, c’est envisager une cession systématique : un changement radical de modèle économique. »

Vendre le patrimoine pour construire

La vente des logements sociaux est au cœur du projet Elan.

Dans le passé, le prétexte pour vendre était celui de l’aspiration à « l’accession sociale à la propriété » de ses occupants ou encore pour favoriser la mixité sociale. Dans le projet de loi Elan, les ventes doivent avant tout constituer la ressource essentielle pour construire de nouveaux logements et pour réduire les aides publiques à la construction6.

Déréglementation…

Les ventes de logements seraient « libérées » : l’autorisation préfectorale ne serait plus nécessaire, le droit de préemption des communes supprimé.

En cas de vente entre organismes, qui ne nécessiterait plus l’agrément du préfet sauf exception, le prix de vente serait fixé par le vendeur. Cela accélérerait les acquisitions par les groupes les plus riches et les concentrations, et briserait les principes de solidarité du logement social puisque les prix de ventes entre organismes seraient déterminés par le marché au lieu de l’être comme actuellement par leur valeur nette comptable.

La vente d’un logement vacant serait ouverte d’abord aux locataires du logement social du département, mais la quasi-suppression des APL accession rendrait très improbable la vente à ce public aux revenus insuffisants7. Puis dans l’ordre la collectivité locale pourrait l’acquérir et enfin toute autre personne physique. L’objectif visé est peut-être l’ouverture aux « personnes physiques » disposant des moyens financiers pour assurer des opérations juteuses, notamment dans les plus belles réalisations et les quartiers les plus attractifs.

Concernant le chiffrage du produit des ventes le rapport de l’étude d’impact de la loi reprend celui de l’étude du Conseil général de l’environnement et du développement durable : la vente de 32 000 logements pourrait rapporter 2,8 milliards €8, soit un prix moyen de 62 500 €. Or, par exemple, le coût d’un logement PLUS, le plus courant dans le logement social, réalisé qui s’élevait en 2000 à 78 000 € n’est-il pas largement amorti depuis 18 ans. Comment prétendre que les locataires pouvant postuler auraient les moyens de l’acquérir ?

Les outils de la réforme

De nouvelles institutions – les « sociétés de ventes d’habitations à loyers modérés » – seraient créées pour accélérer les ventes de logements. Elles auraient pour fonction l’acquisition de biens immobiliers. Action logement a déjà décidé de créer une filiale dédiée à l’achat en bloc de logements sociaux puis à leur vente. Ainsi l’argent des cotisations sociales des entreprises pourrait être mis au service du remplacement ou de la transformation de logements sociaux en logements intermédiaires ou pour la destruction d’une partie du logement social.

Ces ventes excluent les logements des quartiers de la politique de la ville, les immeubles de moins de 10 ans ainsi que les immeubles des communes qui ne respectent pas le quota obligatoire de logements sociaux. Mais cela représenterait encore un potentiel de 800 000 logements « vendables ».

Le ministre des Finances estime qu’une vente d’un logement pourrait permettre de construire trois logements. Et donc qu’avec 800 000 logements on pourrait viser un objectif de 2,4 millions de logements sociaux supplémentaires. Ce qui est totalement illusoire si ces logements ne sont pas livrés à la spéculation.

Il s’agit donc comme le souligne Eddie Jacquemart, Président de la Confédération nationale du logement, d’une « privatisation d’un bien public financé par la solidarité nationale » associant par leurs financements l’État, les collectivités territoriales, les entreprises et les locataires.

Danger pour les territoires

Les élus de terrain soucieux des besoins de leurs collectivités locales auront de moins en moins de prise sur les décisions de construction, de réhabilitation et d’intégration du logement social dans l’aménagement de leur ville. Certes on continuera pendant 10 ans (au lieu de 5 ans) à comptabiliser ces logements vendus dans les quotas de logement social au titre de la loi SRU mais chaque logement vendu sera retiré de l’offre faite aux demandeurs de logement.

Or les collectivités locales ont financé pour une part ces logements. Elles ont garanti les emprunts et permis ainsi aux bailleurs de bénéficier de taux plus bas. Mais elles n’ont aucune garantie que d’autres logements seront construits car avec la restructuration du secteur la prise des villes et des villages sur les décisions serait fortement réduite. Les décisions structurantes seront monopolisées par les groupes dominants du secteur social (Action logement, CDC – logement…), le marché, les banques et l’État.

Relever le défi

Mais ces objectifs guidés par le profit se heurtent aux exigences des locataires, des populations et des élus. Ils attendent des bailleurs du logement social qu’ils répondent à leurs besoins de logement en qualité et en quantité en rapport avec les revenus des familles, avec des projets immobiliers intégrés dans la ville, qu’ils élargissent leurs missions sociales avec le développement de nouveaux services pour les locataires (pour les personnes âgées, crèches de quartier, alphabétisation…), qu’ils aident les initiatives éducatives et culturelles.

Des contre-propositions sont avancées par les associations de locataires pour élargir leurs pouvoirs d’intervention dans la gestion et au sein des institutions et pour responsabiliser l’État dans le financement du logement social, en relevant massivement ses aides publiques à la pierre.

Particulièrement concernée par le projet de restructuration du secteur, la fédération des OPH a présenté un contre-projet avec :

– la création d’une institution : la Communauté d’organismes pour favoriser notamment « la mutualisation des fonds propres et la capacité collective de lever des fonds propres pour répondre aux attentes locales de l’habitat ». La création d’une telle institution, dont le statut serait celui de société anonyme, a été retenue dans le projet de loi ainsi qu’une partie limitée du contenu proposé par ses initiateurs. Ce sujet fera sans doute l’objet d’un large débat.

– Élargissement des compétences des organismes sociaux aux services des locataires (maisons médicales, ou maisons de santé, établissements et services sociaux et médico-sociaux).

– Élargissement des compétences des organismes sociaux aux services des collectivités locales (ingénierie).

Une campagne de sensibilisation des locataires et des élus de terrain pesant sur la discussion parlementaire devra s’intensifier pour défendre le service public du logement social. Celui-ci est menacé par les choix ultralibéraux de la politique gouvernementale et la constitution de groupes hyper dominants au service du marché. Ce combat doit aussi permettre au service public de conquérir les moyens d’affronter les nouveaux défis du logement social par des coopérations et des mutualisations respectueuses du choix de chaque organisme. Ce qui passe aussi par la conquête de pouvoirs des locataires et des élus, notamment sur l’utilisation de l’argent dans tout le secteur du logement.

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1. Elan : portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique

2. Les loyers des OPH sont en moyenne inférieurs de 18 % à ceux des ESH et de 40 % de ceux du secteur libre.

3. Procivis représente les intérêts de 53 sociétés anonymes d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété. Son réseau gère 200 000 logements sociaux.

4. Dans ce cas le ministre peut imposer son rachat par un organisme de logement social.

5. « Macron, le président qui voulait privatiser les HLM », par Isabelle Rey-Lefebvre, Le Monde, 24.01.2018.

6. Pour le député François Jolivet (LREM, Indre), qui envisage déjà certaines modifications du projet de loi, « l’idée est de sortir du « financement par les subventions publiques » en permettant aux offices HLM de se transformer en ESH, coopératives, Semop ou SPL ». « Elan : les pistes d’amendements évoquées par les parlementaires aux 13e rencontres pour le logement et l’immobilier » par Lucie Romano, publié le 28 mars 2018, Habitat et Urbanisme.

7. Le niveau de vie médian de locataires est inférieur à celui de la population générale : 15 900 €, contre 20 200 €.

8 - Etude d’impact de la loi Elan page 186.

 

 

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