Il avait fallu cinq ans avant que le général de Gaulle, de retour au pouvoir et se posant lui aussi en César, connaisse sa première épreuve sociale majeure, avec la grève des mineurs de 1963. Une seule année aura suffi pour que Monsieur Macron affronte la plus longue mobilisation de l’histoire de la SNCF.
Certes, du fait d’un rapport de force politique et social globalement défavorable, les cheminots n’auront pu empêcher l’adoption, par le Parlement, d’un « pacte ferroviaire » menant à la privatisation du rail français. Mais ils n’auront nullement rendu les armes, décidant de poursuivre la lutte tout au long de l’été, et au-delà. Surtout, ils auront posé devant la nation la question décisive du besoin, de la place et de devenir de nos services publics.
Il se révèle très cohérent que notre Jupiter élyséen, porte-drapeau du capital financier et rassemblant derrière lui tout ce que la France compte de revanchards réactionnaires, ait engagé sa contre-révolution libérale en s’en prenant aux cheminots. Et qu’il se soit employé, dans la foulée, à dépecer la fonction publique, dans le cadre de son déjà trop célèbre programme « Action publique 2022 ».
Depuis la Libération, le service public ferroviaire est, en effet, devenu un symbole de justice et de solidarité recherchées, chacun devant pouvoir se déplacer pour un coût assumable. Les travailleurs du rail sont, quant à eux, devenus l’un des fers de lance du mouvement social, de Mai 68 à aujourd’hui.
Avec eux, tout le service public porte jusqu’à nos jours l’empreinte de la reconstruction de la République sous l’égide du Conseil national de la Résistance. Malgré les coups qui lui furent portés et l’austérité drastique qui l’affaiblit, en dépit de travers bureaucratiques ayant pu parfois altérer sa perception dans l’opinion, il affirme l’exigence essentielle que chacune et chacun puisse accéder à ces biens de première nécessité que sont le transport ou la santé, l’instruction et la culture, l’accès à l’eau et à l’énergie, sans avoir à trop subir le poids des inégalités territoriales ou sociales. Dit autrement, il représente le témoignage vivant que l’on peut organiser la vie en commun en plaçant l’humain au centre de l’action politique.
Sa gestion se place, à cette fin, aux antipodes de celle du secteur privé, grâce aux quatre principes qui le régissent : égalité, continuité, neutralité et péréquation. Les « statuts » de ses personnels, qu’ils soient ou non reconnus comme fonctionnaires, ne visent rien moins qu’à assurer le bon fonctionnement des entreprises concernées ou administrations, au seul bénéfice de l’intérêt général. Loin, très loin, de la situation « privilégiée » qu’il est devenu de bon ton de stigmatiser, en haut lieu et dans les médias dominants, il s’avère par conséquent la pierre angulaire d’une citoyenneté de plein exercice, donc d’une démocratie vivante. Il confirme, ce faisant, l’intuition du grand Jaurès, qui exhortait en son temps le mouvement ouvrier à pousser jusqu’au bout la République, afin qu’elle devînt enfin sociale.
Il était, somme toute, dans la nature de son projet, que le macronisme décide de lancer un assaut, qu’il voudrait décisif, à cette conquête et aux travailleurs qui l’incarnent. Ne prétend-il pas permettre à ses amis de la finance de s’insérer au mieux dans un contexte international de compétitions déchaînées, déréglementer à tout-va l’économie pour satisfaire aux directives d’une Union européenne généralisant le moins-disant social, rabougrir comme peau de chagrin ce qu’il demeure de propriété publique, réduire au silence le salariat comme Margaret Thatcher l’avait fait en son temps de l’autre côté de la Manche, faire prévaloir une vision à l’anglo-saxonne de l’organisation de la société ? Impossible, pour lui, de laisser subsister ce rappel d’un temps où la situation était bien moins favorable aux dominants.
Voilà qui souligne deux grands enseignements des quatre derniers mois, qui n’auront été que la première étape d’un affrontement s’annonçant de longue durée.
D’abord, dans la configuration que nous connaissons depuis un an, la défense et le redéploiement des services publics deviennent un enjeu de classe majeure. À travers eux, se jouent tout à la fois une vision de l’avenir, où les logiques de compétitivité aveugles et de rentabilisation forcenée céderaient le pas à la recherche du bien commun, et la possibilité d’ouvrir une brèche dans la domination de la construction européenne par le marché, ce qui tracerait le chemin d’un nouveau système de coopération et de développement, au service des besoins populaires et de la transition écologique.
C’est bien parce que les enchères se sont élevées à ce niveau que les salariés concernés ne sauraient rester seuls dans l’action. Aussi, la construction d’un vaste engagement citoyen, celui qui sera resté très insuffisant pour faire basculer le rapport des forces au printemps, va-t-elle dès demain se voir remise à l’ordre du jour. Si l’on veut isoler définitivement le président des ultrariches, permettre que se rencontrent un attachement demeurant massif à l’acquis du service public et l’exigence grandissante de démocratie, l’opinion doit entrer en lice massivement. Grâce à des manifestations de rue, bien sûr, mais encore à travers des initiatives à même de mobiliser des millions d’hommes et de femmes, à l’image de la votation auto-organisée qui s’était, en 2009, opposée à la privatisation de La Poste.
Cela nécessite, c’est l’autre enseignement, que soit portée haut l’ambition d’une politique s’employant, avec réalisme mais audace, à rompre avec la toute-puissance du capital, à prendre le pouvoir sur l’utilisation de l’argent. Renforcer le caractère national des entreprises publiques et leur faire jouer un rôle moteur dans l’économie, les investissements et la promotion d’un nouveau modèle de développement durable ; revitaliser et étendre dans ce cadre les services publics ; en transformer en profondeur les modes de gestion, et conférer aux salariés ainsi qu’aux usagers d’authentiques pouvoirs d’intervention ; faire bénéficier tout le secteur public d’un financement à la hauteur, de la part des banques publiques et de la Banque centrale européenne ; se tourner ainsi prioritairement vers les intérêts populaires et répondre du même coup à l’indispensable sécurisation de l’emploi et de la formation, afin de s’attaquer au fléau du chômage de masse et de la précarité : tel est le projet, véritablement moderne et révolutionnaire, qui peut dynamiser les mobilisations, ouvrir une perspective globale à leurs revendications, rassembler une gauche porteuse d’espoir, poser les premières pierres d’une alternative majoritaire.
Les communistes abordent la dernière phase de la préparation de leur congrès extraordinaire de novembre prochain. Ils entendent faire en sorte que leur parti y puise un nouvel élan, une capacité renouvelée d’initiative, une audace démultipliée dans la construction des luttes et la bataille des idées. Un projet communiste pour un xxie siècle marqué par un gigantesque défi de civilisation aura, pour cette raison, la question du service public en son cœur…
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