Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Marx, le capital et le travail

Marx a écrit Le Capital et pas « Le travail ». Pour l’émancipation des travailleurs, cette question du capital est centrale, au rebours des dérives « travaillistes » récurrentes. Tel est le message de Marx. Saisir le capital, jusqu’à la banque centrale, remarquait-il en analysant la Commune de Paris. Car le capital, dont les banques sont le multiplicateur, exploite le travail humain et la nature.

Le « capital est la véritable barrière de la production capitaliste » (Le Capital, livre 3). Il faut renverser sa domination par des conquêtes politiques révolutionnaires avance Marx. Ses premiers lecteurs, ne disposant que du livre 1, en ont tiré qu’il faut abolir la propriété privée des moyens de production. Disposant des deux autres livres et d’expériences historiques, nous en tirons que cette propriété est à abolir pour autant qu’elle est un moyen d’imposer d’autres buts que la rentabilité du capital. Le cœur à mettre en cause par de multiplies moyens, c’est la régulation économique par le taux de profit, engendrant des crises de suraccumulation, chômage, surexploitation, précarité, cancer financier. Les nationalisations de 1981-1982 en France ont montré que la propriété publique étatique ne suffit pas, car les critères de gestion dominants sont demeurés ceux de la rentabilité, donnant priorité à l’accumulation matérielle et financière. Cela éclaire aussi les expériences des pays dits socialistes, qui ont plutôt été un rattrapage étatiste et autoritaire du capitalisme avec des corrections sociales étatiques massives dans la répartition, sans critères de gestions alternatifs pour les entreprises et ont rencontré une crise économique très profonde. Porté par des critères alternatifs, cet autre objectif pourrait être une sécurité d’emploi et de formation, dépassant le marché du travail, en conjugaison avec le développement de tous les services publics, dans un partage mondial, allant vers des biens communs de l’humanité au lieu de la concurrence. C’est-à-dire un épanouissement articulant personne humaine et personne au travail, ce que Marx appelle « le royaume de la nécessité et celui de la liberté ».

Comment sont reliés capital et travail ? Pour Marx, ils sont reliés de façon très contradictoire et dialectique : en conflit – sur les buts, les pouvoirs et la répartition – et dans une certaine coopération pour produire. Produire, mais pour les buts du capital, profit et accumulation, qui domine. Au quotidien, les luttes se heurtent aux fameuses « eaux glacées du calcul égoïste » (Manifeste du Parti communiste).

Entendons-nous sur ce que Marx appelle le capital et le travail.

Le capital derrière sa double nature – moyen matériels de production et argent – c’est une « valeur qui se met en valeur ». Une valeur qui cherche à accroître sa propre valeur :

K → K’ K + ∆K

En ce sens le capital est un rapport social : il soumet les choses réelles sous-jacentes à K à la recherche de profit et de rentabilité. On a là une base pour démonter l’idéologie de la fin de l’histoire. « Il faudra toujours du capital pour produire, donc le capitalisme est indépassable » ? « Non », pouvons-nous répondre avec Marx. Il faudra des machines et des avances d’argent, mais on peut ne pas les prendre comme du capital : elles peuvent viser à produire des valeurs d’usage, à alléger la peine des travailleurs et la productivité d’ensemble, pas à accroître la rentabilité. Marx est un penseur de la révolution.

De même, Marx distingue soigneusement (1) le travail comme activité dans le processus de production, dont l’activité elle-même et la force de travail dépensée, (2) les résultats du travail (produit réel) (3) la personne du travailleur.

Des capitalistes finissent par croire que le capital produit par lui-même, alors que c’est le travail humain qui crée la valeur. Il en est même le seul producteur (la valeur d’usage est produite aussi par la nature). Le travail humain produit à la fois le revenu du travailleur et un « plus », la plus-value, que le capitaliste s’approprie. Le total des deux correspond à la valeur ajoutée créée. Comment cette magie s’opère dans un monde marchand, où normalement tout s’échange en moyenne à sa valeur ? C’est que le capitaliste paie une marchandise spéciale : la force de travail, dont la valeur est celle des produits qu’il faut pour la reproduire, alors que sa valeur d’usage est de créer de la valeur.

Quand aux moyens de production, avec la technologie, ils démultiplient la puissance créatrice du travail humain. Machines et technologies sont issues du travail passé mais ne créent pas de valeur par elles-mêmes. Elles transmettent leur valeur. De même l’entreprise et son organisation, coordonnant le travail, peut rendre plus ou moins efficace la production.

Pour combattre Marx, les néoclassiques ont voulu élaborer une théorie « où le travail ne soit jamais la cause de la valeur » (Jevons). Ils prétendent que la production Y = wL + rK, mais il n’y a pas là d’accroissement de valeur ! Et il n’y a pas de profit ! L’entourloupe réside dans le fait que le travail, L, est présenté comme s’il pré-existait, alors qu’il doit être dépensé dans un processus qui, là, est évacué ! L’enjeu majeur est ce processus : comment ce travail va-t-il produire efficacement : qualifications, relation homme/machine, organisation dans l’entreprise et interentreprise mondiale, etc. Tout autre chose que l’achat de deux inputs L et K dont le collage donnerait un résultat prédéterminé !

Les capitalistes s’approprient le surproduit créé par les travailleurs. Il prend la forme de plus-value, dont la manifestation concrète est le profit. De nos jours, une partie du surproduit – ce produit qui est au-delà du salaire nécessaire aux travailleurs – va au développement des services publics et à la protection sociale, qui concerne aussi les non-travailleurs. C’est dire si le capital a dû faire la part du feu, suite notamment aux transformations révolutionnaires d’après la Libération. Depuis, le capital n’a de cesse que de reprendre ce qu’il a perdu.

Le capital rencontre une crise d’efficacité profonde, à la racine de la crise systémique actuelle. Car il ne lui suffit pas d’accroître son profit. Il faut encore que cela ne lui coûte pas trop en capital financier et matériel, sinon il perd d’un côté ce qu’il a gagné de l’autre et se retourne alors contre les dépenses salariales et sociales. Ces coûts d’un capital exigeant son rendement vont à l’encontre des besoins de dépenses pour les êtres humains, l’emploi, la formation, comme les dépenses de recherche.

Or la révolution informationnelle bouleverse profondément les relations entre « capital » et travail. Par exemple, l’information, ne s’use pas quand on s’en sert, au contraire d’un capital matériel. Elle porte un principe de partage. Elle rend décisives pour l’efficacité les dépenses immatérielles, formation, recherche, services publics et elles pourraient prédominer. Enfin, la personne du travailleur tend à déborder radicalement sa réduction à une « force de travail » interchangeable, rendant décisifs ses qualités, sa créativité, ses capacités de décision… mais devant servir le patron et les intérêts des actionnaires. Cela décuple les injonctions paradoxales et la surexploitation, cela génère des surcoûts considérables pour compenser et contrôler.

Le monde change et libérer le travail de la domination du capital est de plus en plus à l’ordre du jour.

Enfin, la vie elle-même appelle à développer l’analyse de Marx qui met en lumière la domination du capital jusque sur l’anthroponomie. Comme le montre Paul Boccara, le capitalisme forme un couple avec le libéralisme, qui veut réduire les rapports sociaux à des contrats entre prétendus égaux, mais en cachant l’inégalité fondamentale de moyens et en déléguant les pouvoirs au capitaliste dans l’entreprise. Conquérir des pouvoirs sur l’argent face au capital est décisif pour libérer le travail et la personne humaine, jusqu’à une sécurité d’emploi ou de formation, perspective révolutionnaire de dépassement du marché du travail, question éminemment politiques car elle met en cause le rôle de toutes les institutions publiques sur le couple entreprises-banques. 

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