Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Outre-mer : « L’heure de nous mêmes a sonné » (Aimé Césaire)

2018 : une année qui marquera très probablement l’histoire des outre-mer. Notamment par le référendum d’autodétermination prévu en Nouvelle-­Calédonie, en octobre ou novembre. Ce scrutin doit permettre aux Calédoniens de se prononcer entre d’une part, le maintien du « Caillou » dans le « giron français », ou d’autre part « l’obtention de son indépendance », et autrement formulé son accession à la pleine souveraineté. Une occasion de s’interroger sur le rapport que nous, communistes, avons sur les « anciennes colonies » françaises.

La Nouvelle Calédonie, depuis les accords de Nouméa, est entrée dans un processus de décolonisation progressif. L’État français vit ainsi un événement totalement inédit depuis Djibouti en 1977 et Vanuatu en 1980 : la possible indépendance d’une ancienne colonie.

Car il s’agit bien de décolonisation : cela figure dans le préambule de l’accord de Nouméa : « Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun. »

À quelques mois du prochain congrès, le PCF ne devrait­­-il pas s’interroger sur les évolutions que connaissent les outre­-mer et tout particulièrement la Nouvelle Calédonie ? Non pour donner une quelconque ligne directrice, mais pour prendre la mesure d’un passé, d’un présent et d’un avenir. L’évolution de la Nouvelle­‐Calédonie signifie­-t­-elle la fin du droit commun ?

N’avons-nous pas à réfléchir, en 2018, sur ce qu’impliquent ce côté « un et indivisible » de la France, en prenant garde de ne pas confondre « un » et « uniformité » ? Pourquoi tant de frilosité de la part des communistes, lorsqu’il s’agit de se positionner sur les demandes récurrentes des outre-mer ? À savoir celles de plus de responsabilités, plus de compétences et de pouvoirs ? En quoi l’octroi de nouvelles responsabilités confiées aux collectivités d’outre-mer (au sens générique du terme) serait-il synonyme d’anarchie ou de remise en cause d’une « unité » nationale ?

Devons-nous rester sur les positions prises par les élus communistes, dont la prudence s’est notamment affirmée lors de la révision constitutionnelle de 2003 ? Une abstention résolue des élus communistes sur les alinéas de l’article 73 de la Constitution. Alinéas qui donnent aux ex colonies françaises de Guadeloupe, Martinique, Guyane, la possibilité d’édicter leurs propres lois et règlements dans un champ très encadré, et afférant à des compétences qu’elles exercent déjà ? 1

Aimé Césaire, comme Paul Vergès, dénonçaient cette fâcheuse habitude des pays européens (et colonisateurs), notamment la France, à faire pour les outre-mer, à penser à leur place. Aujourd’hui, cette volonté d’émancipation traverse l’ensemble des outre-mer. Et qui plus est, provient des partis de droite comme de gauche.

S’approprier une histoire commune

Pouvons-nous continuer à légiférer, à penser, comme si la République n’était que le territoire hexagonal ? N’est­-il pas temps de changer de logique ? N’est-il pas temps de décoloniser nos mentalités ?

Nous ne pouvons le faire que si, préalablement, nous nous attachons à reconnaître notre histoire, avec ses périodes esclavagiste et coloniale. Sommes-nous prêts à admettre, dans nos analyses et comportements, le choc, le traumatisme vécus par les peuples (peuples, pour reprendre la terminologie contenue dans la Constitution de… 1958) des outre-mer ?

Et donc non seulement d’assumer notre histoire, avec ses périodes d’esclavage et de colonisation, ce qui serait déjà un premier pas, mais aussi aller au-delà. Arrêter d’écrire une histoire qui se centre exclusivement sur l’Hexagone, oubliant « les confettis de l’Empire », « les danseuses de la République », ces territoires qui « coûtent cher à la France », ces « anachronismes de l’histoire contemporaine ».

Oui, l’appropriation par tous d’une histoire COMMUNE est indispensable, mais cela restera une histoire mutilée tant que chacune et chacun ne s’y sera pas reconnu. Quand admettrons-nous, par exemple, que l’histoire coloniale de la France ne s’arrête pas en 1962 (fin de la guerre d’Algérie) ?

N’est­-il pas l’heure d’envisager les outre-mer autrement que dans une vision totalement désuète : la dispersion, sur les trois océans, de quelques millions de personnes, loin de « la mère patrie ». Des femmes et des hommes dont on ne parle que lorsqu’il y a des éruptions volcaniques… ou sociales. Ou lors de la visite de présidents de la République.

Appropriation d’une histoire commune et décolonisation de nos mentalités. Mais les habitudes ont la vie dure. On entend encore parler, y compris dans la sphère communiste, des « DOM-TOM ». Les deux mots liés par un trait d’union, histoire de renforcer une similitude qui n’a d’ailleurs pas lieu d’être. Il y a 11 entités, et aucune n’est identique à l’autre. Et qui plus est, les TOM n’existent plus depuis la réforme constitutionnelle de 2003.

Le PCF ne devrait-il pas prendre sa place dans ce travail de décolonisation de la société, des mentalités françaises ?

Décoloniser les mentalités

Les rapports entre le PCF et les outre­‐mer ne se baseraient-ils pas sur des supposés ? Une petite histoire qui couvrirait d’un voile pudique la (dure) réalité des choses ? À titre d’exemple, la raison réelle de la rupture entre Aimé Césaire et le PCF. Cette cassure vient de la prise de position de Guy Mollet ; les pleins-pouvoirs lui avaient été donnés ; ils serviront à l’accroissement de la répression au Maghreb.

Dans sa lettre de démission du PCF (24 octobre 1956) destinée à Maurice Thorez alors secrétaire général du PCF, Aimé Césaire fustigeait un parti communiste qui « porte encore les stigmates de ce colonialisme qu’il combat », un « communisme français » qui cherche à s’imposer aux peuples colonisés. Dont les départements et collectivités d’outre­‐mer français.

Ce que voulait Césaire, c’était que « marxisme et communisme soient mis au service des peuples noirs, et non les peuples noirs au service du marxisme et du communisme ». Est-on sûr que, aujourd’hui, nous n’appliquons pas la même dialectique ?

Certes, le PCF participe aux semaines de la décolonisation. Par exemple, il a signé l’appel « Contre toutes les formes de colonialisme et de racisme » lors du rassemblement du 19 mars 2017, appel qui comportait cette phrase : « Pour la décolonisation et les droits politiques, économiques, sociaux et culturels des dernières colonies françaises, en Kanaky, Polynésie, dans les Caraïbes et l’Océan indien ».

Mais est-ce une simple déclaration de principe ? Y a-t-il eu des réflexions, des analyses, des recherches sur ce que cela signifie ?

Que mettons-nous dans ces mots si souvent jetés là, comme un dogme : « les outre-mer sont une chance pour la France et pour l’Europe » ? N’y aurait-il pas lieu également de se demander comment rompre avec une société postcoloniale qui organise – ou maintient – l’inégalité institutionnelle ?

Un néocolonialisme mondial

Ne devrait-on pas réfléchir à ce qu’est aujourd’hui la République ? Une République qui voit des populations parler différentes langues ? Pratiquer d’autres cultures ? Ne devrait-on pas s’interroger sur la question de la multiculturaliste, l’interculturalité ? Ou pourquoi pas, comme le disait Paul VERGES en parlant de La Réunion de « l’interculturalité » ?

Les outre-mer sont sortis du statut colonial, mais le néocolonialisme y est omniprésent. Car l’ex puissance coloniale maintient, par des moyens détournés, la domination (économique, culturelle, etc.) sur ses anciennes colonies. Ce sont les politiques commerciales, économiques et financières qui permettent ce contrôle. Le système néocolonial repose sur les transfert des fonds publics envoyés dans les outre-mer pour y être transformés en profit pour des sociétés privées. Une grande opération de recyclage.

Le terme néocolonianisme ne pourrait-il pas aussi qualifier les politiques d’institutions financières internationales comme la Banque mondiale, le Fonds Monétaire International ou le G8 ? Par leur choix d’accorder ou non des prêts ou des aides économiques, elles contraignent les pays pauvres à prendre des mesures structurelles qui accroissent la pauvreté tout en favorisant les intérêts financiers des pays riches et des multinationales.

Autrement dit, la mondialisation ne serait-elle pas une nouvelle forme de colonisation ? 

1. La Réunion n’est pas concernée par ces dispositions, à cause de l’alinéa 5 de ce même article.

 

 

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