Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La conception communiste du service public

le 15 November 2006

L'application des recettes libérales aux services publics apparaît comme un des facteurs essentiels du recul de civilisation que traversent nos sociétés.

Cette tendance n'est pas pour autant irrésistible ; des mobilisations grandissent.

Sommaire [|Un point d'appui pour (...) [|Cinq axes de transformation| [|Un point d'appui pour changer le monde|]

Une démarche qui part des besoins de la société

L'application des recettes libérales aux services publics apparaît comme un des facteurs essentiels du recul de civilisation que traversent nos sociétés.

Cette tendance n'est pas pour autant irrésistible ; des mobilisations grandissent en effet à tous les niveaux : localement, pour la défense des structures de proximité comme le bureau de poste, l'école, l'hôpital, la ligne de chemin de fer ; au plan national, pour lutter contre les privatisations ; à l'échelle continentale, contre les directives libérales ; et au plan mondial, sur les problèmes du droit à l'eau et à l'énergie, ou dans le mouvement des collectivités qui se déclarent “zone hors AGCS”.

Mais la résistance et la contestation ne sont pas suffisants ; il faut travailler à changer le cours des choix actuels, à dégager une perspective. Le mûrissement du mouvement anti-libéral, concrétisé par la victoire du “Non” au référendum, appelle à pousser la réflexion sur les objectifs politiques et la stratégie les mieux à même de mobiliser les populations, en France, en Europe et dans le monde, sur la question du service public.

Autour de quelles exigences concrètes de transformation peuvent-elles se retrouver pour agir ensemble ? Répondre à cette interrogation suppose de définir un contenu, mais aussi, indissociablement, une démarche.

Celle-ci ne peut en aucun cas se réduire à la seule défense des acquis ou au retour à des réponses du passé. En premier lieu, parce que les structures actuelles héritées de l'histoire sont aujourd'hui, comme on l'a vu, gangrénées en profondeur par les critères et les modes de gestion imposés par le capitalisme. En second lieu, parce que les mutations de la société et les enjeux qu'elles portent engendrent des problèmes nouveaux et avec eux la nécessité d'inventer des solutions inédites.

Ainsi, les mutations de la société modifient la donne sous bien des aspects : des phénomènes comme la montée des exclusions ou le progrès technologique et les nouveaux services qu'il rend possible poussent ainsi à élargir le champ du service public au-delà de la vision traditionnelle (énergie, transports, eau, santé, éducation, sécurité, justice), en y intégrant par exemple l'accès au logement, au crédit, aux moyens modernes de communication, aux médicaments, à la culture. Par ailleurs, il n'est plus possible de cantonner la problématique des services publics au seul cadre national. L'alternative à la déréglementation ne peut pas être le retour à un mode de fonctionnement où les services publics relèveraient exclusivement des prérogatives des États.

D'abord, pour des raisons liées au développement des moyens de production : des secteurs comme la distribution d'énergie, les télécommunications, le transport ferroviaire ou aérien nécessiteront de plus en plus par leur nature même la définition de règles au-delà du seul niveau national. Ensuite, parce que le besoin de développer les services publics est universel : les différences considérables qui existent aujourd'hui entre les pays en termes d'accès des populations aux services impliquent une coopération internationale et l'élaboration de normes communes susceptibles de permettre une harmonisation par le haut. Par la place déterminante qu'ils occupent, l'eau, l'énergie, la santé, l'éducation ou l'internet justifient en particulier un traitement à l'échelle planétaire.

Ces considérations conduisent à partir des besoins de la société actuelle pour définir le contour des services publics et les réponses à apporter en termes de missions, de types d'organisation conomique, de modes de fonctionnement. Il s'agit donc de prendre comme point de départ les défis de notre époque pour dégager une visée et des propositions alternatives.

Cette approche permet d'éviter le piège de la fausse alternative entre déréglementation et statu-quo. Elle facilite aussi l'élargissement du rassemblement pour le service public à partir de la mise en évidence des convergences d'intérêt, notamment entre salariés usagers et élus. C'est également avec cette démarche que l'on peut espérer favoriser le développement du mouvement sur les services publics au-delà des frontières nationales, en mettant en avant ce qui est commun (les exigences en matière de droits) et non ce qui divise (les formes diversifiées prises par les services).

Dépasser le capitalisme et le marché

À l'inverse du mouvement de libéralisation et de privatisation des services publics, qui tend à offrir de nouveaux espaces de mise en valeur au capital, notre conception prend le contrepied du “toutmarchandise” et du “tout-profit”. Pour nous, les services publics ne peuvent constituer un simple palliatif ou un correctif aux dégâts de la logique capitaliste ; ils doivent devenir un levier pour opérachanger le monde, dans la perspective d'un dépassement du capitalisme et du marché.

C'est pourquoi notre ambition ne se limite pas à définir un secteur protégé de la mainmise du marché et de la rentabilité en laissant ces derniers dominer le reste des activités humaines. Parce que c'est bien l'économie et la société dans leur ensemble qu'il s'agit de transformer, il convient de poser, au-delà de l'enjeu du service public, celui de l'entreprise publique elle-même, du champ qu'elle doit occuper et du rôle qu'elle peut jouer comme instrument d'une révolution générale des rapports économiques et sociaux. Cela suppose à la fois une profonde rénovation et une extension des services et entreprises publics, à partir de l'acquis qu'ils représentent.

Les changements et les réformes que nous préconisons s'inscrivent autour de cinq axes : la démarchandisation des services publics leur appropriation par les citoyens la transformation et l'extension du secteur public la mise en place de nouveaux financements la création de nouveaux services publics.

[|Cinq axes de transformation|]

Démarchandiser les services publics

C'est autour des notions de biens publics et de droits associés à ces biens qu'on peut structurer une approche nouvelle dégageant les services publics de la domination des rapports marchands.

Il faut ici entendre “biens publics” au sens de ceux existants dans la nature (tels que l'air et l'eau), mais aussi des productions humaines indispensables aux conditions modernes de vie.

Cela signifie deux choses : d'une part, la reconnaissance de leur caractère de produits de première nécessité va de pair avec la garantie de la liberté, de la sécurité et de l'égalité d'accès à ces biens ; d'autre part, les productions relevant du service public ne sauraient être gérées comme des biens privés. Leur impact social, économique et écologique justifie en revanche pleinement la maîtrise publique de leur organisation, d'autres règles et normes de gestion.

Cette visée s'inscrit dans une conception renouvelée de la citoyenneté qui va bien au-delà de la conception classique des droits de l'homme pour s'élargir à des droits économiques permettant de maîtriser l'organisation de la production, des échanges et des financements.

L'Europe est un territoire déterminant pour mettre en oeuvre cette démarchandisation.

Cela passe obligatoirement par l'inclusion de ces droits dans la Charte des droits fondamentaux.

Sur cette base, on peut envisager un nouveau traité européen qui donne une place et un contenu entièrement nouveaux au concept de Services d'intérêt général : en inscrivant la réalisation de ces droits parmi les objectifs essentiels de l'Union ; en reconnaissant dans ce but l'existence d'un secteur de SIG situé de droit en dehors de la sphère marchande et placé sous maîtrise publique ; en appliquant le principe de subsidiarité. À partir de normes minimales de service fixées au niveau de l'Union, chaque pays doit rester maître de ses choix internes d'organisation : monopole ou multiplicité d'opérateurs, entreprise publique ou concession privée de service public (l'application de ce principe justifie la défense des entreprises publiques en France et permettrait la mise en place de droits de contrôle renforcés chez leurs concurrents privés) ; en concrétisant le droit à l'information et à la participation des citoyens à la définition et à l'évaluation des services, à travers la création d'un Haut conseil des services d'intérêt général à l'échelle de l'Union, rassemblant élus, syndicats, associations d'usagers, représentants des États, et chargé de réaliser une évaluation régulière et plurisectorielle des SIG ; en affirmant la réversibilité des décisions, principe démocratique aujourd'hui nié par l'Europe libérale. D'où l'idée d'un droit de pétitionnement citoyen qui, au-delà d'un certain seuil de signatures, entraînerait obligation pour l'État ou le groupe d'États concernés de demander la renégociation de textes européens comme les directives et règlements.

Ce traité permettrait ainsi de construire, à partir des acquis et de l'histoire de chaque peuple, des services publics européens, notamment dans les secteurs de l'énergie, des transports et de la communication.

Sans attendre, il convient de stopper la vague de libéralisation qui se poursuit. D'où l'exigence d'un moratoire sur tous les textes de directives et de règlements concernant les SIG, combiné avec l'engagement d'un débat public à l'échelle de l'Union à partir d'un bilan contradictoire de la libéralisation. Une refonte complète de ces textes et de leurs déclinaisons nationales en fonction d'une logique de service public doit être envisagée : en élargissant le champ des prestations accessibles à tous. Ceci passe par l'extension du “service universel” ; en adoptant des mesures anti-dumping social, avec l'objectif d'étendre à l'ensemble des opérateurs les dispositions les plus avancées du secteur concerné ; en favorisant la libre coopération entre opérateurs des différents pays (quel que soit leur statut), pour assurer une continuité de service à l'échelle du continent, partager les coûts d'investissement, de formation, de recherche et développer l'emploi ; en instaurant une véritable maîtrise publique des infrastructures de réseaux par la création de monopoles publics nationaux et à terme européens, pour combattre les gâchis d'investissements actuels.

Une démarche similaire est à engager à l'échelle planétaire, avec la reconnaissance de droits d'accès universels et inaliénables à l'eau, à l'énergie, à la santé, à l'éducation notamment. Les activités de service public doivent en conséquence être exclues de l'AGCS. En effet, n'étant pas des marchandises, elles n'ont pas à relever des règles du commerce international et à entrer dans le champ de compétences de l'OMC.

L'Union européenne pourrait être à la pointe dans ce combat, dans l'optique de la promotion d'un modèle social et économique original où les services publics tiendraient une place centrale.

Donner la maîtrise des services publics aux citoyens

Le droit de contrôle, d'intervention et de participation aux choix stratégiques en matière de service public ne peut pas rester l'apanage d'autorités de tutelle technocratiques ou des directions d'entreprises, pas plus qu'elle ne peut être l'affaire des seuls agents et de leurs syndicats. Des droits nouveaux doivent être accordés aux usagers et à leurs associations, aux élus des différentes collectivités territoriales porteurs des besoins des populations. Ces droits doivent permettre de garantir le caractère réellement démocratique des décisions et de leur mise en oeuvre, et pour cela assurer la transparence et la circulation de l'information, ainsi que l'expression et la confrontation des propositions.

L'exercice de tels droits nouveaux suppose qu'usagers et élus disposent d'un pouvoir effectif dans l'organisation des services.

Il s'agit de substituer à l'actuelle régulation par le marché une régulation placée sous la responsabilité des populations, dans une vision à la fois désétatisée et démocratisée du service public. Dans ce but, le statut, le rôle et la composition des organismes de régulation sectoriels doivent être profondément transformés pour en faire des instruments de l'intervention citoyenne, chargés de recenser et hiérarchiser les besoins, de déterminer le contenu et le niveau des prestations attendues, de définir les priorités d'investissement, de vérifier la qualité du service, et d'intervenir en matière de politique des prix, notamment en ce qui concerne les principes de tarification et les éventuelles gratuités à instaurer.

De telles structures, qui doivent être dotées des indispensables moyens d'expertise, peuvent s'envisager au-delà du seul niveau national. D'un côté, en effet, le niveau local devrait occuper une place déterminante dans la mise en oeuvre de droits nouveaux de contrôle et d'intervention citoyenne.

De l'autre, celle-ci doit pouvoir s'exercer audelà de la Nation et s'étendre aux échelons européen et mondial quand la nature des activités de service le justifie. Il s'agit par conséquent de décliner de tels organismes de régulation dans chaque territoire pertinent, sous la condition expresse de définir avec précision le champ de compétences de chacun et leur articulation (ce qui dépend évidemment des caractéristiques du service public en question).

À partir d'une telle conception, on peut envisager leur composition autour de trois pôles égaux en importance : les élus, avec des représentants du niveau territorial couvert par l'organisme en question ; les usagers (à la fois les usagers domestiques et les entreprises) et leurs associations (choisies en fonction de leur représentativité à l'échelle du territoire considéré) ; les salariés, à travers les organisations syndicales représentatives de ces mêmes territoires.

Par ailleurs, il convient de réactiver les “commissions de modernisation des services publics” rassemblant sous l'autorité du préfet de département les acteurs concernés : élus, associations d'usagers, organisations syndicales.

Ces commissions, dont la création prévue par la première loi de décentralisation est restée jusqu'ici lettre morte, auraient vocation à être consultées sur toutes les décisions concernant les services publics sur leur zone d'intervention et à formuler des propositions de développement de nouveaux services et de synergies. Elles bénéficieraient de moyens d'évaluation et de contrôle, et pourraient organiser des débats et des référendums sur toute question importante, avec obligation de prise en compte du résultat de ces derniers, jouant ainsi un rôle important dans le développement des collectivités territoriales.

C'est avec le même objectif de favoriser la maîtrise publique des services que peut être envisagée une véritable décentralisation. Un double mouvement est ici nécessaire, de délégation vers les niveaux institutionnels territoriaux et de préservation des cohérences nationales.

Cela passe par l'application de trois principes : la proximité : les décisions doivent toujours être prises au plus près des besoins qu'elles visent à satisfaire et des populations qu'elles concernent, avec leur implication la plus directe possible ;

la subsidiarité : elles ne doivent remonter à un niveau territorial plus large qu'en fonction des impératifs de cohérence et d'efficacité, mais aussi de la mise en oeuvre de formes diverses de solidarité ;

la cohésion : l'affirmation de la responsabilité première d'une collectivité décentralisée va de pair avec le maintien de la responsabilité de l'État pour préserver les cohérences nationales.

Ainsi, loin de devoir entraîner un désengagement de l'État, la décentralisation des services publics implique au contraire son engagement actif pour concilier les exigences de démocratie et d'égalité.

Cette intervention recouvre notamment les domaines suivants : la définition de normes générales de service et de tarifs applicables à tous ; le dimensionnement des moyens et les péréquations financières nécessaires à la solidarité nationale et à une politique d'aménagement du territoire tournée vers l'emploi ; la mise en oeuvre de fonctions transversales telles que l'expertise au service des collectivités, la formation des personnels, la recherche scientifique et technologique, la gestion des parcs de gros matériel… ; l'existence d'un statut unique et amélioré de la Fonction publique, garantissant à la fois un haut niveau de savoir-faire, l'indépendance des personnels vis-à-vis des pouvoirs politiques et la capacité des structures à s'adapter à l'évolution des besoins en garantissant la sécurité de l'emploi.

Le niveau de cette intervention dépend bien sûr du type d'activité concerné. Cependant, les grands services en réseau justifient pleinement l'existence de structures à l'échelle du pays telles que les entreprises nationales (elles-mêmes appelées à mettre en oeuvre au sein de leur propre organisation une décentralisation véritablement démocratique) ou les grands ministères à vocation transversale.

Transformer et étendre le secteur public

Le secteur public (grandes entreprises et administrations publiques) peut être un vecteur privilégié pour répondre aux besoins de service public, mais aussi, au-delà, pour contribuer à transformer les rapports économiques et sociaux dans leur ensemble et promouvoir un autre type de logique.

Un nouveau modèle d'entreprise est à inventer, qui soit porté par le secteur public et qui devienne une référence pour toute l'économie (à l'inverse de la situation actuelle où c'est le privé qui joue ce rôle).

Cela implique d'abord d'autres critères de gestion et d'évaluation de la performance dont les entreprises publiques devraient être le lieu privilégié d'expérimentation. Ces critères, appelés à servir de référence interne, mais aussi dans les rapports avec les tutelles, doivent être bâtis à partir des objectifs de service public et par conséquent intégrer les différentes “externalités” engendrées par l'activité de l'entreprise : l'impact sur la réduction des inégalités, sur l'emploi, sur l'environnement.

Ils doivent ainsi mettre en rapport le coût des moyens humains et matériels engagés avec : d'une part, la valorisation des services produits (qui est fonction de leur utilité sociale, du nombre d'usagers y accédant et du niveau de qualité des prestations) ; d'autre part, les économies induites à l'échelle de la société par la création d'emplois, la mise en oeuvre de procédés de production non-polluants, la contribution au renouvellement des ressources, la contribution au financement de la protection sociale.

Cette démarche porte une nouvelle conception de l'efficacité, mesurant la contribution de l'entreprise à l'aune de son apport aux besoins de la collectivité humaine, en lieu et place de l'actuelle contrainte de “rentabilité financière”. De ce mode d'évaluation découlent des principes de gestion radicalement en rupture avec ceux de l'entreprise privée, tels que la compensation entre activités bénéficiaires et activités déficitaires, la péréquation tarifaire, l'utilisation d'une partie des surplus pour la recherche-développement.

Au-delà de ces critères spécifiques aux entreprises publiques, pourraient être expérimentés des critères nouveaux de gestion, progressivement extensibles à l'ensemble des entreprises et favorables à l'emploi, à la formation, à la recherchedéveloppement, y compris envers les conditions de sous-traitance (PME, PMI et leurs salariés). Par exemple, en prolongeant les “comptes de surplus” expérimentés par le passé dans plusieurs entreprises publiques (EDF, SNCF) et qui, examinant l'efficacité globale des facteurs” de production répartissaient les “surplus” entre les différents acteurs, internes et externes, pour le développement et le progrès social. Aujourd'hui, de tels critères pourraient s'articuler autour du rapport d'efficacité “valeur ajoutée/capital total mobilisé, matériel et financier” et ses déclinaisons en “valeur ajoutée disponible pour les travailleurs et la société”.

À la guerre économique et ses ravages, nous opposons un type de développement fondé sur la notion de coopération. Le secteur public a un rôle important à jouer dans ce sens, d'abord en son sein, ensuite dans ses relations avec les autres opérateurs à l'étranger, enfin à travers ses partenariats avec l'industrie.

La coexistence entre secteurs public et privé est nécessairement conflictuelle, puisqu'il y a lutte pour la prédominance dans l'économie, mais elle suppose également une coopération, à travers leurs complémentarités et synergies, dont la raison d'être est de conduire l'ensemble vers des objectifs de progrès social. Plusieurs terrains sont ici en jeu : la passation des marchés publics, les contrats de sous-traitance, les services fournis par le public aux entreprises privées, notamment à travers les modalités tarifaires. Il s'agit à la fois de résister à la volonté de mainmise des grands groupes sur la gestion des entreprises publiques (ce qui implique de refuser les prises de participation croisées), mais aussi de concevoir des formes de coopération contraignantes pour la partie privée, à travers l'introduction de critères de création d'emplois, de développement de la recherche et de la formation. C'est pourquoi les accords de partenariat à long terme sans participation avec des garanties et des pénalités doivent être privilégiés.

C'est par exemple le cas pour les rapports à construire entre GDF et les fournisseurs de gaz (Sonatrach, Gazprom, Statoil, Total-Elf-Fina), où la conclusion de pactes stratégiques permettrait de garantir à la fois la sécurité d'approvisionnement et la stabilité des prix sur une longue période. C'est ce que propose le PCF depuis une décennie, avec les “pôles publics” de coopération qui peuvent être constitués dans chaque grand secteur industriel autour des entreprises publiques.

C'est sur des principes similaires que l'on peut aborder la dimension internationale du développement des entreprises publiques. Les besoins à satisfaire sont colossaux, notamment dans les pays du tiers-monde et ceux de l'est européen.

Face à cette exigence, le secteur public français a bien mieux à faire qu'à jouer les prédateurs. Le financement des grands projets d'équipement ou des dépenses de recherche-développement appelle le partage des ressources et des savoir-faire.

L'important est de veiller à ce que les formes d'alliance choisies préservent l'identité de chaque partenaire et permettent d'éviter la mainmise des marchés financiers. Ce qui suppose qu'elles portent sur des projets bien définis visant à développer l'accès des populations aux services. Plusieurs modalités de coopération avec les opérateurs étrangers concernés (qu'ils soient publics ou privés) peuvent être envisagées dans ce but, comme la création de filiales communes ou de groupements d'intérêts économiques.

Le secteur public doit retrouver un rôle de vitrine sociale, à travers la politique des salaires, d'emploi, de formation, de conditions de travail, ainsi que le développement de la citoyenneté à l'entreprise par le biais des garanties collectives et des statuts.

L'enjeu de la défense et du développement des statuts est de ne plus réduire l'être humain à sa seule force de travail et de lui permettre de gagner sa dignité de citoyen dans son activité professionnelle.

Il s'agit de définir un ensemble de droits et de devoirs fondant cette citoyenneté à l'entreprise et ses conditions d'exercice. L'objectif est de bâtir une relation de travail d'un nouveau type articulée sur les notions de liberté et de responsabilité, à l'inverse de la notion de subordination qui lie aujourd'hui le salarié à l'entreprise.

Pour cela, les statuts doivent être enrichis dans trois directions : commencer à concrétiser la mise en place d'une sécurité d'emploi et de formation pour tous pour répondre aux aspirations à changer de travail, à changer d'environnement ou de région ; les possibilités de mutation sur la base du volontariat d'une administration ou d'une entreprise à une autre pourraient ainsi être étendues, avec la reconnaissance d'un véritable droit à la formation continue ; être un outil de partage du pouvoir dans l'entreprise et de promotion de l'intervention des salariés dans les gestions ; ceci concerne les choix d'orientation à tous les niveaux, les décisions d'organisation (et donc les restructurations), les procédures de management (notamment les recrutements, les nominations, les promotions) ; garantir une réelle liberté aux personnels en incluant en particulier des dispositions sur le droit d'expression, le droit au débat contradictoire et le droit au retrait.

Enfin, une véritable appropriation sociale des entreprises publiques implique une réforme de leurs Conseils d'administration, pour y confier le pouvoir aux usagers, aux salariés, aux élus, avec un tiers des sièges pour chaque composante.

C'est en étant porteurs de cette conception renouvelée du secteur public que nous revendiquons pour celui-ci une place étendue. Dans les grands services publics en réseau, faire prévaloir une alternative aux oligopoles privés sur le plan économique et social, cela implique en effet l'existence d'un opérateur public. Ceci nous amène à proposer des réappropriations publiques et sociales d'un nouveau type (au premier rang desquelles figurent France Télécom, Air France, le Crédit Lyonnais, les sociétés autoroutières), ainsi que la création d'un tel opérateur dans deux domaines cruciaux en raison des enjeux qu'ils portent aux plans national et international : l'eau et le traitement des déchets par la nationalisation démocratique de Véolia environnement ; le médicament par la nationalisation de Sanofi-Aventis.

Au-delà, dans un certain nombre de secteurs, est posé le besoin de création de pôles publics avec un réseau d'entreprises agissant en partenariat : la communication et l'audiovisuel, les transports de voyageurs, la gestion de l'eau et des déchets, le crédit et les institutions financières.

Mettre en place de nouveaux financements

Donner aux services publics un rôle moteur dans la transformation de la société suppose qu'une partie plus importante des richesses produites leur soit réallouée.

Le rôle de l'État est ici essentiel, mais des changements d'orientation majeurs sont nécessaires : une réforme de la fiscalité frappant les revenus spéculatifs et les grandes fortunes, à l'opposé d'une baisse des impôts qui profite essentiellement aux plus riches et qui a pour corollaire la dégradation des services publics ; le desserrement des contraintes qui pèsent sur le budget national, en premier lieu l'abandon du corset que constitue le pacte de stabilité européen conçu pour les seuls intérêts des marchés financiers ; l'inversion des priorités au bénéfice des dépenses sociales.

Ces trois réformes permettraient de dégager des ressources nouvelles pour une augmentation significative des budgets publics.

On peut envisager également des prélèvements spécifiques, gérés directement par les autorités de tutelle des services comme c'est déjà le cas dans les transports urbains franciliens : les entreprises participent au financement des infrastructures et de l'exploitation à travers le “versement transport” et la prise en charge d'une partie du coût de la Carte orange. Les bénéficiaires réels des réseaux que sont les grands centres commerciaux ou les promoteurs immobiliers pourraient de même être mis à contribution.

Même en considérant ainsi que le budget de l'État et le financement public devront se développer davantage, donc en réaffirmant qu'il n'est pas malsain pour un pays moderne de développer les prélèvements obligatoires, il reste nécessaire de trouver de nouvelles sources de financement.

C'est le but de notre proposition de création d'un pôle public rassemblant les banques et institutions publiques et semi-publiques, à but non lucratif, à vocation mutualiste ou coopérative (Caisse des dépôts et consignations, Caisses d'épargne, services financiers de la Poste, BDPME, CNP, Crédit foncier…), auxquels il convient d'ajouter le Crédit Lyonnais, qui doit redevenir une banque publique.

La mission de ce pôle serait de mettre le crédit au service de l'emploi, de la formation et du développement technologique par le biais de prêts à moyen et long terme accordés à des projets d'investissements avec des taux bonifiés en fonction de leur contribution à la création d'emplois et à la croissance réelle de l'économie. Le principe général de “sélectivité des taux d'intérêt” favoriserait les entreprises créatrices d'emplois, développant recherche et formation, en pénalisant au contraire celles qui suppriment des emplois, délocalisent, choisissent les investissements financiers et les OPA. Un Fonds national décentralisé placé sous le contrôle des salariés, des populations et de leurs élus serait chargé de la distribution de ces crédits.

Cette formule ne serait bien sûr pas réservée aux seules entreprises publiques, mais celles-ci pourraient faire la preuve de leur supériorité sur le privé dans la réponse aux critères requis, faisant par la même la démonstration de l'efficacité de telles incitations.

Le pôle public bancaire et financier pourrait également proposer des solutions de financement aux entreprises publiques et notamment réduire leur endettement par des apports de capitaux. Dans ce cas précis, l'entrée au capital des entreprises publiques devient un des moyens, avec la propriété publique, d'une véritable maîtrise publique. Les titres de propriété correspondants pourraient dans ce cas ne pas entraîner la participation aux Conseils d'administration et bénéficier en contrepartie d'un cautionnement des emprunts par l'État et les collectivités territoriales. Cette solution permettrait dans l'immédiat de résoudre le problème de l'apurement de la dette de France Télécom et de l'ensemble SNCF-RFF.

Ces réflexions sur une autre utilisation du crédit ne concernent pas que la France.

La Banque centrale européenne, en particulier, a un rôle majeur à jouer dans le financement des projets européens de développement des services publics. Ce qui suppose à la fois une réorientation totale de ses priorités aujourd'hui exclusivement tournées vers les besoins des marchés financiers et un changement de son statut pour la placer sous le contrôle du Parlement européen.

La même réflexion vaut pour la Banque mondiale et la création monétaire qu'elle pourrait impulser pour financer un programme international de grands projets d'équipements en matière de services publics.

Créer de nouveaux services publics

Il n'y a pas de développement possible des territoires sans services publics. De ce constat naît le besoin d'engager un vaste plan de reconquête du territoire avec des services de proximité (poste, hôpital, etc.).

Ce plan doit porter prioritairement sur l'équipement des quartiers populaires des grandes villes et les zones rurales touchées par la désertification. Il doit intégrer le développement de nouveaux services correspondant aux besoins d'aujourd'hui : extension des missions des services existants, mise en place d'un service public du logement, d'un service public du crédit, de services à la personne pour les personnes âgées et 20 les personnes handicapées, notamment.

Propositions pour des services publics étendus et démocratisés