Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pour une proposition de loi de sécurisation de l'emploi et de la formation

le 13 November 2006

Economie et Politique présente une contribution de Paul Boccara rédigée à partir de son intervention dans une rencontre pour la préparation d'Assises régionales et nationale pour sécuriser l'emploi et la formation. Il s'agit d'une liste de problèmes, propositions et points de travail pour le débat et l'élaboration d'un avant-projet de loi de sécurisation de l'emploi et de la formation.

Sommaire Visée et méthode LES PRINCIPES D'UNE CONSTRUCTI CONTRAT DE TRAVAIL ET AFFILIAT UN SERVICE PUBLIC ET SOCIAL ENTREPRISES ET SECURISATION Visée et méthode

1- Visée

L'avant-projet de proposition de loi, c'est pour la sécurisation de l'emploi et de la formation. Ce n'est pas tout de suite un projet établissant un système de sécurité d'emploi ou de formation.

Il faut parler de sécurité d'emploi ou de formation car c'est l'horizon. Mais croire que l'on peut faire un système de sécurité d'emploi de formation tout de suite avec une loi n'est pas sérieux. Cependant, sans un projet radical qui animerait les propositions de sécurisation, nous serions comme ceux qui parlent de sécurisation des parcours professionnels (PS et autres) et tendent à dériver vers un accompagnement social de la précarisation, alors qu'il faut construire cette radicalité de la SEF graduellement. A propos de la radicalité de l'horizon, dans le projet de sécurité d'emploi ou de formation, il y a la perspective d'aller au-delà du salariat avec une rotation entre emploi et formation de sécurisation et de promotion des activités pour chacun-e.

Le salariat c'est le fait que le travail est une marchandise, achetable ou non, dans le capitalisme. Mais aujourd'hui c'est pire que jamais avec la précarisation et les salariés kleenex. D'un autre côté, il y a le défi radical de la formation continue et de la possibilité de création de soi-même à l'opposé de l'instrumentalisation. Ou encore dans mon livre sur la sécurité d'emploi ou de formation, je précise la possibilité d'activités sociales utiles outre l'emploi et la formation proprement dits, à propos de la rotation entre activités sécurisées.

2- Méthode

On peut faire un texte tout ficelé et rédigé. C'est une méthode.

Mais je préfère une autre : celle de lister les problèmes à résoudre et de suggérer des solutions à discuter et à finaliser.

Lister une série de points nodaux sur lesquels il faut une élaboration juridique et consulter, débattre avec le mouvement social et citoyen. Cela peut structurer les Assises pour la sécurisation de l'emploi et de la formation. Car il y a bien plus de problèmes à résoudre que de solutions acquises.

Déjà lister précisément les problèmes pour commencer à y répondre, c'est une grande chose. Ce serait des points à débattre pour le projet et aussi pour les luttes. On doit partir des institutions, lois et conventions existantes, mais également des tentatives passées et des projets alternatifs. Il faudra sans doute des compromis et des ententes avec d'autres, mais aussi des critiques et des exigences d'audace radicale.

Cela peut concerner la sécurité sociale professionnelle de la CGT, la sécurisation des parcours professionnels, formule qui monte de tous les côtés ou encore des propositions comme celles du PS. Par exemple dans le livre d'un collectif du PS dirigé par Elisabeth Guigou publié en 2005 « Pour une sécurité des parcours professionnels », il faut voir la contradiction entre des formules qui semblent reprendre les nôtres et le contenu extrêmement faible. On y avance la formule : « doter chaque Français d'une Garantie Personnalisée Emploi Formation ».

Qu'est-ce qu'il y a derrière ? Seulement un petit droit de tirage pour la formation, plus des bilans et accompagnements. Cependant le public concerné par cette garantie va bien plus loin qu'une convention qui concernerait 20 % des emplois dans les entreprises comme cela a pu être proposé par ailleurs. Elisabeth Guigou dit que chaque Français doit être concerné, moi je propose chaque résident-e, y compris les immigrés, mais avec un contenu avançant réellement vers une sécurité de promotion de chacune et chacun.

3 - Structure des propositions.

On peut proposer cinq grands ensembles, pour peut-être cinq titres de la proposition de loi. Il faut un cadre simple et robuste fondamental, avec éventuellement des compléments sous forme d'annexes. Mais on ne pourra pas traiter tous les problèmes d'une autre croissance pour l'emploi par la loi.

LES PRINCIPES D'UNE CONSTRUCTION DEMOCRATIQUE D'UNE SECURISATION DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION

Il faut énoncer des principes nouveaux.

1 - Sécuriser = Aller vers un système de sécurité avec des rotations entre emploi et formation qui fait qu'on assure une sécurité de promotion des activités, et cela graduellement jusqu'à chacun.

2 - Une expansion considérable de la formation, pas seulement pour les chômeurs mais aussi pour les gens qui sont déjà en emploi (et qui laissent la place à d'autres quand ils vont en formation en attendant de revenir dans l'entreprise ou le service).

3 - Avancer graduellement : avec la suppression de choses existantes (CNE, etc.), la transformation de choses existantes (contrats précaires, etc.) et la création d'autres choses (autres contrats, institutions et moyens, etc.).

4 - La proposition de Conférences nationales : avec la participation démocratique des syndicats, des associations, des élus, outre les représentants des entreprises, des institutions financières, des services publics de l'emploi et de la formation. Après une première grande Conférence nationale pour mettre au point le projet de loi, il s'agirait de Conférences annuelles. Il y aurait donc des Conférences nationales annuelles régulières, précédées de Conférences régionales. Pourquoi ? Pour transformer graduellement les situations et progresser. Elles feraient le bilan des situations régionales et nationales. Elles feraient des propositions de conversion de ce qui existe, par exemple d'emplois précaires devenant emplois stables, de chômeurs entrant en emplois, de création d'emplois et de formation, avec des engagements annuels chiffrés, d'améliorations des procédures et des institutions. Elles fixeraient encore des relèvements annuels : de la durée des droits de formation minima pour chacun, des revenus minima, etc. Afin d'avancer dans la sécurisation.

5 - Incitations et obligations. Les deux sont nécessaires, avec de nouveaux droits et moyens financiers, pour transformer et aussi créer avec des objectifs sociaux nouveaux, dans les entreprises et les services.

6 – Les engagements chiffrés annuels et le « reste » : Outre ce qui aura été obtenu par les incitations et les obligations, il y a éventuellement la question du « reste » par rapport aux engagements chiffrés. Il faudra voir comment l'Etat et les services publics peuvent contribuer à combler ce « reste » pour atteindre les objectifs chiffrés avec des créations d'emplois et de formations publiques. Tenir les engagements de créations chiffrés, cela concerne aussi l'organisation des conditions des luttes dans le privé.

7 - Dans ce premier titre on annoncerait les autres titres structurant le projet.

CONTRAT DE TRAVAIL ET AFFILIATION A UN SYSTEME OU UN SERVICE DE SECURISATION

On ne va pas supprimer le contrat de travail, mais le sécuriser de plus en plus. Il faut traiter les trois moments de la sécurisation (de l'entrée des jeunes dans l'emploi, des parcours professionnels, des fins de vie active) les trois privations d'emploi (chômeurs, précaires, menacés de licenciement), les trois discriminations (femmes, personnes issues de l'immigration, âgés ou jeunes) Outre les contrats, il y a aussi les conventions et encore la question de l'affiliation à une institution de sécurisation.

1 - Il s'agit d'abord de la transformation des contrats existants : renforcement des CDI, procédure de transformations des divers emplois précaires, CDD, intérim, temps partiels contraints, contrats aidés, etc. Procédures contre les discriminations et discriminations positives.

2 - Il s'agit aussi de créations : par exemple des contrats d'entrée sécurisée des jeunes dans emploi avec un volet formation, et là-dedans divers cas (étudiants, jeunes sans qualification, etc.). Ou encore, des contrats de pluri-activités pouvant se poursuivre entre plusieurs entreprises ou services, qui permettent de passer d'une entreprise à une autre entreprise ou à une formation pour revenir à l'emploi .

3 - Encadrement d'une négociation de transformation des conventions sur l'indemnisation des chômeurs pour une amélioration substantielle des indemnisations, du public couvert, des conditions du retour à l'emploi.

4 - Articulation de la réduction du temps de travail à la création d'emplois, sans abaissement des salaires mensuels.

5 - Conditions de remplacement des départs en retraite pour de nouveaux emplois.

6 - Articulation aux problèmes des salaires.

7 - Affiliation de chacun à une institution de sécurisation qui résulterait du service public de l'emploi et de la formation refondu, démocratisé, étendu et socialisé : affiliation comme on est affilié à la sécurité sociale. Est-ce une inscription comme à l'ANPE ou une affiliation comme à la sécu ? Cela se discute. (tout le monde ne peut pas s'inscrire aujourd'hui à l'ANPE, mais tout le monde en principe est aujourd'hui affilié à la sécu). L'affiliation interviendrait dès que l'on sortira de la formation initiale. Elle entraînerait éventuellement : un droit à une formation continue minimum pour chacun, relevé graduellement, un droit à des bilans et à des aides éventuelles, un droit d'avoir son statut traité par des conversions et des créations chiffrées, des relèvements de revenus minima, dans les Conférences annuelles régionales et nationale. Etc. Avec cette affiliation on pourrait sans doute s'entendre avec d'autres sur la question d'un statut, sans le réduire au statut du salarié ou au statut de travailleur qui ne toucheraient pas aux statuts des services publics ou des entreprises. Cela serait peut-être un statut de sécurisation des actifs. On ne rejetterait pas ainsi le mot de statut car le reprendre serait un élément de rassemblement, mais en reliant ce statut à la sécurisation effective.

UN SERVICE PUBLIC ET SOCIAL DE SECURISATION PROFESSIONNELLE DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION

1 - Un service public et social : il ne s'agit pas seulement d'un service public parce qu'il y a aussi le problème des « partenaires sociaux » comme dans l'UNEDIC, et encore le rôle des syndicats et des associations, etc, à l'opposé, soit d'un service purement étatique, soit de négociations, non encadrées par la loi et non appuyées sur des institutions (On a d'ailleurs le défi de la convention Etat - UNEDIC - ANPE avec une annexe AFPA, celui des missions privées et des entreprises d'intérim, ou encore celui de la loi de 2004 sur la formation et le Droit individuel à la formation, avec des durées très faibles, des publics restreints et des rémunérations insuffisantes, etc.). Ce service public et social de sécurisation interviendrait aussi dans les entreprises ou encore dans les formations privées et associatives. Il s'agit à la fois d'un service public rénové où il y aurait toute la refonte de l'ANPE, de l'UNEDIC, des missions locales, etc, ainsi que leur articulation et coopération nouvelles, avec une approche de démocratisation à l'opposé de la construction autoritaire et restrictive des maisons de l'emploi. Mais il y aurait des développements très nouveaux concernant notamment la relation aux entreprises, aux syndicats et aux associations. Il y aurait encore une expansion considérable de la liaison à la formation continue concernant l'AFPA, l'éducation nationale, les formations associatives, les entreprises privées de formation etc..

2 - Articulation des missions du service social de sécurisation avec les Conférences régionales et nationale annuelles : leurs bilans, leurs propositions, leurs engagements chiffrés, etc..

3 - Problèmes et pouvoirs nouveaux d'encadrement pour le service de sécurisation : encadrement des négociations sociales, soutien des interventions des travailleurs dans les gestions des entreprises et des services publics, problème de l'arbitrage pour les propositions alternatives des salariés. Cet arbitrage ne relèverait pas simplement du service public, mais d'une institution sur laquelle il faudrait réfléchir : quel lien avec les comités régionaux de l'emploi et de la formation et avec les élus ? Quelles relations avec une éventuelle Cour sociale spécialisée comme aux Pays-Bas ? Quels aspects paritaires comme aux prud'hommes ? Etc.

4 - Eléments sur la perspectives d'évolution de cette institution de sécurisation : avancées de ses relations avec d'autres gestions des entreprises et des services publics, notamment pour des rotations formation/emploi de plus en plus systématiques et généralisées.

ENTREPRISES ET SECURISATION : INCITATIONS ET OBLIGATIONS

1 - Dans les entreprises, des obligations et des incitations de sécurisation seraient introduites. Par exemple obligations de pourcentage d'emploi de jeunes, obligations positives et non seulement sanctions contre les discriminations. Obligations de transformations pour la précarité, etc. Incitations à des gestion d'efficacité sociale, à des propositions alternatives des salariés, à des coopérations.

2 - Nouveaux développements des prélèvements sur les entreprises : pour la formation, pour une modulation des prélèvements pénalisant la précarité, etc..

3 - Mesures sur les licenciements, reclassements, délocalisations, restructurations avec des pouvoirs de propositions alternatives des salariés et de leurs organisations, des comités d'entreprise, y compris en amont des difficultés, sur les gestions prévisionnelles des emplois, etc. ..en liaison avec des arbitrages.

4 - Conditions de prise en compte des engagements chiffrés des conférences régionales et nationale.

5 - Organisation de groupements d'entreprises et avec des institutions de formation pour la sécurisation dans les bassins et les branches : coopération et mutualisation.

6 - Avancées vers une autre croissance industrielle et des services : favorisant, avec la formation et la qualification, la participation des salariés à la gestion, à la recherche, etc..

MOYENS FINANCIERS DE LA SECURISATION DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION :

Cela concerne les fonds publics, les fonds du crédit et les fonds des entreprises.

1 - Fonds publics : Contrôle et conversions de fonds publics pour l'emploi et la formation. Cela ne vise pas seulement les 23 milliards d'euros de fonds publics pour les exonérations des cotisations sociales patronales, favorisant la baisse des « coûts salariaux » contre tous les salaires et donc contre la demande et l'emploi. On pourrait les convertir en un Fonds national de prise en charge des taux d'intérêt pour des crédits aux investissements à des taux très abaissés, voire zéro, d'autant plus que de l'emploi est programmé. On mobiliserait ainsi des centaines de milliards de crédits à taux très abaissés. Cela concerne aussi la conversion des fonds publics gâchés pour financer des emplois précaires de type contrats aidés, à transformer en emplois stables. Les fonds pour les minima sociaux de revenu. Les fonds publics pour la formation et encore d'autres fonds locaux, régionaux et européens.

2 - Crédit, création monétaire, banque : Instituer des Fonds régionaux et un Fonds national public de sécurisation de l'emploi et de la formation pour la prise en charge des taux d'intérêt et pour de nouvelles relations des entreprises aux banques et au crédit. Articulations à un éventuel pôle public financier ; à un éventuel autre rôle de la Banque centrale européenne, par son refinancement des banques.

3 - Prélèvements sociaux sur les entreprises : nouvelles bases des cotisations, relèvement des prélèvements pour la formation (aux côtés des dépenses publiques de formation) etc.

4 - Financement de l'indemnisation et du retour à l'emploi de tous les chômeurs. Conditions d'encadrement des négociations pour le relèvement des cotisations chômage et des indemnités, relèvement des allocations publiques (Allocation de solidarité spécifique) et leur introduction dans un système d'ensemble de l'indemnisation, en liaison avec le traitement de la sécurisation des revenus. Il ne s'agit pas de laisser ces questions du retour à l'emploi au MEDEF et à la droite, mais de s'opposer à la fois au workfare (contrainte à accepter n'importe quel emploi à n'importe quelle condition) et aussi aux exclusions, pour un retour à l'emploi choisi avec des des financements des formations et des revenus relevés, en taux et en publics couverts .

5 - Transformation du financement du RMI ; avec une refonte d'ensemble pour une sécurisation de l'insertion.

6 - Incitations à l'avancée de critères d'efficacité sociale dans les entreprises, fondés sur le développement des capacités humaines et des propositions alternatives des salariés, appuyées sur un autre crédit, une autre fiscalité.

7 - Perspective de l'articulation à la transformation de tout le système de financement public et privé : pour favoriser la sécurisation et la promotion des activités et des revenus de chacun. On devrait pouvoir sur ces cinq ensembles reprendre et préciser la série de questions à résoudre et les suggestions de réponse en travaillant avec des juristes ainsi que des élus et des participants du mouvement social (syndicalistes, associatifs, politiques) pour apporter des réponses possibles et viables à soumettre au débat démocratique.

Source :ECONOMIE ET POLITIQUE 624-625 JUILLET-AOUT 2006