Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Vous proposez de continuer à satisfaire les marchés en imposant toujours plus d'austérité aux peuples européens

Madame la ministre, monsieur le ministre, comme nous sommes non pas au conseil d’administration de l’entreprise France mais au Parlement, je dirai ce que nous pensons de votre programme de stabilité sur le plan politique !

Il est question du programme de stabilité, mais encore faudrait-il s’accorder sur le diagnostic ! L’Europe est malade, profondément en crise. Elle est malade des politiques ultralibérales menées depuis des années et de leurs conséquences pour les peuples.

Les banques, les capitaux et les gros actionnaires, eux, se portent bien. Or ce que vous proposez, c’est de continuer à satisfaire les marchés en imposant toujours plus d’austérité aux peuples européens et toujours moins de solidarité à l’égard des peuples et des pays, par exemple de l’autre côté de la Méditerranée. Ce qui se passe aujourd’hui avec les migrants tunisiens est honteux. Au lieu de conjuguer efforts et moyens pour faire face à une immigration exceptionnelle, d’ailleurs limitée en nombre et sans doute provisoire, les gouvernements actuels, et donc l’Union européenne, font la démonstration qu’ils ne sont capables que de démagogie et d’irresponsabilité, puisqu’ils ne font que distiller la peur et le rejet, attitude dont les conséquences politiques sont, on le sait, de plus en plus inquiétantes. Madame, monsieur les ministres, vous nous présentez aujourd’hui, en sollicitant l’avis des groupes parlementaires, le projet de programme de stabilité européen, avant de le soumettre à la Commission européenne. Le document dont vous avez tracé les grandes lignes, également intitulé Programme national de réforme 2011-2013, vise à évaluer la conformité de nos politiques publiques avec le « pacte de compétitivité » franco-allemand et autre « pacte pour l’euro ». Or la discussion que nous avons ce soir anticipe sur une disposition du projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques, qui a été déposé devant l’Assemblée nationale et sera examiné très prochainement. Cette disposition prévoit en effet que le Parlement peut préalablement donner son avis sur le contenu dudit programme. Notre débat n’a pourtant que les apparences de la démocratie. En réalité, cette nouvelle façon de procéder, qui consiste à discuter dès maintenant des grandes orientations budgétaires et sociales du Gouvernement afin d’obtenir le feu vert de la Commission, a pour seul objectif de faire cautionner par le Parlement l’abandon de notre souveraineté nationale en matière de politique économique et sociale. Cela figure clairement dans les conclusions du dernier Conseil européen des 24 et 25 mars dernier, dont je cite un passage : « Dans le cadre de la mise en œuvre de ces politiques et pour obtenir une large adhésion à ce processus […], les parlements nationaux, les partenaires sociaux, les régions et d’autres parties prenantes y seront pleinement associés. » Fort bien ! Cette nouvelle pratique découle directement de graves décisions prises lors du Conseil européen des 24 et 25 mars, décisions qui ont d’ailleurs été totalement éclipsées par la situation en Libye. Désormais, en Europe, chaque gouvernement sera tenu de soumettre son budget dès le mois d’avril aux membres de la Commission, à charge pour ceux-ci de proposer des « recommandations » que les parlements nationaux seront fortement incités à suivre avant le vote de leurs propres budgets. Un pays qui ne respecterait pas cette discipline budgétaire aveugle s’exposerait alors à des sanctions financières. En outre, chaque pays sera tenu d’inscrire dans sa législation nationale le plafond de déficit public à ne pas dépasser. C’est pour cette raison que vous prévoyez de graver l’interdiction des déficits publics dans le marbre de la Constitution. C’est une piètre parade, vous l’avouerez, pour empêcher toute alternative à votre politique. D’un commun accord entre les gouvernements européens, la Commission s’est ainsi vu attribuer le pouvoir exorbitant d’examiner les projets budgétaires nationaux pluriannuels selon les seuls critères de l’équilibre financier et de la lutte contre les déficits publics, qui sont, avec la libre concurrence, les principaux piliers du dogme libéral. C’est, une fois de plus, un grave abandon de souveraineté et un déni de démocratie. Cette réunion du Conseil européen a marqué un inquiétant tournant dans l’histoire de la construction européenne. Il s’agit d’un pas de plus vers une Europe fédérale à direction autoritaire, toujours plus imprégnée d’idéologie ultralibérale. On peut même considérer que, le 25 mars dernier, l’Europe a subrepticement changé de projet, et cela en pleine opacité. En effet, en adoptant ce qu’il est convenu d’appeler le « pacte pour l’euro », les dirigeants européens ont mis sur pied une politique qui vise à contraindre leurs gouvernements respectifs à prendre des mesures antisociales, que ce soit en matière de politique salariale, avec la suppression du principe d’indexation des salaires sur les prix et avec la précarisation organisée des salariés par la « flexsécurité », ou bien encore en matière de réduction des allocations chômage. On voit poindre de nouvelles réductions des retraites au moyen de l’allongement de la durée de cotisations et du recul mécanique de l’âge de départ. En cette « année charnière », le contre-feu du Président de la République, qui a sorti de son chapeau une prime inégalitaire et aux contours encore mal définis pour les salariés des entreprises qui augmentent les dividendes versés à leurs actionnaires, ne peut faire illusion. Ce que vivent les salariés, ce sont le blocage des salaires, par exemple ceux des fonctionnaires, ou l’augmentation a minima du SMIC, alors que le prix des produits courants indispensables augmente de façon inquiétante. Toutes ces mesures sont liées, cohérentes ; elles font partie d’un même ensemble, car votre politique est conforme aux divers « pactes » et autres plans d’austérité concoctés avec la chancelière allemande lors des derniers conseils européens. Ces « pactes » sont présentés comme étant la seule solution pour faire face à la crise financière dont la financiarisation de l’économie est responsable et dont les salariés font les frais, en particulier ceux des pays débiteurs, qui supporteront le coût des prêts irresponsables consentis aux banques par les États créanciers. M. Mario Draghi, pressenti pour présider la BCE, ancien vice-président de la Banque Goldman Sachs, particulièrement impliquée dans la crise de 2008, est bien placé pour le savoir ! C’est socialement injuste et totalement contraire à la défense de l’intérêt général dont se prévalent volontiers nos démocraties européennes. La religion qui inspire les mesures de votre programme de « stabilité et de croissance » – pour ma part, je préfère d’ailleurs employer le mot « austérité » – repose sur l’hypothétique amélioration de notre compétitivité économique. C’est un profond changement avec la conception fondée sur le développement par le progrès qui était, en 2000, celle de l’agenda de Lisbonne. Aujourd’hui, il n’est plus question d’objectifs concrets de progrès, qu’ils soient économique, social ou culturel. Seul compte l’impératif de la compétitivité fondée sur les seuls critères de rentabilité ! Ces « pactes » rendent sceptiques les peuples d’Europe et suscitent souvent de fortes oppositions, comme l’a encore démontré la récente euromanifestation de Budapest. Les populations sont lucides. Elles comprennent que ces mauvaises réponses à la crise financière abaisseront leur niveau de vie, creuseront les inégalités, développeront le travail précaire et, au total, accentueront la mise en concurrence des salariés des différents pays. Mais n’est-ce pas le but ici ? Outre l’injustice sociale qu’il porte en lui, le programme de stabilité que vous nous avez présenté sera à coup sûr économiquement inefficace : inefficace, car contraire à la croissance de l’économie. En effet, les règles qu’il pose en matière de fixation des salaires, qui traduisent votre refus d’augmenter le pouvoir d’achat, ne peuvent que brider la croissance. En nous proposant ces mesures, vous vous alignez sans sourciller sur les désastreuses politiques conduites depuis dix ans par la Commission et par la Banque centrale européenne. J’en ai dénoncé les conséquences économiques et sociales, que nous vivons tous les jours, mais, en matière de croissance dans la zone euro, le résultat par rapport à d’autres régions du monde est tout aussi calamiteux. Or voici maintenant que trois pays de cette zone sont au bord d’une faillite qui risque de s’étendre à d’autres pays plus importants ! Le plan de sauvetage de la Grèce ne fonctionne pas et le Portugal vient d’être sommé, par des marchés financiers qui refusent de prendre des risques, de se tourner vers l’Europe et le FMI. Au lieu de vous interroger face à cette situation angoissante et d’examiner s’il ne conviendrait pas de changer radicalement l’orientation de la politique monétaire et de la politique budgétaire, vous persistez et suivez docilement la Commission et la Banque centrale européenne, lesquelles ne veulent pas remettre en cause des principes qui ont largement contribué à la crise. Enfin, avec les instruments permettant d’imposer l’austérité dont il s’est doté, le dernier Conseil a en définitive décidé, en catimini, d’aller au-delà du traité de Lisbonne en modifiant celui-ci par révision simplifiée, c’est-à-dire sans consultation des parlements nationaux non plus que des citoyens. Votre programme de stabilité n’est que la déclinaison française de décisions prises ailleurs, décisions qui appauvrissent les peuples et accentuent leur défiance à l’égard de la politique et des institutions européennes. Comme viennent à nouveau de le montrer les élections en Finlande, ces décisions risquent aussi de jeter les citoyens européens dans les bras des eurosceptiques et de l’extrême droite. Pour notre part, nous prônons un autre projet, une autre logique. Je n’évoquerai qu’une mesure, qui me paraît aujourd’hui particulièrement intéressante : la création d’un fonds européen de développement social destiné à financer, à taux très bas ou nuls, des investissements publics créateurs d’emplois et tendant à développer la formation, la recherche, les services publics, les infrastructures et des réalisations en matière d’environnement. Pour se dégager de l’emprise étouffante des marchés financiers, ce fonds devrait pouvoir utiliser la BCE, qui a compétence pour créer de la monnaie, afin de lui éviter de se soumettre aux exigences spéculatives des investisseurs. Telles sont, madame, monsieur les ministres, les motivations profondes qui conduisent notre groupe à voter résolument contre ce projet de programme de stabilité que vous nous avez si brièvement présenté.     Projet de programme de stabilité transmis à la Commission européenne Par Nicole Borvo Cohen-Seat, Présidente du groupe CRC-SPG 27 avril 2011

 

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