Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Notre révolution

Cent ans après la révolution de 1917 et à quelques années de son propre centenaire, le PCF vient d’adopter une feuille de route fixant pour objectif à notre Congrès extraordinaire de « penser notre propre révolution, celle qui nous amènera à être « le Parti communiste dont la société française d’aujourd’hui a besoin ». Les chantiers de travail étant définis, l’enjeu est désormais de préciser les problèmes auxquels notre organisation est confrontée.

La principale révolution à conduire pour notre parti est de reconstituer sa capacité à faire vivre, en France et dans le monde, une voie communiste au xxie siècle en opposition à la voie capitaliste actuelle.

Cela suppose d’abord de rompre avec une posture défensive qui accrédite la rhétorique dominante de la disqualification du communisme par l’échec des régimes qui s’en sont réclamé. Cette posture défensive nous a aussi trop longtemps exonéré-e-s d’une véritable réflexion sur les mécanismes de luttes de classes au sein même du bloc soviétique. Cela nous obligera, enfin, à analyser en quoi ces régimes ont précisément trahi l’idée communiste. Dans le même élan, nous devons apprendre à anticiper les problèmes. Force est de constater que nous subissons les évolutions du capitalisme alors que la clé pour initier son dépassement est de les anticiper. Pour cela, nous devons approfondir notre analyse des contradictions de la phase actuelle de son développement qui vont s’exacerber dans les décennies à venir.

L’accumulation de richesses par une minorité – sans précédent dans l’histoire humaine comme en témoigne le fait que 8 individus possèdent autant que 3,5 milliards d’êtres humains – enraye la capacité du système à intégrer de nouveaux propriétaires. La promesse capitaliste de prospérité de chacun-e par la propriété privée va donc être de plus en plus contrariée par cette accumulation, rendant plus criante son incapacité à répondre aux besoins sociaux de l’immense majorité de l’humanité. Cette contradiction est d’autant plus exploitable que ces inégalités sont constatées à l’échelle mondiale mais également à une échelle nationale, dans un nombre grandissant d’États. La France, championne d’Europe de la distribution de dividendes, fait partie des pays où les inégalités progressent à très grande vitesse.

Deuxièmement, alors que 15 000 scientifiques issus de 184 pays viennent à nouveau de nous alerter, nous devons prendre la mesure de l’importance de la question écologique pour une voie communiste du xxie siècle. Le changement climatique qui menace à terme l’existence même de notre planète est le plus grand et le plus profond échec du développement capitaliste. L’opposition entre croissance capitaliste et survie de la planète est une contradiction extrêmement puissante car elle peut nous permettre de remettre en cause, au nom de l’intérêt général humain, le dogme de la rentabilité comme seul critère de production. L’irruption de la nécessité écologique de rompre avec ce mode de production s’ajoute ainsi à la démonstration frappante de la faillite sociale du système. De l’aiguisement de ces deux premières contradictions découle donc l’exigence conjointe d’imposer des critères sociaux et des critères écologiques à la production.

Une troisième contradiction majeure du capitalisme actuel tient au fait que l’utilisation capitaliste de la révolution informationnelle d’une part précarise le travail humain jusqu’au phénomène d’ubérisation et d’autre part accélère son incapacité à valoriser la force de travail alors même que c’est là aussi une promesse du capitalisme. Cette contradiction a donné lieu à de nombreuses analyses des économistes communistes dans cette revue et conduit à la proposition du dispositif de Sécurité emploi formation. J’insiste sur l’actualité et la pertinence de cette analyse à l’heure des récentes avancées de l’intelligence artificielle qui vont aggraver à grande vitesse cette contradiction dans les années à venir. Le chômage et la précarité vont concerner un nombre croissant d’individus jusqu’aux plus qualifiés. Cette contradiction met déjà au cœur du débat public la question du sens du travail et de l’épanouissement personnel. À nous de lier ces questionnements aux enjeux qui les déterminent : la question de l’utilisation des gains de productivité, des salaires, de la place du travail dans la société, de la formation à des métiers de plus en plus qualifiés et tant d’autres… afin de porter l’ambition d’une nouvelle civilisation du travail émancipé et du temps libéré par une extension de la logique de la sécurité sociale à la notion de travail.

Rendre crédible une voie communiste au xxie siècle nécessite la relance d’un nouvel internationalisme1 qui réactive la lutte de classes en actualisant les enjeux de la propriété des moyens de productions à la lumière de ces contradictions car, dans les décennies à venir, elles vont de plus en plus structurer le quotidien de millions de nos concitoyen-ne-s. En outre, les systèmes de domination que sont le patriarcat, le racisme et l’antisémitisme se renforçant avec le développement du capitalisme et le renforçant lui-même, cette réactivation de la lutte de classes doit s’accompagner de la relance de mouvements féministes, de lutte contre le racisme et l’antisémitisme à l’échelle mondiale2.

Une fois cette ambition posée vient immédiatement la question de la stratégie révolutionnaire qui l’accompagne. Cette question stratégique est d’autant plus incontournable qu’aucun mouvement ces dernières décennies à l’échelle mondiale n’a permis une inversion significative du rapport de force. Aucun mouvement, des fronts de forces politiques comme le Front de gauche, Podemos ou la France insoumise, des mouvements citoyens comme « Occupy Wall Street » ou « Nuit debout » jusqu’aux mouvements qualifiés de révolutions, ceux du printemps arabe, n’a permis de déboucher sur des avancées idéologiques et sociales majeures. Tout porte à croire que l’échec de ces mouvements vient de la faiblesse d’une intervention populaire durable, consciente de ses intérêts communs.

Aussi, la deuxième révolution que le PCF doit engager est celle du développement d’une conscience de classe dans les nouvelles conditions du marché du travail en France.

Depuis une trentaine d’années, nous avons progressivement cessé de considérer la classe ouvrière comme l’agent révolutionnaire unique, principalement devant la diminution de son poids dans la population active et de sa fragmentation affaiblissant sa conscience de classe. Or, cela pose d’importants problèmes. D’une part, cela nous a conduits à l’effacer quasi totalement de notre discours, contribuant ainsi à l’invisibilité politique à laquelle le capitalisme la condamne. D’autre part, nous n’avons pas théorisé qui étaient, avec elle, les autres agents révolutionnaires disponibles et comment travailler à leur unité.

Le salariat représentant l’immense majorité de la population active (88 %) et l’affaiblissement de la classe ouvrière s’étant principalement traduit par une montée d’autres catégories de salarié-e-s, on doit se demander à quelles conditions tout ou partie du salariat peut être une classe révolutionnaire. Regardons rapidement le tableau d’ensemble. On peut distinguer en son sein : un salariat subalterne, partageant des tâches usantes et une organisation subie du temps de travail dans les usines, les bureaux, les magasins ou les domiciles des particuliers, qui subit un chômage de masse et une précarisation multiforme, composé de 21 % d’ouvrier-ère-s, 27 % d’employé.e.s (14 millions de personnes en tout) ; un salariat intermédiaire, c’est-à-dire les catégories intermédiaires qui représentent 24 % de tout le salariat (7 millions), 15 % de cadres et professions intellectuelles supérieures salariées (4 millions). En approfondissant l’analyse, on se rend compte que ce découpage en lui-même mérite débat car il y a des inégalités internes à chacune de ces trois catégories d’autant plus intéressantes qu’elles peuvent permettre un rapprochement entre elles. Le discours généraliste actuel du PCF ne permet pas de s’adresser à ces salarié.e.s et encore moins de les unir. Un exemple : 76 % des employés, plus de cinq millions donc, sont des femmes et notre adresse politique en leur direction se fait principalement au masculin. Elles partagent en outre avec un million d’ouvrières bas salaires, intrication du travail domestique et salarié, temps partiel subi, carrières incomplètes, harcèlement au travail mais nous traitons rarement de ces situations concrètes qui en l’occurrence constituent un facteur d’unité de ces femmes aux métiers différents. Enfin, malgré le poids écrasant du salariat, notre analyse ne devrait pas totalement s’y limiter car le nombre de petits indépendant.e.s « ubérisé.e.s » progresse et des rapprochements existent entre leur condition et celle du salariat subalterne.

Voilà de quoi nous devrions parler prioritairement lorsque nous parlons de stratégie de rassemblement. Or aujourd’hui, dans la parole publique comme dans notre débat interne au PCF, on confond régulièrement stratégie de rassemblement et tactique d’alliances électorales. Tous les rassemblements nationaux que nous avons tentés ces dernières années jusqu’à ceux de la dernière séquence électorale ont pâti du manque d’intervention des travailleurs-euses et de la conscience de leurs intérêts communs.

Ces deux révolutions me paraissent essentielles pour atteindre nos objectifs politiques. Elles en appellent une troisième qui sera également au cœur de notre congrès, celle de notre organisation, qui mériterait à elle seule un article, et dont l’un des enjeux à ne pas sousestimer sera d’être plus efficace dans notre intervention sur les lieux de travail. 

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1. L’affirmation de la nécessité d’un nouvel internationalisme demande un long développement impossible ici mais constatons simplement que toute tentative de cantonner la voie communiste au cadre national perd immédiatement en crédibilité devant le caractère mondialisé du capitalisme.

2. Il est à noter que le mouvement le plus fort de l’année 2017 est probablement le mouvement féministe initié par la Women’s March suite à l’élection de Trump, les mouvements de femmes en Asie et en Amérique latine, et le récent mouvement découlant de l’affaire Weinstein.

 

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