Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Appel de Iéna : Contre les ordonnances Macron, un autre agenda pour l’emploi et le Code du travail

(719 signataires au 6 décembre)

Militants syndicaux, associatifs, politiques, ou intellectuels d’horizons divers veulent ouvrir un débat social et citoyen pour un projet alternatif allant vers une véritable sécurisation de l’emploi et de la formation. En l’état, les ordonnances du gouvernement contiennent surtout les éléments d’une flexibilité accrue du marché du travail au détriment des salariés, de l’emploi, du plus grand nombre et des PME. Elles ne portent pas sur les sujets nécessaires.

Le diagnostic qui sous-tend les ordonnances est erroné. Dans un contexte de globalisation, de financiarisation et de mutations technologiques, nous récusons l’idée selon laquelle, face à la persistance d’un chômage de masse, la solution consisterait à « restaurer les mécanismes du marché » et à toujours plus marchandiser le travail : faciliter les licenciements et exacerber la concurrence salariale et sociale, renforcer le pouvoir patronal, réduire le « dialogue social» à un tête-à-tête entre employeurs et salariés au niveau de l’« entreprise », inciter au dumping social. Tout cela pour poursuivre encore la baisse du « coût du travail ».

Il repose sur l’idée paradoxale que la lutte contre le chômage passerait par des licenciements plus faciles.

Les ordonnances du gouvernement Macron-Philippe considèrent les salariés comme des mineurs, des variables d’ajustement, et ne relèvent pas les défis de notre temps : précarité massive, nouvelles technologies où les capacités humaines créatives sont de plus en plus décisives, financiarisation, mondialisation changement climatique et urgence écologique, exigence de maîtrise du travail et de temps libéré.

Les ordonnances ne contiennent rien :

– sur les relations mortifères entre la finance et l’investissement, sauf de les renforcer en autorisant les licenciements en France dans les multinationales sans regarder leurs profits à l’étranger ;

– sur l’évaluation nécessaire de l’usage des fonds publics et des liquidités bancaires massivement versés aux entreprises ;

– sur la responsabilisation des grands groupes envers les PME/TPE ;

– sur la formation ;

– sur la responsabilité sociale et environnementale des multinationales à base française dans leurs transferts financiers ou productifs à l’étranger (paradis fiscaux, délocalisations, etc.) ;

– sur l’exercice par les salariés de pouvoirs réels sur la gestion des entreprises.

Nous pensons que ces ordonnances doivent être retirées ou très profondément modifiées. Les députés devraient les rejeter. C’est un tout autre agenda qui est nécessaire pour l’emploi et le travail.

L’ordre du jour que nous proposons :

Viser une sécurité réelle de l’emploi, organiser une maîtrise par les salariés de leurs mobilités, créer les moyens de consacrer des dépenses nouvelles au développement des capacités humaines, désintoxiquer les entreprises de la finance, créer de nouveaux pouvoirs des salariés et des populations sur l’utilisation des marges des entreprises et de leurs aides publiques, discuter d’une réduction importante du temps de travail. Nous voulons renforcer le pouvoir d’innovation économique et sociale des salariés au lieu de s’en remettre à des logiques financières, à la logique des actionnaires, en laissant le monopole du pouvoir aux dirigeants d’entreprises. Nous refusons de réduire l’entreprise à une société de capitaux cherchant leur rentabilité financière maximale. Bref, il s’agit de gagner de nouvelles libertés.

Cela permettrait aussi de relancer la demande et l’activité par l’investissement matériel mais aussi immatériel dans la formation, la protection sociale et dans une véritable transition écologique en France et avec nos partenaires européens.

Huit domaines devraient être discutés:

1. Renforcer les garanties et protections des salariés et travailleurs, tout particulièrement par l’instauration de contrats de travail vraiment sécurisés pour les salariés, et par des formules spécifiques pour les nouveaux entrants dans le monde du travail (jeunes, femmes inactives), pour les seniors, etc.

2. Une nouvelle articulation entre formation et emploi, visant à mettre fin à l’alternance entre travail (plus ou moins précaire) et chômage, qui touche en priorité les jeunes, les femmes et les seniors.

3. De nouveaux droits individuels et collectifs pour les salariés (formation, organisation du travail, pénibilité, licenciements, etc.) et les chômeurs (indemnisation, licenciement, protection sociale, accompagnement).

4. Une refonte profonde du service public de l’emploi pour lui faire jouer un nouveau rôle de sécurisation des revenus (salaire, allocation de formation…) et de l’emploi (accompagnement dans l’emploi et au-delà, appui à l’intervention économique des salariés…).

5. Une extension et une modulation des cotisations sociales en fonction de la politique d’emploi des entreprises, avec un bonus-malus significatif anti-licenciements et anti-contrats précaires.

6. Une réorientation de l’ensemble des « aides » actuelles pour baisser le coût du capital (dividendes, intérêts bancaires, accumulation financière…) au lieu de celui du travail.

7. Une réduction offensive du temps de travail assortie à la fois d’une autre politique d’embauche pour lutter contre le chômage et de la mise en place de droits des travailleurs concernés sur la définition de leur charge de travail, sur leur évaluation et sur les effectifs nécessaires.

8. La dévolution de moyens financiers nouveaux aux salariés et aux institutions représentatives du personnel, en lien avec les syndicats, à l’appui de droits nouveaux de propositions alternatives contre les licenciements, fermetures d’entreprises et sur la GPEC (gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences). Il faut tout particulièrement ouvrir un véritable droit de suivi des salariés sur l’utilisation des aides publiques voire de saisine du crédit bancaire, permettant un réel partage des pouvoirs sur les investissements et les décisions de production.

Le renforcement du rôle de suivi et d’interpellation des organisations syndicales et des représentants des salariés dans les entreprises irait de pair avec la création, dans les territoires ou au niveau des branches, de nouvelles institutions sociales faisant le lien entre les entreprises, l’argent à leur disposition, les territoires concernés, la sécurisation et la formation des salariés et des privés d’emploi.

Il devrait s’agir, en définitive, de viser à la fois une autre démocratie et une autre économie, le social pouvant devenir le moteur d’un nouveau type d’efficacité économique et écologique. L’enjeu est démocratique. Il est aussi d’inciter à une autre utilisation des moyens financiers (marges des entreprises, crédits bancaires) pour appuyer les investissements matériels et de R & D favorables à la création d’emplois, à leur sécurisation, à la réduction du temps de travail, à l’accroissement des qualifications, aux économies de matières, à de moindres pollutions et à la création de richesses dans les territoires, visant ainsi une nouvelle efficacité économique, sociale et écologique.

 

Initiateurs

Boccara Frédéric (économiste, CEPN-Université de Paris-Nord, membre du CESE et des Economistes atterrés) ; Baumgarten Christophe (avocat, barreau de Bobigny) ; Didry Claude (sociologue, CNRS-Centre Maurice Halbwachs, IDHES-ENS Cachan) ; Durand Denis (économiste, cadre retraité Banque de France, co-directeur Economie & Politique) ; Kirat Thierry (économiste, IRISSO-Paris-Dauphine) ; Méda Dominique (sociologue, Professeur, Paris-Dauphine IRISSO) ; Mills Catherine (maître de conférences honoraire Université Paris-Panthéon-Sorbonne, co-directrice Economie & Politique, économiste) ; Rauch Frédéric (rédacteur en chef d’Economie & Politique) ; Sweeney Morgan (juriste, Paris-Dauphine Institut Droit).

 

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