Le nouveau livre de Denis Durand, syndicaliste à la Banque de France, responsable de la commission économique du PCF, l’un des animateurs de notre revue, nous propose bien plus qu’un mode d’emploi technique de la bataille sur l’argent. Certes, l’auteur ne sous-estime pas le besoin de fournir ce qu’il appelle « une boîte à outils » aux acteurs sociaux et politiques, une sorte de discours de la méthode économique, social et politique. Mais il nous invite aussi à rechercher une cohérence économique, sociale, politique pour progresser vers une nouvelle civilisation.
Souvent, sur le terrain, les militants ne savent pas par quel bout aborder les questions de l’argent, d’autant que les directions d’entreprise, celles des banques et des institutions financières, les pouvoirs publics eux-mêmes ne se précipitent pas pour informer les salariés et les populations de son utilisation et des ressorts de sa maîtrise. Évidemment, du point de vue des dominants, des « assis » comme les qualifierait Rimbaud, pourquoi ouvriraient-ils le débat sur la question des questions, celle qui nous fait pénétrer au cœur du système capitaliste en France, en Europe et dans le monde, sur la question qui fâche, pour laquelle on se déchire et même l’on s’entre-tue de par le monde ?
Pour ceux qui en douteraient encore, Denis Durand montre dans les deux premières parties du livre que cette question de l’argent est à la fois « au cœur de l’actualité » et « un enjeu de pouvoir ». Elle se révèle et se cache dans l’actualité à la fois au travers d’affaires comme celle des paradis fiscaux, de l’évasion des capitaux et des fortunes, de sujets comme ceux de la dette, de la révolution numérique, des monnaies locales, de la nécessité ou pas du crédit… Elle est aussi un « enjeu de pouvoir ». À l’entreprise car rien ne sera possible de durable et de radical si le monopole patronal sur les gestions n’est pas mis en cause. Dans les banques car le crédit peut être une arme extraordinaire d’émancipation économique, sociale, politique et humaine s’il est accordé sur des critères favorisant l’emploi, la formation, la préservation de l’environnement. Dans la sphère publique, les ressources tirées des prélèvements effectués et la nature même de ces derniers pouvant jouer un rôle d’incitateur pour l’argent privé lui-même.
L’auteur n’en reste pas là, en dépit de l’importance de ces problématiques concrètes. Il a une ambition plus globale : à partir de ces enjeux locaux – on ne peut que partir de ce que les gens vivent pour agir avec eux – il s’agit de construire patiemment, progressivement une autre cohérence, opposée à celle du capitalisme financiarisé et mondialisé. Les « sept leviers » détaillés dans le livre permettraient effectivement de concilier la méthode et le sens dans la mesure où tous supposent que les salariés, les citoyens conquièrent des pouvoirs nouveaux aux différents niveaux afin de faire prévaloir « d’autres critères de gestion des entreprises et d’attribution des crédits bancaires, “du local au mondial”??. Cette question des pouvoirs, des moyens de transformer le r?el, et celle des crit?res, et donc de la vis?e, se r?v?lant comme le ciment de la coh?rence recherch?e.
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Une coh?rence nouvelle qui consisterait ? passer de la sollicitation de la banque du coin de la rue ? celle de l ». Cette question des pouvoirs, des moyens de transformer le réel, et celle des critères, et donc de la visée, se révélant comme le ciment de la cohérence recherchée.
Une cohérence régionale, nationale, européenne et – pourquoi pas ? – mondiale. Il s’agit d’entamer un changement de civilisation. Fortes de cette volonté de faire système tout en restant planté dans le réel et non dans le ciel des idées, « de multiples mobilisations sociales y trouveraient une efficacité nouvelle. Et l’indignation contre les méfaits de la finance, au lieu de demeurer impuissante ou de s’abandonner à l’exutoire des populismes, pourrait se transformer en engagement révolutionnaire, pour un dépassement du capitalisme jusqu’à son abolition et à la construction d’une civilisation nouvelle ».
Une cohérence nouvelle qui consisterait à passer de la sollicitation de la banque du coin de la rue à celle de l’ensemble du réseau bancaire français, privé et public français – avec un public appelé à grandir, à changer, à jouer un rôle pilote –, à l’engagement du système bancaire européen avec sa banque des banques, la Banque centrale européenne, jusqu’au Fonds monétaire international, le FMI, et à la Banque mondiale.
Cela d’autant que la crise du capitalisme, de ses institutions et de ses modes de régulation, particulièrement celle de la construction européenne, poussent cette dernière à sortir des terrains que l’on affirmait balisés. L’évolution des pratiques de la Banque centrale européenne est de ce point de vue des plus significatives. « Devant une crise d’une gravité insoupçonnée, celle-ci a dû, sous la pression des événements, faire évoluer sa doctrine et surtout sa pratique », note Denis Durand, « elle a ouvert un programme d’achats de titres publics sur le marché secondaire (une pratique autorisée par les traités mais que la BCE s’était interdite depuis sa création). Bien plus : les titres qu’elle a acquis étaient émis par des États (Italie, Portugal et même Grèce jusqu’à l’avènement du gouvernement Syriza) dont les marchés ne voulaient pas et qui étaient donc cotés comme hautement spéculatifs. Elle a été amenée à annoncer que ces achats pourraient être illimités en volume et dans le temps. Parallèlement, elle a énormément développé ses refinancements de créances publiques mais aussi privées. Elle a même pris conscience que ces refinancements doivent obéir à une certaine sélectivité .»
On peut ainsi commencer à changer le système en étant jusqu’à un certain point à l’intérieur du système, au cœur de ses contradictions. Une civilisation ancienne se fissure, se fracture, le nouveau est presque là, à portée de luttes. Il fait partie des possibles, l’ouvrage nous le fait savoir si l’on en doutait. zzz
Pierre Ivorra
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