Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Emploi, chômage, ordonnances Macron : l’occasion d’une clarification des alternatives à gauche

L’échec de la gauche lors de la précédente séquence électorale a montré l’insuffisance du débat sur ses alternatives. Les derniers chiffres de l’emploi et du chômage sont l’occasion de mettre de nouveau sur le tapis le débat sur ces alternatives en matière d’emploi et de chômage, d’en discuter les forces et les faiblesses. Et de montrer à quel niveau le curseur politique doit être poussé dans la bataille sur la réforme du marché du travail et de l’emploi.

Les chiffres de l’emploi : l’effet Jupiter ?

Les dernières livraisons de l’INSEE et de la Dares (ministère du Travail) sont formelles. Avec l’estimation d’une croissance à 1,6 % pour 2017, le chômage baisse et l’emploi augmente. Selon la Dares, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A inscrits à Pôle emploi a reculé de 0,8 % sur les 12 derniers mois (mai 2016 à mai 2017). Selon l’INSEE, ce mouvement se prolongerait au second semestre 2017, le taux de chômage (au sens du BIT cette fois) reculerait à 9,4 % fin de 2017, après avoir atteint 9,6 % au 1er trimestre 2017. Une évolution qui s’expliquerait par un dynamisme de la création d’emploi sur l’année. L’Institut prévoit que l’économie française générera 222 000 emplois en 2017. Soit 203 000 emplois marchands, un niveau équivalent à celui de 2016, et 17 000 emplois non marchands (contre 49 000 en 2016).

Faut-il y voir l’effet des foudres de Jupiter ? Certes non. La France a bénéficié l’an passé d’un « alignement des planètes » (prix du pétrole au plus bas, taux d’intérêt très bas, taux de change favorable), dans un contexte de légère reprise internationale qui tire l’économie française. Conjugués à une politique exclusivement tournée vers le soutien à la baisse des coûts des entreprises (mesures d’encouragement au sur-amortissement), baisse de la fiscalité des entreprises (réduction du poids de l’IS) et baisse du coût du travail (CICE, exonérations fiscales, élargissement des exonérations de cotisations sociales…), qui a permis de restaurer les marges des entreprises à des niveaux antérieur à la crise de 2007-2009, ce contexte international et cette débauche d’argent public au bénéfice des entreprises tendent à stimuler un peu l’activité économique, mais sans régler d’aucune manière les raisons profondes des difficultés. Au contraire même. Ce qui laisse entrevoir une rechute rapide.

Reste que la communication gouvernementale faisant son office, le nouveau gouvernement Macron-Philippe profite de l’aubaine pour justifier sa volonté d’accentuer sa politique de baisse du coût du travail et relancer ses attaques contre le Code du travail et contre les chômeurs.

Pourtant, à y regarder de près, la situation de l’emploi n’est pas aussi positive que le discours main stream l’affirme.

Un constat qui est bien moins Olympien qu’il n’apparaît

D’abord, il convient de noter que si la création nette d’emploi est passée de 60 000 au dernier trimestre 2016 à 89 700 au 1er trimestre 2017, cette évolution très dynamique masque un changement d’indicateur statistique de l’INSEE pour le calcul. L’Insee publiait jusque-là les chiffres de l’emploi salarié dans les secteurs marchands non agricoles. L’indicateur a été étendu à l’ensemble des salariés (agricoles et services non marchands compris) et aux départements d’outre-mer (hors Mayotte). Si l’on s’en tient aux données les plus proches du champ de l’indicateur précédent – industrie, construction, tertiaire marchand et intérim –, l’emploi a finalement augmenté de 75 700 personnes au 1er trimestre 2017.

Idem pour le taux de chômage. Refusant d’utiliser les données de la Dares, le gouvernement préfère celles de l’INSEE. Et pour cause : l’INSEE évalue le nombre de chômeurs à 2,674 millions en France métropolitaine au 1er trimestre 2017, que ce nombre diminue sur 2016 (-0,6 %) pour atteindre 9,6 % de la population active, et continuera de baisser au 1er trimestre 2017 (9,3 %). Là où la Dares et Pôle emploi recensent en mai 2017 pas moins de 3,494 millions de demandeurs d’emploi sans emploi, n’ayant pas travaillé dans le mois et tenus à des actes de recherche d’emploi (catégorie A). Auxquels s’ajoutent les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi tenus de faire des actes de recherche d’emploi, mais ayant travaillé plus ou moins 78 heures dans le mois (catégories B et C), soit 2, 067 millions de personnes. Ce qui fait un total de 5,560 millions de demandeurs d’emploi. Or si la catégorie A diminue effectivement entre mai 2016 et mai 2017 (-30 000 personnes, -0,8 %), les catégories A, B, C augmentent très fortement : +125 600 personnes.

En vérité, si l’opportunisme peut faire choisir l’un plutôt que l’autre, ces deux indicateurs ne s’excluent pas, au contraire, ils se complètent pour mettre au jour les évolutions de l’emploi vers une précarisation et une ultra-flexibilisation. Car ce qui émerge de ces données est moins la baisse du nombre de chômeurs sans activité, que le développement des contrats précaires dans la relation d’emploi.

Ensuite, ces évolutions ne remettent pas en cause la tendance passée. L’emploi des services et de l’intérim croit mais pas celui de l’industrie ou de la construction. De janvier à mars, les services marchands (+54 600 hors intérim, +0,5 %) et non marchands (+13 100, +0,2%), ainsi que l’intérim (+17 000, +2,5%) ont vu leurs effectifs croître. Au point de compenser la perte d’emplois de l’industrie dont l’érosion se poursuit (- 1 000 000 d’emplois depuis 2001). Quant à la construction (200 000 emplois perdus depuis 2008), si elle connaît un faible rebond (+9 300) au 1er trimestre, cela n’efface pas la perte des 10 800 emplois de 2016. En fait, cette tendance du 1er trimestre 2017 est celle de 2016, une forte progression de l’emploi tertiaire marchand (+153 700, +1,4%) et non marchand (+50 500, +0,6%), agricole (+4 900, +1,6%) et de l’intérim (+93 000, +15,6%), mais une baisse dans l’industrie (-19 700, -0,2 %) et dans la construction (-0,8 %).

Une évolution qui peut interroger légitimement sur la solidité du retour de la croissance, et qui confirme un léger redémarrage de la création d’emplois marqué en réalité par une croissance forte de la précarisation et de la flexibilisation de l’emploi. Précarisation illustrée par la part des déclarations d’embauche de moins d’un mois dans le total des déclarations d’embauche (hors intérim) au 1er trimestre 20171: 67,1 %.

Une pression sur l’emploi stable qui ne manquera pas de peser sur les débouchés des entreprises, et sur la croissance elle-même. Comme le souligne la note de conjoncture de l’INSEE de juin 2017 et ses prévisions, le ralentissement du pouvoir d’achat des ménages en 2017 (1,1 % prévu contre 1,8 % en 2016) entraînera à son tour le ralentissement de la consommation des ménages français (2,1 % en 2016 contre 1,2 % en 2017). Or, comme l’investissement des entreprises est annoncé morose pour 2017 (2,9 % contre 3,4 % en 2016), dans un contexte global de ralentissement l’investissement (2,4 % contre 2,7 % en 2016) marqué par une nouvelle chute de l’investissement public (-2,2 %) et un dynamisme de l’investissement immobilier des ménages (3,7 % contre 2,4 %), seule la demande extérieure adressée à la France est supposée répondre aux débouchés des entreprises françaises (2,5 % en 2016 contre 5,3 % en 2017). À nouveau (c’était la même hypothèse en 2012), c’est dans la demande extérieure que le gouvernement voit l’espoir. On a vu le résultat…

Réformer le marché du travail pour le rendre plus flexible : mais pourquoi donc changer une méthode qui perd ?

En réalité, le jeune nouveau locataire de l’Élysée qui annonçait faire du neuf en politique ne propose que du vieux. Loin de prendre à bras-le-corps les contradictions de ses prédécesseurs, il les reproduit en les amplifiant. Aucune leçon n’est tirée des échecs des gouvernements précédents. Le coût du travail et le marché du travail resteront la cible privilégiée.

La réforme du Code du travail, et ses 8 ordonnances, va encourager la flexibilité et la précarité de l’emploi et en baisser le coût pour les entreprises. Elles s’inscrivent dans le prolongement des dispositions législatives prises lors du précédent mandat (de la loi de sécurisation de l’emploi à la loi El Khomri), qui posaient comme cadre idéologique que les droits des salariés sont source de chômage et de précarité. Le gouvernement envisage ainsi, d’une part, d’inscrire le principe de l’inversion de la hiérarchie des normes dans tout le droit du travail en faisant sauter les accords de branche et les cadres protecteurs qu’elles permettent en matière de temps de travail, d’organisation du travail, de santé au travail, de contrat de travail, de rémunération… afin de laisser libre cours à la révision des droits. D’autre part, il propose de renforcer les pouvoirs de l’employeur dans la négociation sociale, c’est le référendum à l’initiative de l’employeur par exemple, ou le droit consultatif des salariés dans les Conseil d’administration, mais aussi la mise en place de systèmes de financement syndical par l’employeur au choix du salarié… Enfin, il avance les moyens de faire exploser toutes les protections existantes contre les licenciements et la précarité des salariés, en allant au bout de la loi El Khomri en matière de réduction du coût du licenciement pour l’employeur (barémisation des indemnités, autorisation du défaut de motivation du licenciement pour l’employeur, autorisation de licencier sans plan social, sans obligation de reclassement, sans cause économique sérieuse…) et en liquidant le CDI au moyen de l’introduction de nouvelles normes de contrat de travail de fait comme le CDD (autorisation de multiplication indéfinie et de rupture avant terme), le contrat de chantier (généralisation à tous les secteurs d’activité), la généralisation de l’intérim (suppression du délai de carence)…

Réforme du Code du travail que le gouvernement veut appuyer d’une réforme de l’UNEDIC et de Pôle emploi en suivant. Concrètement, il s’agira là encore de renforcer la pression du contrôle sur les chômeurs au moyen d’une reprise en main par l’État de l’assurance chômage, qui deviendra le tiers décideur dans la négociation tripartite à la manière dont l’État s’est immiscé dans la Sécurité sociale. Et pour légitimer sa démarche de déresponsabilisation sociale du patronat, le gouvernement annonce la suppression des cotisations chômage et leur remplacement par une hausse de la CSG. Histoire de soulager le Medef et d’être cohérent avec le principe bien libéral selon lequel les chômeurs sont responsables individuellement de leur situation et ne peuvent bénéficier d’un droit social à indemnisation du chômage. La posologie de ce diagnostic libéral est simple : Macron-Philippe entendent ainsi mettre en place « un contrôle accru de la recherche d’emploi, pour lequel les moyens de Pôle Emploi seront renforcés et les sanctions rendues justes et crédibles […] Si plus de deux emplois décents, selon des critères de salaire et de qualification, sont refusés ou que l’intensité de la recherche d’emploi est insuffisante, alors les allocations seront suspendues ». Le nombre de contrôleurs de Pôle emploi dédiés à cette tâche de contrôle passerait de 200 aujourd’hui à 1 000.

Que cette énième stigmatisation des chômeurs ait d’ores et déjà démontré son inefficacité dans la mesure où le chômage résulte avant tout d’un manque d’offre d’emploi et de formation imputable à des stratégies patronales privilégiant la profitabilité immédiate au développement de l’entreprise, ainsi qu’à des politiques publiques qui se subordonnent aux intérêts patronaux, ne semble pas préoccuper nos élites gouvernementales. Que le contrôle accru des chômeurs soit peu capable de créer des emplois les laisse froid. Il n’empêche, et bien que les mesures gouvernementales ne soient pas encore clairement connues, on peut s’attendre à un durcissement des critères d’indemnisation du chômage. Quand bien même ceux-ci le sont déjà, et avec peu d’effets… Aujourd’hui, un chômeur inscrit à Pôle emploi, qui refuse deux offres raisonnables d’emploi se voit radié de l’agence et perd ainsi ses indemnités. Une offre est considérée comme raisonnable si elle correspond aux critères de l’emploi recherché en matière de compétence et de qualification et si elle se situe à moins d’une heure en transport en commun du domicile ou à moins de 30 km du domicile du demandeur. À cela s’ajoute le critère de la rémunération qui doit être équivalent au salaire du dernier poste occupé, puis à 85 % de ce salaire au bout de six mois de recherche et enfin au montant des allocations-chômage à partir d’un an…

Sauf qu’articulée à la refonte forcée de la relation d’emploi instruite par la réforme du Code du travail, ce nouveau durcissement des conditions d’indemnisation du chômage risque fort de provoquer une régression sociale sans précédent. Nul doute que le patronat saura créer les conditions pratiques d’une articulation très dynamique entre ces deux réformes afin de réduire le coût du travail à l’échelle du pays.

Pour autant, cela suffira-t-il à créer les conditions d’une efficacité nouvelle du capital permettant de sortir les entreprises de la crise d’efficacité dans laquelle elles sont et le pays de la crise économique et sociale où il se trouve ? Il y a fort à parier que non. Les mêmes remèdes appliqués aux mêmes maux ont tendance à ne provoquer que les mêmes effets. La recherche obsessionnelle de la baisse du coût du travail conduit inéluctablement à la baisse de la demande en direction des entreprises (les fameux carnets de commandes). Cette pression sur les débouchés des entreprises pèse sur leurs marges opérationnelles, ce qui accroît la pression sur l’emploi et le travail, réduit l’investissement productif et encourage l’endettement non efficace en renforçant la domination financière sur l’entreprise et son activité pour ses propres fins. Tout cela réduisant coup après coup l’efficacité du capital productif, ce qui alimente la recherche de baisse du coût du travail. Un cercle vicieux bien connu…

En revanche, s’il y a une nouveauté à lire dans cette obstination ultralibérale, elle réside plutôt dans l’évolution politique ainsi proposée. Pour la première fois de manière très nette les services de l’État français deviennent des outils au service exclusif des objectifs du capital financier. L’élection d’E. Macron à la tête de la nation a signifié la remise des clés du pays aux marchés financiers. Cette double réforme du marché du travail et de l’emploi, à laquelle il faudrait aussi ajouter l’inscription dans le droit commun du régime d’exception, le démontre.

Face à cette offensive ultralibérale de Macron et consorts, que pouvons-nous opposer ?

Le rouleau compresseur Macron est en marche et s’apprête à écraser nos libertés sociales. Mais l’on ne saurait sérieusement prétendre s’opposer à cette régression sans prendre la mesure de la volonté de changement qui a porté Macron au pouvoir. Les échecs électoraux de l’ensemble de la gauche en témoignent, alors que la séquence électorale a été consécutive à la bataille contre la loi El Khomri, les candidats de la gauche ont été incapables d’incarner une alternative crédible et sérieuse au discours macronien d’appel au changement économique et social.

Cet appel ne doit évidemment duper personne. La stratégie de Macron et de ses supports vise avant tout à répondre aux objectifs de rentabilité immédiate du capital financier. Et pour cela, il s’agit de subordonner à ces objectifs les effets de la révolution informationnelle, de la révolution écologique, de la révolution démographique… Mais cette démarche capitaliste qui repose avant tout sur l’accroissement de la pression sur les salariés bute sur la crise d’efficacité du capital à laquelle elle essaie pourtant de répondre avec les arguments du capital. Au prix d’un écrasement des hommes par la précarité généralisée et le chômage de masse.

Or c’est bien là tout l’enjeu de la bataille politique autant que sociale et économique. Pour prétendre s’opposer sérieusement à la politique de Macron, il faudra apporter une réponse progressiste à cette crise d’efficacité du capital adaptée aux défis sociaux, écologiques, économiques, scientifiques, démographiques, monétaires… du moment. Réponse qui n’existe pas aujourd’hui dans les candidatures social-démocrates de gauche telles qu’elles ont été incarnées et défendues lors de la dernière élection présidentielle par B. Hamon et J.-L. Mélenchon.

On ne reviendra pas sur la proposition d’un revenu d’existence, elle a été traitée dans un précédent numéro d’Économie et Politique. Mais rappelons néanmoins que sa logique qui cherche à tenir compte de la révolution informationnelle et écologique aujourd’hui à l’œuvre n’est pas une logique d’affrontement au capital, quand bien même elle ambitionne de sécuriser les revenus des gens. En entérinant sans combat le fait que le développement des nouvelles technologies de l’information sont en soi porteuses de chômage de masse, de précarisation de l’emploi et de délocalisation d’entreprises, contre lesquels il est illusoire de lutter dans une économie mondialisée, le revenu d’existence devient un outil d’accompagnement des logiques capitalistes qui cherche à pallier la perte de revenu et la misère induite. Or, au-delà même de ses limites idéologiques et sociales, par ce choix politique de ne pas mettre au cœur de son combat les logiques du capital, le revenu d’existence reste confronté aux contraintes d’efficacité économique et sociale. D’un côté, où trouver l’argent pour le financer si l’on ne se résout pas à prendre sur les profits ? Ne pas vouloir répondre à cette question, c’est accepter derechef une solution de financement qui puise dans l’actuelle réponse sociale et publique aux besoins sociaux et donc réduit le niveau des services publics actuels, ou bien qui accepte de réduire la prétention universaliste du revenu d’existence et s’oblige à transformer ce revenu universel en simple allocation conditionnée. De l’autre, quid du chômage de masse, accepté comme une fatalité, alors que les besoins humains d’aujourd’hui demeurent insatisfaits et que ceux de demain nécessitent un développement sans précédent de formations et d’emplois nouveaux ?

Quand Mélenchon rencontre Hamon

Mais si le revenu d’existence n’est pas une solution efficace, le « droit opposable à l’emploi » porté par J-L Mélenchon et la France insoumise à la présidentielle ne l’est pas plus. Cette proposition mise en avant dans le programme l’« Avenir en commun » du candidat pour lutter contre le chômage et pour l’emploi constitue le 4e axe des propositions de la France insoumise pour le plein-emploi, après le renforcement de l’indemnisation des chômeurs, du service public de placement dans l’emploi et de la médecine préventive de l’emploi. Concrètement, « agence publique chargée d’éradiquer le chômage sur le territoire, le commissariat à l’emploi en dernier ressort organisera un bilan des qualifications et des compétences des chômeurs de longue durée. Tout individu au chômage depuis plus d’un an […] se verra proposer un contrat public au salaire minimum adapté à ses qualifications. […] la collectivité prendra ses responsabilités en proposant un contrat coopératif aux personnes en échec provisoire sur le marché du travail. La somme versée au titre de l’indemnisation chômage le sera désormais par la puissance publique et ces personnes pourront être orientées vers les besoins publics locaux ou les associations agrémentées. L’État assumera ainsi, pour la première fois dans l’histoire de France, le rôle d’employeur en dernier ressort. Et les chômeurs ne seront plus obligés d’accepter n’importe quel emploi de mauvaise qualité pour sortir du chômage : elles et ils disposeront d’un droit opposable à un contrat rémunéré au salaire minimum. » Ainsi, avec ce droit opposable à l’emploi, le service public de l’emploi serait garant de l’employabilité des chômeurs ; quant aux chômeurs de longue durée dont le retour à l’emploi est compromis, l’État prendrait le relais dans le cadre de contrats coopératifs, sorte de nouveaux contrats aidés d’utilité collective améliorés salarialement.

Outre que l’on mesure mal la novation, le principe d’embauche obligatoire publique des « inemployés » a été mis en place dans le cadre des ateliers nationaux au 19e siècle, et la reformulation des contrats aidés en contrats coopératifs ne suffit pas à en faire un dispositif neuf, la plus grosse insuffisance de cette « nouvelle » mesure de la FI réside dans le fait qu’elle ne permet pas de dépasser les limites de ses prédécesseurs. Par-delà leur monstruosité et leur brutalité à l’encontre des travailleurs indigents, les ateliers nationaux ont été un échec économique autant que politique. Tout comme les contrats aidés pour les exclus de l’emploi, quels que soient leur forme et leur objet. Et pour la même raison : parce qu’ils sont venus chacun à sa manière en appui des défaillances du marché du travail, elles-mêmes consécutives aux logiques de gestion de l’emploi des employeurs. Et qu’elles n’ont en aucun cas permis de changer cette logique de gestion des emplois et du travail des entreprises. Écueils que ne dépasse pas le « droit opposable à l’emploi ». D’autant qu’aucune mesure en matière d’intervention des salariés sur les gestions d’entreprise ou de maîtrise sociale de l’argent et de son utilisation dans l’entreprise ne vient compléter ce dispositif de « propositions pour un retour au plein-emploi ». Tout au plus quelques mesures d’oppositions, mais aucune pour renforcer les pouvoirs des salariés sur les décisions patronales.

En réalité, ce « droit opposable à l’emploi » n’est ni plus ni moins qu’un très classique dispositif étatique de traitement social du chômage de longue durée qui permet de sortir les chômeurs de longue durée du marché du travail. À l’image de ceux déjà institués par les gouvernements socialistes depuis 1983. Il souffre des mêmes limites. Il ne répond pas à la nécessité d’une efficacité nouvelle de la dépense publique sociale. Il laisse à l’État le rôle de supplétif des insuffisances du marché du travail. Et il s’inscrit totalement dans la philosophie des politiques d’activation culpabilisatrice des chômeurs avancées lors de la création des TUC ou du RMI, qu’il croit pouvoir atténuer en augmentant le revenu des contractants.

Au fond, il y a un trait commun, une nature commune entre la proposition de B Hamon et celle de J-L Mélenchon. Derrière leur intention positive de sécuriser le revenu individuel pour Hamon ou de sécuriser le poste de travail pour Mélenchon, c’est l’incapacité implicite à affronter les logiques patronales et financières pour y parvenir. À l’instar de tout modèle social-démocrate, elles achoppent sur la même difficulté : le refus de l’exigence d’une efficacité sociale et économique nouvelle. Leur visée respective est, chacune à sa manière, dénuée de toute intention de dépasser les logiques capitalistes. Les deux pèchent par leur incapacité à s’attaquer aux logiques du capital (l’argent pour l’argent) et à croire que l’État seul suffit à instituer la réponse au besoin. Sans mesurer que ce dernier est lui-même tributaire financièrement et politiquement de ces logiques capitalistes. Or il n’y a pas de solution au chômage notamment sans la ferme exigence de peser sur les choix de gestion des entreprises et les moyens de leur financement, sans peser sur la logique du capital.

En guise de conclusion, la puissance des idées du PCF

À ces conditions, avec ces seules propositions, il est aisé de mesurer à quel point nous sommes très loin de pouvoir contrer le rouleau compresseur idéologique Macron. Non seulement ces propositions sociales-démocrates ne traitent pas la question de l’efficacité sociale nouvelle, mais elles ne répondent pas non plus au défi imposé par la révolution informationnelle sur la production et la relation d’emploi. La crise économique, civilisationnelle dans laquelle nous sommes, exige à l'opposé des solutions ambitieuses et radicales qui contestent dans un point haut la doxa ultra-libérale. Les réponses réformistes, outre leur manque d’ambition, restent vissées à la seul logique institutionnelle, délaissant la maîtrise sociale. L’apport original du PCF avec ses propositions pour une sécurité d’emploi et formation, pour la maîtrise social sur l’argent public et privé (banques et entreprises), pour de nouveaux droits pour les salariés et citoyens, c’est de s'inscrire dans une visée de dépassement du capitalisme, non par la seul prise du pouvoir, mais en articulant luttes et création institutionnelle comme le font les députés communistes avec la proposition de loi pour une sécurité d’emploi et formation. Cet apport, c’est l’articulation de la créativité théorique et des réponses concrètes aux besoins, c'est la construction de bataille de terrain et la proposition d'une perspective politique transformatrice.

Dès lors si le rassemblement reste une question centrale de la période, il ne peut se faire en refoulant ces apports originaux du PCF, au risque d’une nouvelle fois faire fausse route. La bataille contre la grande réforme régressive du marché du travail et de l’emploi proposée par l’équipe Macron va nous donner l’occasion de ce débat à gauche. Il va falloir non seulement résister à l’offensive ultralibérale, mais il va falloir dans le même temps riposter en proposant une alternative de progrès radicale, crédible et rassembleuse. C’est possible. zzz

 

1. Acosstat n°248 – avril 2017. Pour compléter, on notera que parmi les 6,316 millions de déclarations d’embauche du 1er trimestre 2017 traitées par la sécurité sociale, 10,4 % sont des embauches en CDI et 17 % sont des CDD de plus d’un mois.

 

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