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Finances publiques pour tous : une proposition d’Emmanuel Macron au banc d’essai

Cet article vise, comme les autres de ce dossier, à fixer plus précisément les contours exacts qu’il convient de donner aux mesures contenues dans l’agenda d’Emmanuel Macron, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas vraiment fait la une de l’actualité, le débat politique ayant assez largement escamoté les aspects programmatiques.

Une proposition a retenu toute notre attention, parce qu’elle a tout de même un air de déjà-vu, mais d’un déjà-vu dont la portée symbolique est sans doute plus forte que bien d’autres, à savoir la réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune à la seule base imposable des biens immobiliers des contribuables.

Ce qui est loin d’être une mesure tout à fait neutre notamment quand Emmanuel Macron lui-même, en déclarant son patrimoine, a indiqué ne posséder strictement rien d’autre que des valeurs mobilières et quelques disponibilités. Presque rien, pour le coup, puisque le tout fait seulement environ 336 000 euros en comptes bancaires et en placements financiers rémunérés. Ce qui fait tout de même pas loin de trente années de SMIC… Et que, selon certaines sources, il a même fait l’objet d’un redressement au titre de cet impôt si « controversé », notamment quand il a disposé de revenus importants, découlant de sa rémunération de banquier conseil chez Rothschild.

Ceci posé, revenons au cœur du sujet.

L’impôt de solidarité sur la fortune est une sorte de «chiffon rouge» du débat politique depuis trente-cinq ans qu’il a été créé, sous la forme de l’impôt sur les grandes fortunes, et il s’agit évidemment d’un sujet éminemment clivant. Pour ceux qui ont quelques doutes sur les notions de gauche et de droite, c’est même l’un des éléments fixant les éléments du débat…

La droite chiraquienne de 1986, de s’être empressée de le supprimer dès son élection, y perdit une bonne partie de ses chances en 1988, expérience d’autant plus douloureuse qu’Alain Juppé se sentit obligé de le majorer de 10 % en 1995 pour « redresser les comptes publics » avant que Nicolas Sarkozy ne tente de le mettre en question en inventant le dispositif « ISF PME », permettant aux contribuables de déduire de leur impôt dû une part de leurs investissements dans les petites et moyennes entreprises.

En 2017, François Fillon s’est prononcé pour la suppression de l’impôt, tandis que Marine Le Pen souhaite fusionner l’ISF et la taxe foncière sur les propriétés bâties, ce qui ressemble étrangement à la proposition d’Emmanuel Macron qui veut le limiter aux seuls biens immobiliers…

Les données de l’impôt sont connues. Il rapportera en 2017, si tout va bien, 5 376 760 000 euros aux caisses de l’État pour environ 350 000 contribuables imposables, soit un impôt moyen de 15 360 euros. Notons d’ailleurs de suite qu’en 2011, avant que l’impôt ne soit réformé et son plancher d’imposition relevé de 800 000 à 1,3 million d’euros, nous comptions près de 600 000 redevables de l’ISF au niveau national, et que nous sommes passés à 292 000 environ. Le rendement n’en a cependant guère été affecté, puisqu’il est passé de 4 464 000 000 euros à 4 321 000 000 euros. Le nombre de contribuables de l’ISF a donc repris sa croissance depuis et le rendement de l’impôt ne s’en est guère trouvé affecté, comme nous l’avons rappelé.

Ce petit rappel nous permet donc de mesurer les données du problème.

Compte tenu d’ailleurs du tarif de l’impôt de solidarité sur la fortune, pour payer l’impôt moyen, il faut disposer d’un patrimoine dont la valeur nette dépasse les 3 millions d’euros. Ce qui donne une idée du prélèvement fiscal réalisé : 15 360 euros sur 3 millions, soit un prélèvement apparent d’environ 0,5 %…

Dans la pratique, pour peu que ce soit là la moyenne de l’impôt, on peut donc estimer que le patrimoine global des redevables de l’impôt sur la fortune frise les 1 000 à 1 050 milliards d’euros (350 000 x 3 millions). Ce qui est très près de représenter la moitié du produit intérieur brut, même si cette estimation n’est pas forcément bienvenue.

Dans les faits, la base imposable est plus importante encore puisque des mesures diverses et variées « corrigent » à la baisse le rendement de l’impôt. Le fameux dispositif ISF PME, inventé par Sarkozy, coûte quelque 555 millions d’euros, partagés entre 65 806 ménages. Ce qui veut dire une remise d’impôt moyenne de 8 400 euros environ, fort éloignée du plafond reconnu pour la mesure (45 000 euros).

Ne manque plus, pour notre démonstration, que la répartition de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune. Contrairement en effet à une légende sans doute assez répandue, ce n’est pas la propriété immobilière qui se trouve la plus taxée au titre de l’ISF mais bien plutôt la propriété mobilière, ce que j’appelle, comme bien d’autres, la « fortune papier ». Au demeurant, plus le niveau de patrimoine s’élève et plus la part du papier augmente dans le patrimoine. Selon des analyses déjà anciennes mais sans doute encore valables, les biens des « petits contribuables » de l’ISF, ceux dont le patrimoine n’est compris qu’entre 1,3 et 2,57 millions d’euros (excusez du peu…) est composé à parts égales ou presque de biens immobiliers et de valeurs mobilières. Quand vous vous trouvez par contre au sein des contribuables les plus fortunés, les formes de la richesse sont de plus en plus immatérielles et prennent bien moins de place que les immeubles… Mais n’en rapportent pas moins… Dans les faits, les biens immobiliers soumis à l’ISF représentaient, il y a environ dix ans, un tiers de la base imposable dudit impôt quand les valeurs mobilières en constituaient donc plus ou moins de 60 %. Conclusion toute provisoire et relative : quand Emmanuel Macron propose de retirer de l’assiette de l’ISF les actions, parts de société et autres babioles de ce genre, il favorise d’abord et avant tout les plus fortunés des contribuables de cet impôt…

En résumé, nous avons un impôt relativement rentable (plus de 5 milliards d’euros), un rendement qui n’a pas souffert de la réduction du nombre des redevables avec le relèvement du seuil d’imposition à 1,3 million d’euros par Sarkozy puis Hollande, dont l’assiette est relativement représentative du patrimoine des redevables, qui n’est pas dénué d’une certaine efficacité économique et que l’on veut réduire.

Première question : pourquoi Macron ne propose-t-il pas la suppression pure et simple de l’impôt ? C’est l’intéressé, dans toute sa candeur de néophyte de la politique, qui nous le dit. Dans un colloque organisé par l’Institut Montaigne et le Mc Kinsey Global Institute (qui soutient financièrement l’Institut Montaigne) le 23 juin 2016, Emmanuel Macron a notamment déclaré «Aujourd’hui, l’ISF pose un problème pour celles et ceux qui voudraient investir et aider au développement des entreprises», tout en indiquant de suite que le climat actuel n’est pas propice à la suppression de l’impôt. Ainsi précisait-il : «Si on arrive devant les gens dans le contexte politique et social qu’on connaît en leur disant “j’ai une bonne idée, ce matin, on va supprimer ou réformer l’ISF” […] à mon avis ça ne va pas plaire à tout le monde. »

En même temps, pourrait-on dire, puisqu’il s’agissait d’attirer le « gogo de gauche », c’est-à-dire, pour résumer vite, l’électeur de Hollande 2012 -inquiet-de-la- montée-du-Front-national qui s’angoisse à chaque fois qu’il ouvre les pages de politique générale du Monde ou de Libération, il convenait ne pas annoncer la couleur d’emblée en proposant la suppression intégrale de l’ISF tout de suite. On commence par supprimer l’assiette « actions » avant de supprimer l’impôt tout court au motif qu’il coûte plus cher à instruire qu’à encaisser…

En éléments de langage formaté pour militant macronien (ou macroniste) de base, tout cela est en général présenté sous la formule « il faut aider les entreprises à disposer de fonds propres », comme si d’ailleurs la multiplication des fonds propres, et les créations d’entreprise subséquentes, suffisaient à créer de l’emploi et de l’activité. Pour faire bonne mesure, si vous objectez que la mesure fut portée un temps par Sarkozy dans sa fameuse loi sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat, les mêmes éléments de langage objecteront que « ce sera mieux que tout cet argent qui dort dans les placements immobiliers ». Sûrement parce que l’immobilier c’est immobile et ne marche pas…

Mais c’est oublier un peu vite que l’immobilier, c’est aussi une bonne partie du travail du secteur du bâtiment, et que la commande privée, même destinée à la réalisation d’immeubles de bureaux ou de locaux d’activité, même consacrée à la réalisation d’ensembles locatifs aux loyers inabordables aux couches moyennes et plus encore aux demandeurs de logement social, est essentielle pour faire tourner les bétonnières, employer les terrassiers et solliciter plombiers et électriciens…

Mais le plus comique, dans l’affaire, est sans doute de constater que la proposition recèle bien des limites et qu’elle peut fort bien se retourner contre ses auteurs.

Il y a un objectif de court terme qui sera atteint. Celui d’accroître sans doute de quatre bons milliards d’euros de plus le déficit de l’État. En soi une bonne affaire.

Pourquoi quatre ? Pour les raisons évoquées plus haut, c’est-à-dire que comme les actions, parts de société et autres titres de participation sont surtout détenus par des contribuables très fortunés de l’ISF, ce sont donc ceux-ci qui bénéficieront plein pot de la mesure. Rien que de plus logique, puisque ce sont effectivement les patrimoines taxés au niveau le plus élevé du tarif (1,25 % au-dessus de 5 millions d’euros de patrimoine, 1,50 % au-delà de 10 millions d’euros) qui verront leur contribution la plus fortement abaissée. Et pas les pauvres artistes ou cadres supérieurs parisiens dont l’assujettissement à l’ISF n’est lié qu’à la valorisation de leur appartement situé dans l’un des beaux quartiers de la capitale et à l’extinction de l’emprunt qu’ils ont pu souscrire pour l’acquérir.

Dans le 6e arrondissement de Paris par exemple, avec un mètre carré à 12 340 euros en moyenne, il suffit d’un bel appartement de cent mètres carrés, même avec la décote de 30 % sur la résidence principale, pour se retrouver très vite à l’ISF. Dans ce cas précis, un tel bien serait donc évalué par les services fiscaux à 863 800 euros, majorés des 5 % du forfait mobilier, soit 43 190 euros et vous êtes déjà à 900 000 euros de base imposable… Un studio à Courchevel et un autre à Cannes, pour les vacances, et vous êtes bon comme la romaine pour payer l’ISF… Donc, la mesure de Macron profite aux très gros contribuables de l’ISF.

Les services fiscaux permettent d’appréhender une partie de la portée de la mesure. En 2015, on comptait en effet 342 942 redevables de l’ISF. Sur cet effectif, 247 433 redevables dont le patrimoine était compris dans la première tranche (1,3/2,57 millions d’euros), disposaient d’un patrimoine d’une valeur nette de 444 milliards d’euros environ. Soit une moyenne de 1,79 million d’euros de patrimoine et un rendement de l’impôt (avant correctifs) de 5 400 euros par contribuable.

Pour bien mesurer, également, la portée de la proposition, rien de mieux que de constater que les mêmes contribuables ont consacré un peu plus de 440 millions d’euros (soit… 0,1 % du montant de leur patrimoine) à financer les PME par le biais du dispositif ISF/PME. Ce qui génère 220 millions d’euros de réduction d’impôt pour un ensemble de 39 462 contribuables, soit environ 5 575 euros de bonus fiscal en moyenne. Un montant relativement proche du produit moyen de l’imposition avant correctifs. Ce qui atteste du caractère réel de la mesure d’origine : donner le moyen au redevable de ne pas payer de cotisation ISF. Ils ont ainsi généreusement consacré 75 millions d’euros au financement de fondations d’intérêt général ou d’utilité publique. Le tout pour un ensemble de 28 943 contribuables, soit un peu moins de 2 600 euros de remise d’impôt.

Par contre, en creux, si l’on peut dire, un peu moins de 100 000 redevables de l’ISF, disposant d’un patrimoine total de plus ou moins 600 milliards d’euros, et payant environ 4 milliards d’euros d’ISF, sont les premiers bénéficiaires de la mesure préconisée par le nouveau Président. Le bonus, pour ces contribuables, sera donc bien plus important que celui dévolu aux 250 000 « petits contribuables » de l’ISF.

Si l’on se fonde sur les données 2015, 26 344 contribuables de l’ISF ont sollicité le dispositif ISF/PME. Les montants en jeu ont été plus conséquents, atteignant 335 millions d’euros de réduction d’impôt, soit plus ou moins 700 millions d’investissement… 14 279 contribuables ont opté pour les dons aux œuvres d’utilité publique ou d’intérêt général. Ils ont mobilisé environ 225 à 230 millions d’euros. Pour ces contribuables aisés de l’ISF, les allégements étaient de près de 13 000 euros dans un cas et de près de 16 000 euros dans l’autre. A priori, donc, la mesure ne faisait pas le compte pour ces contribuables qui trouveront donc pleinement leur bonheur dans l’exonération des titres financiers…

La mesure a un autre défaut, qui n’a sans doute pas été assez souligné. C’est que, dans un premier temps, l’ISF distinguait entre les détenteurs d’actions et de parts de société exerçant un mandat social dans l’entreprise concernée et les actionnaires dits minoritaires, n’en exerçant pas. Pour ceux-là, on a inventé le Dutreil, c’est-à-dire le « pacte d’actionnaires », en clair un engagement du détenteur minoritaire à conserver ses parts pendant un laps de temps considéré (six ans en l’occurrence) pour bénéficier d’une exonération partielle de l’assiette de l’impôt. Et donc, à l’occasion, accepter un moindre dividende pour pouvoir payer l’ISF…

Le Dutreil, faut-il le souligner, a été inspiré à l’intéressé par le cas de la société De Wendel, où avait été passé en 1871 un pacte d’actionnaires suite à l’occupation par le Premier Reich de l’Alsace Moselle et de ses conséquences sur la « domiciliation » des usines du groupe. Un pacte d’actionnaires qui n’empêcha nullement les De Wendel de vendre de l’acier autant à l’armée française qu’à l’Empire allemand lors de la Première Guerre mondiale.

Les héritiers du groupe ont passé un autre pacte, lorsque le groupe était dirigé par Ernest Antoine Seillière de Laborde et que les actifs industriels issus de la sidérurgie s’étaient transformés, avec plus-value implicite, en actifs financiers suite à nationalisation et indemnisation… Et comme l’épouse du ministre Dutreil travaillait chez De Wendel… La mesure n’a cependant pas eu beaucoup de succès depuis 14 ans qu’elle existe, puisque le nombre de contribuables qui en sollicitent l’application est faible, malgré un coût de 190 millions d’euros pour les finances publiques.

Si on décide demain de ne plus taxer les actions à l’ISF, le gouvernement se retrouvera avec une dépense fiscale devenue inutile et qui disparaîtra. Comme disparaissent les pactes d’actionnaires (la mesure fût-elle peu pertinente sur la durée), et apparaît par conséquent le risque d’une forme de nomadisme actionnarial.

La même remarque vaut aussi pour la disparition du régime ISF/PME qui n’a plus de raison d’être.

En effet, difficile de maintenir un régime favorable aux contribuables vertueux (ceux qui investissent dans les PME) quand on se décide à ne plus taxer les actions. Mais comme le bénéfice de l’ISF/PME est, lui aussi, lié à des conditions de conservation (cinq ans en l’espèce), nous nous retrouverons face à un dispositif n’ayant plus de sens. Tout simplement parce qu’on pourra, demain, avoir beaucoup de titres et d’actions sans être considéré comme redevable, à ce titre, de l’impôt sur la fortune.

La mesure du programme d’Emmanuel Macron est donc une incitation marquée à l’instabilité actionnariale, aux placements de circonstance fondés sur l’espérance de plus-values rapides, c’est-à-dire exactement tout le contraire de ce qu’il conviendrait de faire pour stabiliser le capital de nos PME. Coûteuse pour les finances publiques, injuste du point de vue de l’égalité devant l’impôt (l’ISF est une assez bonne illustration de la capacité contributive des plus aisés et le réduire, de quelque manière que ce soit, est une violation de ce principe de notre droit), inefficace sur un plan économique, puisqu’elle tend à fragiliser les « noyaux » d’actionnaires de moult PME de notre pays, la proposition d’Emmanuel Macron ne profite donc qu’aux apprentis spéculateurs. À la condition d’avoir un patrimoine d’1,3 million d’euros, ceci dit. Ce qui limite d’entrée le champ des possibles. Reste qu’un tel affaiblissement des « noyaux durs » actionnariaux peut, in fine, devenir une menace pour l’emploi et l’activité des entreprises concernées.

Notons d’ailleurs que la suppression du dispositif ISF/PME ne va rien changer au comportement des « investisseurs ». Que leur investissement ne soit plus la source d’une réduction d’impôt ne changera rien à la situation actuelle. Il est même probable que l’exonération produise pour certains l’effet inverse. S’il n’y a plus d’ISF sur les actions, plus rien ne justifie, du point de vue de cet impôt, d’avoir la moindre stratégie de placement sinon celle de réaliser l’opération la plus profitable.

Enfin, dernier aspect, nous avons dit tout à l’heure le faible effet levier des sommes mobilisées au titre du dispositif ISF/PME, au regard des besoins de financement des entreprises de notre pays et notamment des petites et moyennes. Et le fait que 80 % des redevables de l’impôt ne sollicitent pas le système établit au moins une chose. C’est qu’ils n’en ont pas besoin et/ou ne sont pas à cela près pour payer l’impôt de solidarité sur la fortune. Et qu’ils trouvent normal, tout simplement normal, de payer un impôt de cette nature au regard de leur situation…

 

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