Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La nature édifiante du nationalisme allemand

Parti anti-euro, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), l’extrême droite allemande qui menace de faire son entrée au Bundestag en septembre, constitue une dissidence monétariste du modèle ordo-libéral.

n détour par la genèse et le projet économique de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le parti d’extrême droite qui a surgi depuis 4 ans dans le spectre politique allemand, renseigne sur le caractère de la poussée nationaliste et de la menace qu’elle représente pour l’Europe. Il permet de bien cerner la réalité de son projet national-libéral et de sa filiation avec le monétarisme du « modèle allemand » qui domine l’Europe. Un modèle qui, faut-il le rappeler, a été imposé par feu le chancelier Kohl à Maastricht comme condition de l’intégration de l’Allemagne réunifiée à l’Union monétaire.

Le tout jeune parti nationaliste – il fut porté en avril 2013 sur les fonts baptismaux — est le produit d’une dispute virulente au sein de la classe dirigeante allemande dont le cœur est le refus de tout ce qui pourrait ressembler à une « union européenne de transfert ». « Quand les risques liés au parapluie du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) vont prendre une forme concrète. C’est l’Allemagne que cela va toucher principalement », proclame ainsi le manifeste de lancement de l’AfD1.

La vertueuse Allemagne ordo-libérale ne saurait payer, souligne-t-on en substance, pour le « laxisme » de partenaires ébranlés par la crise dite des dettes souveraines. D’autant que Berlin montrerait l’exemple en s’efforçant de limiter ses propres déficit et endettement publics ; au point d’avoir modifié sa constitution en 2009 pour y introduire un frein à la dette (Schuldenbremse) – une règle d’or qui déclare inconstitutionnel tout dépassement du déficit structurel de plus de 0,35 % et interdira aux Länder à partir de 2019 de souscrire le moindre emprunt.

C’est sur la crise grecque que vont se focaliser les angoisses de « transfert » et la violente polémique au sein des « élites » conservatrices et libérales. Au sein du staff fondateur de l’AfD on trouve une kyrielle d’économistes qui ont « scissionné » de la Démocratie chrétienne (CDU) après en avoir été membres souvent durant plusieurs décennies. Comme le premier chef de file du parti, Bernd Lucke, professeur d’économie à l’université de Hambourg, tous sont imprégnés des dogmes des écoles de pensée libérales très influentes outre-Rhin.

Ils sont rejoints par quelques dissidents du parti libéral (FDP) et des dirigeants de poids du patronat comme Hans Olaf Henkel. Président jusqu’au début des années 2000 de la très puissante fédération de l’Industrie allemande (BDI), ce personnage siège encore aujourd’hui au sein du conseil de surveillance de mastodontes du Dax 30 de la bourse de Francfort. Comme les géants Bayer ou Daimler.

Leur ordonnance est formelle : l’Allemagne doit sortir de l’euro. Sinon tôt ou tard elle devra payer la plus grande part de la « facture grecque ».

Le discours xénophobe – l’autre marque identitaire de l’AfD – va fonctionner en parfaite symbiose avec ce rejet de la monnaie unique. Il est aidé en cela par les « dérapages » populistes « anti-grecs » de Wolfgang Schäuble. Comme lorsque, au plus fort du bras de fer avec la Grèce d’Aléxis Tsípras, en février 2015, le ministre des finances du cabinet Merkel offre de régler les difficultés récurrentes d’Athènes à faire rentrer l’impôt par… l’envoi sur place de « 500 fonctionnaires du fisc » allemand2.

Si l’Alternative pour l’Allemagne a penché vers une ligne toujours plus xénophobe à la faveur de la crise dite « des réfugiés » de la seconde partie de l’année 2015, elle n’en a pas pour autant relégué sa revendication centrale pour la sortie de l’euro. Radicalité monétariste et xénophobie ultra ont continué de s’épauler. Le parti est ainsi emmené au scrutin du Bundestag de septembre 2017 par Alexander Gauland, un ex-vétéran de la CDU, icône de son aile la plus droitière et Alice Weidel, une économiste ultra-monétariste, membre de la société Friedrich von-Hayek.

Quelques-unes des figures de la première heure du parti, dont Lucke ou Henkel, ont certes quitté le navire refusant les débordements racistes les plus violents. Sans jamais réussir toutefois à provoquer de scission mortelle. Y compris quand son égérie et cheffe, Frauke Petry, est mise quelque peu à l’écart par plus ultras qu’elle, à son congrès d’avril 2017. Même les sinistres saillies verbales du chef de file de l’AfD en Thuringe, Björn Höcke n’y parviendront pas. Ce personnage est allé jusqu’à considérer publiquement en janvier 2017 que le mémorial à l’holocauste, au cœur du Berlin politique, près de la porte de Brandebourg, constituait « un monument de la honte » (sic), une atteinte « insupportable » à la « fierté nationale ».

Certes le parti n’affiche plus de résultat à deux chiffres dans les enquêtes d’opinion fin juin 2017 comme il le faisait, à son plus haut, en 2016. Il n’en a pas moins réussi à poursuivre sa marche en avant au sein des parlements des Länder où il entre systématiquement depuis trois ans. Et, après les succès enregistrés dans le courant du printemps en Sarre, Schleswig Holstein et Rhénanie du nord Westphalie, il est désormais représenté dans 13 des 16 parlements régionaux. Et d’après toutes les enquêtes d’opinion à la fin juin 2017, le parti nationaliste, crédité d’environ 8 % des voix, semble assuré de faire son entrée au Bundestag lors du scrutin législatif de septembre 2017.

Cette résilience de l’AfD traduit l’ampleur du discrédit du monde politique établi. Mais elle s’explique surtout par une banalisation qu’entretient la proximité de sa radicalité monétariste avec la ligne ordo-libérale mise en œuvre par le gouvernement de grande coalition.

L’économiste Kai A. Konrad de l’institut Max Planck est l’un de ceux qui incarnent les passerelles entre national-libéralisme et ordo-libéralisme. Chef du conseil scientifique du ministère des Finances de Schäuble, il fut l’auteur en 2013 d’un rapport favorable à un « germanexit », une sortie de l’Allemagne de la zone euro. En pleine polémique sur la crise grecque et le refus d’une « Union de transfert » il s’appliquait à démontrer que les réévaluations prévisibles du nouveau « Deutsche Mark » ou d’un hypothétique « euro du Nord » seraient finalement « très supportables pour la compétitivité des entreprises », comme le furent « toutes les ré-évaluations du Mark dans l’après-guerre. » Grâce, précise-t-il, aux formidables réserves accumulées par la Bundesbank et à la force de frappe décuplée des Konzerne pour prendre pied dans toute l’Europe, comme ils l’ont fait, à bon compte, en Europe orientale. Ce qui leur confère une formidable compétitivité-prix.

En 2017, Kai A. Konrad est toujours un des conseillers majeurs du ministère des Finances. Et Wolfgang Schäuble se veut toujours inflexible contre la moindre restructuration de la dette grecque. Avant l’élection du Bundestag le spectre d’une « Union de transfert » hante toujours la classe dirigeante allemande. zzz

 

 

1. Programme de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) publié lors de son congrès fondateur le 13 avril 2013.

2. Proposition de Wolfgang Schäuble in Die Welt du 17.02.2015.

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