Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Territoires et transformation sociale : une approche marxiste

Les débats et les recherches visant à dépasser les insuffisances et la dispersion des mouvements de contestation du capitalisme financiarisé donnent du relief à l’enjeu des territoires comme lieu où peuvent se construire des cohérences alternatives à celle qui domine l’économie et la civilisation contemporaines : la mobilisation des institutions et des politiques publiques, comme celle des gestions d’entreprises, au service de la rentabilité des capitaux privés.

Ce texte d'une intervention préparée dans le cadre d’un groupe de travail sur « les territoires dans la transition postcapitaliste » coanimé par Sylvie Mayer (secteur économie sociale et solidaire du PCF) et Hervé Defalvard (université de Marne-la-Vallée) et l’auteur de cet article, a pour objet de donner un aperçu des travaux développés depuis un demi-siècle sous l’impulsion de Paul Boccara au sein du PCF et de sa commission économique.

La démarche d’ensemble du PCF

L’objectif d’un dépassement du capitalisme, jusqu’à la construction d’une nouvelle civilisation, repose sur une analyse de la crise actuelle.

Nous nous plaçons dans une optique que nous voulons marxiste. À la différence d’autres courants qui partent d’une dénonciation morale de l’état de choses existant et d’une définition a priori d’une société plus juste, nous cherchons à fonder un projet de dépassement du capitalisme, jusqu’à son abolition, sur l’analyse des contradictions de ce système. Nous cherchons à mener cette analyse à la fois sur le terrain économique – la façon dont les hommes s’organisent dans leur relation avec la nature pour en tirer les produits nécessaires à leur existence – et sur le terrain que Paul Boccara a proposé d’appeler anthroponomique – les relations des êtres humains entre eux dans la famille, la culture, la cité…

La civilisation actuelle, selon cette grille de lecture, est ainsi la combinaison du mode de production capitaliste et d’un système anthroponomique qu’on peut appeler le libéralisme, caractérisé à la fois par l’autonomie des individus et par un principe de délégation des pouvoirs dans la vie politique (la « démocratie représentative ») comme dans la famille ou dans la création culturelle.

Sur le terrain économique, nous partons des analyses empiriques qui ont permis de caractériser les difficultés récurrentes depuis le milieu des années soixante – montée et persistance du chômage de masse, intensité croissante des récessions cycliques, retour des crises financières – comme le résultat d’une suraccumulation structurelle de capital, au sens que Marx donne à ce terme dans le livre III du Capital. Nous interprétons la prise de pouvoir par les marchés financiers depuis le tournant des années 1970-1980 comme une réponse des multinationales et du capital financier à cette crise structurelle, réponse partiellement efficace en termes de remontée des taux de profit mais porteuse d’un approfondissement de la crise.

En effet, si la crise actuelle présente des points communs avec les phases longues de difficultés des précédents cycles Kondratieff, la phase de difficultés commencée au milieu des années 1960 n’a pas débouché, comme on aurait pu s’y attendre à la fin du siècle dernier, sur une nouvelle phase d’essor de l’accumulation, comme si une issue fondée sur de nouvelles bases technologiques et de nouveaux compromis sociaux et politiques peinait à se dessiner.

Nous émettons l’hypothèse que ce caractère nouveau du cycle actuel reflète des mutations profondes qui mettent en cause tous les aspects, économiques et anthroponomiques, de la civilisation capitaliste et libérale.

C’est notre interprétation de la révolution écologique. La prise de conscience du caractère limité des ressources naturelles place collectivement l’humanité devant la responsabilité de s’organiser autrement pour produire les « biens communs de l’humanité » dont dépend la préservation de notre environnement. Mais le capitalisme ne saurait renoncer à considérer la nature comme un « capital naturel » dont l’exploitation réponde à un critère de rentabilité.

Nous faisons le même diagnostic à propos de la révolution démographique. Les progrès de la médecine créent pour les individus autonomes de la société libérale les moyens de devenir maîtres des décisions relatives à la procréation ; ils se traduisent par un allongement de l’espérance de vie. Cependant, la nécessité d’allouer une part croissante des richesses à un financement socialisé des retraites et des assurances maladie entre en contradiction avec les exigences de rentabilité des capitaux privés, renforcées, dans les principaux pays industrialisés, par la centralisation de l’épargne des salariés sur les marchés financiers via les fonds de pension par capitalisation.

La révolution monétaire, accomplie depuis la rupture de tout lien entre le dollar et l’or en 1971, place également l’humanité devant une responsabilité collective : assurer la confiance de 7 milliards d’êtres humains dans la monnaie, ce « fait social total ». Mais cette responsabilité est entre les mains de quelques centaines de dirigeants de banques, de multinationales et de banques centrales dont la doctrine en vigueur est qu’elles doivent être indépendantes de toute influence démocratique… Là encore, la civilisation libérale capitaliste se présente comme un obstacle à une mutation qui pourrait être porteuse d’une libération par rapport aux contraintes traditionnelles des rapports d’argent.

J’insisterai un peu plus longuement sur une quatrième révolution porteuse d’un potentiel de dépassement du capitalisme et de l’économie de marché qui lui sert de substrat.

Révolution informationnelle

Ce que nous entendons par révolution technologique informationnelle est plus général que la révolution numérique qui frappe fortement les esprits en ce moment. On peut la caractériser par différence avec la révolution industrielle qui a servi de base technologique au capitalisme ; cette fois-ci, ce n’est plus seulement la main de l’homme que la machine vient remplacer, ce sont certaines opérations du cerveau humain.

C’est une révolution dans la culture. L’internet et les réseaux qui s’y constituent mettent potentiellement chacun en relation instantanée avec des milliards d’autres individus sur toute la planète. La distinction entre l’auteur d’une œuvre de l’esprit et ses destinataires, fondatrice de la civilisation libérale depuis l’invention de l’imprimerie, laisse partiellement place à une multiplication des relations « de pair à pair » dont nous commençons à peine à envisager les conséquences anthroponomiques.

La révolution n’est pas moindre dans l’ordre de l’économie. Produire consiste de plus en plus à manipuler, échanger et partager des informations, et non plus seulement à transformer des objets matériels. Les propriétés que la théorie économique standard attribue aux biens publics – non-exclusion, non-rivalité – sont précisément celles des biens informationnels. Plus fondamentalement encore, partager les coûts de création des informations, susceptibles d’être eux-mêmes ensuite partagés à l’infini, fait entrevoir un nouveau type de croissance de la productivité, fondamentalement contradictoire avec la logique d’appropriation privée des produits du travail humain qui est à la base de l’économie de marché.

Cette potentialité est loin de se réaliser dans les conditions actuelles. Au lieu d’utiliser les gains de productivité apportés par les nouvelles technologies pour développer la formation, la recherche, le développement des capacités humaines, les multinationales les exploitent au service de la rentabilité des capitaux. Il en résulte que les économies d’emplois et de moyens matériels de production tirent vers le bas la demande et placent ainsi l’économie mondiale sous une pression déflationniste structurelle. Les travailleurs dont les emplois sont supprimés sont rejetés sur le marché du travail, c’est-à-dire dans le chômage.

L’issue à cette situation pose la question de la construction d’une autre civilisation, émancipée du capital financier.

Crise des quatre marchés et alternatives

Pour définir les voies d’une réponse efficace à ces défis, on peut s’inspirer d’une présentation de l’économie déjà présente chez Marx pour synthétiser les manifestations de la crise – et les réponses de type révolutionnaires qu’on peut concevoir de leur apporter – en considérant que le capitalisme articule quatre grands marchés.

– Le marché du travail est manifestement dans une crise profonde qui appelle des réponses très innovantes par rapport au salariat capitaliste qui structure la civilisation actuelle. Bien au-delà du plein-emploi qui supposerait un fonctionnement optimal du marché du travail capitaliste, nous pensons qu’il faut ouvrir une voie vers le dépassement de ce marché, et vers l’éradication de son corollaire, le chômage. C’est le sens de notre proposition de construire progressivement, à partir des luttes sociales et des avancées institutionnelles qu’elles peuvent imposer, un système de sécurisation de l’emploi et de la formation. Au lieu d’être rejetés dans le chômage, les travailleurs touchés par les gains de productivité auraient la possibilité, dans le cadre d’une réduction généralisée du temps de travail, de mener des parcours sécurisés tout au long de leur vie, alternant périodes d’activité productive et périodes de formation sans jamais passer par la case « chômage ». On voit apparaître ici le rôle essentiel de la dimension territoriale dans les dispositions relatives aux nouveaux pouvoirs des salariés et de leurs représentants sur les stratégies des entreprises pour des alternatives aux licenciements et pour le financement de ces alternatives, avec nos propositions sur l’instauration de conférences régionales, de commissions régionales et de fonds régionaux pour l’emploi et la formation.

– La crise du marché des biens et services se manifeste sous la forme d’une pression déflationniste sur l’économie mondiale. Pour remédier à ces fléaux, il faudrait développer à la fois la demande et l’offre (les capacités humaines) : un développement tout à fait nouveau des services publics répondrait à ce double impératif. Elle se conjuguerait à la mise en œuvre de nouveaux critères de gestion des entreprises et des collectivités publiques : nous y reviendrons.

– Nous reviendrons également sur la stratégie que nous proposons pour faire face à la crise du marché de l’argent : la bataille pour un autre crédit, destinée à retourner la puissance de la création monétaire des banques et des banques centrales contre les marchés financiers et pour les investissements nécessaires au développement des êtres humains.

– Le marché mondial : son existence est une condition de la cohérence systémique des autres dimensions. Aborder les territoires sous l’angle systémique conduit donc naturellement à s’intéresser à la connexion des territoires avec l’ensemble du système.

Synthèse : territoires et cohérence systémique

Des cohérences se construisent sur les territoires

Il est significatif que la territorialisation des statistiques soit une tendance déterminante de l’évolution récente du système statistique public. Elle reflète le caractère systémique des territoires comme lieu de mise en cohérence de différentes dimensions de la réalité sociale.

On peut en effet voir les territoires comme des nœuds de relations économiques, sociales, politiques, culturelles, religieuses fonctionnant en système… Mais une question intéressante est celle de l’échelle des territoires ainsi définis, qui peuvent être un bassin d’emploi dans une région rurale aussi bien qu’une ville-monde comme la région parisienne, voire des ensembles plus vastes possédant des éléments de cohérence territoriale à l’échelle d’une nation ou d’une région du monde.

Par exemple, il y a une dimension territoriale dans toute réflexion critique sur l’euro : non seulement l’adoption d’une monnaie unique pour plusieurs économies nationales pose la question du niveau souhaitable de souveraineté monétaire mais le point de départ de l’analyse économique de la monnaie unique européenne est la constatation que la zone euro n’est pas une « zone monétaire optimale ».

La question monétaire est en elle-même intrinsèquement mondiale (« C’est sur le marché du monde, et là seulement, que la monnaie fonctionne dans toute la force du terme, comme la marchandise dont la forme naturelle est en même temps l’incarnation sociale du travail humain en général. Sa manière d’être y devient adéquate à son idée », Karl Marx, Le Capital, livre premier, tome I, Éditions sociales, 1976.)

C’est pourquoi un objet central du séminaire me semble consister à penser le passage du local au mondial.

Trois éléments dans nos travaux peuvent être considérés comme des voies de passage du niveau local au niveau mondial : les nouveaux critères de gestion, la prise de pouvoir sur le crédit et le développement de nouveaux services publics.

Une voie de passage : nouveaux critères de gestion

Près de quarante ans d’expériences diverses depuis les premiers travaux de Paul Boccara sur ce sujet1 ont montré que sans être facile l’usage de nouveaux critères de gestion, utilisables dès aujourd’hui, dans la vie des entreprises et dans les luttes sociales, pour s’opposer aux critères actuels de la rentabilité du capital, est tout à fait nécessaire aux luttes pour la conquête de nouveaux pouvoirs par les salariés et pour la réorientation du financement de l’économie.

Il s’agit d’abord, dans chaque entreprise, d’opposer à la rentabilité capitaliste (profit rapporté au capital) un critère d’efficacité des capitaux, résumé dans le ratio VA/CMF, valeur ajoutée rapportée au capital matériel et financier : il s’agit d’économiser les moyens financiers et matériels (par exemple en profitant des nouvelles techniques qui réduisent fortement le coût des équipements ainsi que les dépenses en matières premières et en énergie) pour une création de richesses donnée.

Mais le but est bien de faire croître, sur cette base, les richesses disponibles pour les hommes et leur développement ; aussi doit-on disposer d’un critère d’efficacité sociale, mesuré par la valeur ajoutée disponible pour les salariés et les population (Vad) : c’est la part de la valeur ajoutée qui n’est pas accumulée sous la forme de profits par les dirigeants et les propriétaires de l’entreprise. C’est donc la somme des salaires et des cotisations sociales, des dépenses de formation et de recherche, des impôts (qui contribuent à financer l’éducation, la recherche, la protection sociale).

Il ne s’agit pas, cependant, d’augmenter aveuglément les salaires, sans se préoccuper de l’efficacité des dépenses, y compris des dépenses pour les hommes : les gains ainsi procurés aux salariés seraient bien vite perdus faute d’une production de richesses réelles suffisante. Il convient donc de distinguer, au sein de la VAd, une partie « nécessaire » (VAdn), correspondant aux normes en vigueur en matière de salaire à une date donnée, et une partie « supplémentaire » (VAds), qui peut être définie comme la partie des bénéfices (fruits de la productivité de tous les facteurs) qui ne se transforme pas en profits. Faire croître la VAds par une efficacité plus grande de la production incite à une forme d’amélioration de la productivité très différente de celle qu’inspire la recherche de la rentabilité capitaliste.

Enfin, ces nouveaux critères de gestion obéissent à une logique sociale, et non corporatiste. La croissance de la productivité ne doit pas bénéficier seulement aux salariés qui travaillent dans l’entreprise : fondamentalement, elle doit servir à l’ensemble de la population. Aussi la gestion de l’entreprise est-elle appelée à se guider sur ce qu’elle peut apporter au potentiel d’augmentation de la valeur ajoutée disponible dans une zone géographique donnée (un bassin d’emploi, une région, une nation, une région du monde et, le cas échéant, le monde entier), rapportée à la population qui vit dans cette zone géographique. Concrètement, ce critère trouve sa traduction dans la croissance de l’emploi, de la formation, des ressources disponibles pour le développement des services publics et des institutions sociales, sans oublier le respect de l’environnement.

Une voie de passage : le crédit bancaire

L’énoncé de ce dernier critère ramène très naturellement à la politique de crédit des banques. Au pilotage du crédit par la recherche de la rentabilité privée, on pourrait opposer l’ensemble des critères énoncés ici pour orienter les financements — à travers les luttes et les interventions des salariés, des citoyens et de leurs représentants — vers les investissements les plus favorables à l’élévation du potentiel de création de valeur ajoutée au service de la population. Ces critères serviraient à mesurer l’influence des financements dans une zone géographique pouvant, selon les cas, couvrir tel bassin d’emplois individuel s’il s’agit de financer le développement d’une PME, ou bien s’étendre à l’économie mondiale dans son ensemble s’il s’agit du financement d’une multinationale. « Ce ne devrait plus être essentiellement les capacités financières de remboursement, et encore moins la surface financière de l’emprunteur, mais bien davantage les effets du crédit accordé dans la production et tout particulièrement sur la production durable de VAd qui pourraient intéresser les institutions bancaires et leur financement. La garantie de remboursement ne serait plus essentiellement le patrimoine du propriétaire de l’entreprise mais encore davantage les capacités de production vendable de l’entreprise et de son collectif de travailleurs » 1.

Le crédit bancaire peut ainsi être considéré comme l’un des liens entre les systèmes de relations qui s’établissent localement et le fonctionnement global du système économique et social.

En effet, la nature de la monnaie est de mettre en relation les membres de ce système au niveau de toute une zone monétaire puisqu’elle est le support de la confiance mutuelle qu’ils s’accordent dès lors qu’ils entrent en relation entre eux sur le marché. En même temps, sa création à l’occasion des opérations de crédit bancaire est individualisée et localisée ; elle se prête à l’usage de critères qui peuvent tenir compte de la situation particulière des bénéficiaires du crédit.

En cela, elle s’oppose à la circulation de l’argent sur les marchés financiers, qui n’obéit qu’au seul critère de la rentabilité.

C’est pourquoi nos propositions pour « prendre le pouvoir sur l’argent », qui ciblent stratégiquement l’orientation du crédit bancaire, s’organisent sur des échelles géographiques, « du local au mondial ».

Deux exemples mettent particulièrement en évidence le caractère systémique des actions que le mouvement de transformation sociale peut exercer sur le crédit.

Premier exemple : le CRA aux États-Unis et les batailles pour les statistiques bancaires en France

Le Community Reinvestment Act adopté en 1976, sous la présidence de Jimmy Carter, oblige les autorités de contrôle de la profession bancaire à mettre à la disposition de tout citoyen qui le demande des données détaillées sur l’activité de chaque réseau bancaire à l’échelle de chaque quartier. Chaque citoyen, chaque élu local, chaque association a ainsi le moyen de demander des comptes précis à telle ou telle banque sur les différences de son comportement, par exemple entre les quartiers les plus riches et les plus défavorisés d’une métropole. Cette législation se traduit, en moyenne annuelle, par environ 60 milliards de nouveaux investissements, prêts et services en faveur des communautés à bas revenus. Au niveau local, elle donne un véritable pouvoir aux voix locales : les groupes locaux peuvent ralentir les fusions et les ouvertures d’agences, ils ont le pouvoir de gêner les plus grandes banques. Ce pouvoir redonné au niveau local « encourage de manière agressive » les banques à trouver des moyens de collaborer avec les banques à vocation sociale et les organisations de développement local, pousse les régulateurs à écouter ces dernières et mobilise les élus locaux.

En France, on en est loin. Il a fallu des années de bataille, notamment au sein du Conseil national de l’information statistique (CNIS), pour convaincre la Banque de France de reprendre en 2007 la publication des statistiques bancaires de dépôts et crédits par départements, qu’elle avait abandonnée en 1997. Encore ne s’agit-il là que de données agrégées, tous réseaux bancaires confondus. Mais pourquoi un dispositif qui a eu des effets importants outre-Atlantique (voir encadré) ne pourrait-il pas être acclimaté en Europe ? Ces données servent déjà de points d’appui à des interpellations par des élus locaux ou par l’association AP2E.

Deuxième exemple : les fonds régionaux pour l’emploi et la formation (FREF)

Nous proposons de remplacer les aides dispensées aux entreprises par l’État, les régions et les autres collectivités territoriales par des interventions visant à stimuler le financement par les banques de projets répondant à des critères précis en matière économique (création de valeur ajoutée dans les territoires, formation, recherche), sociaux (salaires, emplois) et écologiques (économies de matières premières et d’énergie). Ces interventions prendraient la forme de garanties d’emprunts et de bonifications d’intérêts accordés par un fonds régional et par des fonds régionaux gérés par les représentants des différentes forces économiques et sociales présentes sur le territoire.

Cette proposition combine un ancrage territorial où les rapports de force créés par les luttes sociales peuvent s’exprimer dans le cadre d’une cohérence locale (initiative des salariés dans l’entreprise, des habitants du territoire et de leurs représentants respectifs) et une cohérence nationale et européenne :

‒ La viabilité du projet et sa conformité à des critères sociaux et environnementaux feront l’objet d’une discussion entre les différentes parties prenantes : plus le projet comportera de créations d’emplois et d’efforts de formation, plus la bonification d’intérêts pourra être élevée, jusqu’à réduire le coût de l’emprunt à zéro (voire moins) pour l’entreprise ou la collectivité emprunteuse.

‒ Le respect des engagements de la banque et de l’emprunteur fera l’objet d’un contrôle démocratique pendant toute la durée du projet, de sorte que l’aide de la région puisse être interrompue immédiatement si ces engagements ne sont pas tenus.

‒ Le fonds national et les fonds régionaux sont appelés à développer un partenariat privilégié avec le pôle financier public dont nous demandons la constitution à partir d’institutions financières publiques existantes telles que la BPI, la Caisse des dépôts et consignations, la Banque postale, la Banque de France, et à partir de la nationalisation des grands réseaux bancaires privés.

‒ Leurs interventions seraient d’autant plus puissantes qu’elles s’appuieraient sur un soutien de la politique monétaire. Ainsi, les projets soutenus par les fonds régionaux pour l’emploi et la formation devraient être éligibles aux financements du Fonds de développement économique, social et écologique européen, financé par la BCE, dont nous demandons la constitution pour financer le développement des services publics.

Un des éléments les plus significatifs de nos propositions réside précisément dans l’idée d’une sorte de territorialisation de la politique monétaire, comme alternative à la forme abstraite et soumise aux marchés financiers qu’elle prend avec l’euro actuel.

Conclusion : Cohérence politique d’une alternative radicale au capitalisme financiarisé en crise

Nous considérons que dans cette façon d’envisager la lutte pour un dépassement du capitalisme, fondée sur une cohérence entre objectifs sociaux, moyens (notamment financiers) de les réaliser et prise de pouvoir direct par les citoyens et les travailleurs, les forces de transformation sociale peuvent trouver un moyen de dépasser l’étatisme qui a mené à l’échec les expériences de gauche des dernières décennies et qui nuit beaucoup à la crédibilité des programmes actuellement en présence de ce côté-ci de l’échiquier politique.

La démarche que nous proposons nous semble, elle, tirer son efficacité de ce qu’elle relie action locale et mise en cause radicale de ce qui fait la cohérence des gestions capitalistes – le régulateur systémique du taux de profit.

 

1. Paul Boccara, Intervenir dans les gestions avec de nouveaux critères, Éditions sociales, 1985.

 

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